ANDROMAQUE - FANTAISIE BAROCK

Article publié dans la Lettre n° 334
du 26 décembre 2011

ANDROMAQUE - FANTAISIE BAROCK. Texte, paroles et musiques de Pierre Lericq avec les Epis Noirs : Anaïs Ancel, Muriel Gaudin, Fabrice Lebert et Pierre Lericq.
Comment détourner Andromaque sans trahir Racine ? Comment faire rire et pleurer de ce mythe éternel sans chambouler les mémoires quasi reptiliennes des inconditionnels de la tragédie classique ? Vaste défi que relèvent les Epis Noirs dans un joyeux sacrilège. Mais un crime de lèse-antiquité a-t-il été vraiment perpétré? Bien sûr, Hermione a la cuisse légère et plus que court vêtue. Pyrrhus joue les crooners et son petit cœur de bellâtre oscille entre ses deux conquêtes. Oreste est désespérément niais tant il est aveuglément amoureux et Andromaque ne déparerait pas dans une rétrospective peace and love. La Mort se prend pour le Coryphée, redoute son papa d’en-haut, voudrait qu’on l’aime et se laisse aller à des à-peu-près vaseux. Et malgré toutes ces distorsions, le schéma racinien est respecté. Amours meurtrières et vengeresses, qui suscitent l’émotion de leur impossibilité, la passion est toujours d’actualité, qu’elle se dise, se hurle et se danse, dans la frénésie des corps comme dans la souffrance des voix sans écho. Dans une mise en scène rock’n roll et déjantée, Pierre Lericq et ses acolytes ont fait le choix de provoquer, mais au détour du rire se love, intacte, l’émotion du texte racinien. La souplesse de leurs voix et de leurs danses s’enchevêtre dans la douleur de solitude que chaque héros à son tour viendra porter au milieu du chœur. Vivaces, provocants ou retenus, leurs corps sont aussi contrastés et mélodieux que ce chant d’amour et de haine que portent les instruments qui les sous-tendent. Dérisoires et grandioses, vains et ridicules comme les combats perdus d’avance de toute passion humaine. Ne nous y trompons pas, le délire apparent ne saurait cacher l’incoercible vérité de la fidélité et de ses vengeances.
Racine s’y retrouverait-il ? Grave question à laquelle il faut surtout se garder de répondre sous peine de bouder un plaisir si manifestement partagé. Vingtième Théâtre 20e. A.D.

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