AMPHITRYON

Article publié dans la Lettre n° 341
du 21 mai 2012


AMPHITRYON de Molière. Mise en scène Jacques Vincey. Dramaturgie Vanasay Khamphommala. Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy. Lumières Marie-Christine Soma. Costumes Olga Karpinsky. Musique et son Alexandre Meyer. Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar avec Sylvia Bergé, Coraly Zahonero, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Benjamin Jungers, Adrien Gamba-Gontard, Christian Hecq, Georgia Scalliet, Guillaume Mika, Antoine Formica.
L’interdiction de sa nouvelle version du Tartuffe en 1667 contraint Molière à fermer son théâtre. Durant les sept semaines qui suivent, il écrit « Amphitryon », une pièce en vers libres. Jupiter aime s’humaniser pour séduire les mortelles. Excité par le mariage récent d’Amphitryon et d’Alcmène, il jette son dévolu sur la jeune mariée. Afin de gouter à ce tendre hyménée, il descend sur terre et prend l’aspect de l’époux parti en campagne. Mercure l’aide à exécuter cette imposture. Il prend l’aspect de Sosie, valet d’Amphitryon et garde la porte de la demeure où Jupiter a retrouvé Alcmène. Celle-ci, heureusement surprise par ce retour impromptu, succombe dans les bras de celui qu’elle croit être son mari. Sosie, venu prévenir la jeune femme du retour d’Amphitryon, se heurte à Mercure, son « double », qui lui ôte toute envie de franchir le seuil de la porte. Mercure se joue ensuite de Cléanthis, suivante d’Alcmène et femme de Sosie. Les confrontations et méprises successives vont opposer les deux couples. Amphitryon et Sosie sont l’objet d’un jeu cruel où leur raison s’égare.
Le recours à la mythologie pour dépeindre le viol de l’intégrité d’Alcmène et le vol de l’identité d’Amphitryon permet au dramaturge de « jouer » entre le monde des Dieux et celui des hommes, ceux-ci se prenant parfois pour ceux-là. Ecrite dans un contexte particulier en peu de temps, Amphitryon mêle le comique et le tragique, l’illusion et le réel. La mise en scène, la dramaturgie, la scénographie, ainsi que tout ce qui concerne costumes, maquillage, musique et son, qui avaient fait le succès de l’œuvre à l’époque, ont une importance capitale. Le travail de Jacques Vincey et de toute l’équipe force ici l’admiration.
Le prologue, où la Lune et Mercure se plaignent d’être des créatures de fiction, donne le ton par la munificence des costumes et les amusants anachronismes de la scénographie. Mercure y expose le dessein de Jupiter. Puis les scènes comiques ou dramatiques se succèdent. Incompris et repoussés par leur entourage, Amphitryon et Sosie se trouvent embarqués dans une mystification dont Jupiter et Mercure tirent les ficelles sans vergogne. Les vers de Molière alternent continuellement entre le rire et l’angoisse, et crée parfois un curieux malaise. Les comédiens les restituent de façon remarquable, emportés avec fougue dans les rouages d’une machination ou les affres d’une situation, toutes deux infernales. Molière jouait Sosie. L’étourdissante interprétation de Christian Hecq dans ce rôle, sera tout aussi mémorable que celle de Bouzin dans Le fil à la patte (Lettre 321). L’escamotage final de Mercure achève de séduire un public déjà conquis.
La lecture allégorique de la pièce était aisée à l’époque du Roi-Soleil. La puissance permet ce qui est interdit au commun des mortels et comme le conclut amèrement Sosie: « Sur de telles affaires, toujours / Le meilleur est de ne rien dire ». Les puissants d’aujourd’hui sont les puissants d’hier. Molière repoussait les limites entre le réel et l’illusion, comme nous les repoussons aujourd’hui entre le réel et le virtuel. Vieux-Colombier 6e.


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