L'AMANTE ANGLAISE

Article publié dans la Lettre n° 299


L’AMANTE ANGLAISE de Marguerite Duras. Mise en scène Marie-Louise Bischofberger avec Ludmila Mikaël, Ariel Garcia-Valdès, André Wilms.
Le décor souhaité par Marguerite Duras est un simple rideau de fer. Une table et deux chaises le complètent, donnant à l’ensemble une atmosphère pré-carcérale assez réaliste. Seules les lumières savamment disposées et des projections ponctuelles de voies, de rails, d’aiguillages et de trains sur le rideau de fer, animent et rythment de leurs bruits l’histoire rapportée, un fait divers dont s’est inspirée la romancière en 1967. Vingt ans plus tôt, à Savigny sur Orge, Amélie Rabilloux avait, un soir de décembre, fracassé le crâne de son mari avec un marteau de maçon. Les nuits suivantes, elle avait dépecé le cadavre puis jeté les morceaux un par un dans des trains de marchandises qui passaient sous le viaduc de la Montagne Pavée. La police récupéra tous les morceaux, excepté la tête qui ne fut jamais retrouvée, puis repéra le lieu exact d’où ils étaient partis en recoupant le trajet de tous les trains qui passaient au même endroit, sous le viaduc. Lorsqu’elle fut arrêtée, Amélie Rabilloux avoua immédiatement son crime mais n’en donna pas la raison parce qu’elle ne la sut jamais elle-même.
Sous la forme de deux interrogatoires, ceux d’un couple Pierre et Claire Lannes, Marguerite Duras reprend l’intrigue mais en redistribue les rôles, Claire Lannes tuant Marie-Thérèse Bousquet, la cousine de son mari, sourde et muette, qui tenait sa maison. Cette version tout aussi dramatique, lui sert à dénoncer ce genre de procès où l’appareil judiciaire ne donne pas la parole à l’accusé pour qu’il explique son geste, on l’interroge seulement. Lors de son procès, Amélie Rabilloux souhaitait pouvoir expliquer les raisons de son acte mais elle en avait été empêchée car, une fois son crime avoué, jugée coupable et condamnée, elle n’intéressait plus la justice. La manière dont ce procès fut conduit scandalisa Marguerite Duras parce que, selon le chroniqueur qui l’avait rapporté, Amélie Rabilloux posait inlassablement des questions pour comprendre « le pourquoi de ce crime-là, qu’elle avait commis ». Dans sa version romancée, un homme, ni juge ni policier, interroge les Lannes l’un après l’autre. Cet interrogateur scrupuleux ne cherche pas à juger mais seulement à comprendre le geste de Claire Lannes. « Je cherche pour elle » dira-t-il.
Marguerite Duras focalise son intrigue sur ces deux personnages qu’elle fait apparaître de façon ambiguë comme si elle cherchait dans les questions posées par l’interrogateur, c’est-à-dire par elle-même, les raisons du crime commis. Le mari parle avec un curieux détachement de sa femme, de la victime, de leur vie morne, mais sous cette normalité, perce le crime de l’indifférence. Claire Lannes, quant à elle, s’exprime, répond à certaines questions, en esquive d’autres, réagit souvent de façon curieuse, mais semble toutefois chercher dans son passé ce qui aurait pu la conduire à ce meurtre. La mise en scène sobre, précise et très réaliste de Marie-Louise Bischolberger ainsi que le très beau travail des projections et des lumières, permettent au public de suivre l’interrogatoire comme s’il était témoin d’un interrogatoire réel et donnent la part belle au texte dont les trois comédiens s’emparent avec talent : André Wilms, enquêteur inquisiteur pondéré, Ludmila Mikaël, Claire Lannes, criminelle insaisissable, Ariel Garcia-Valdès, très fin dans le rôle ingrat de Pierre Lannes. Théâtre de la Madeleine 8e.


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