AMADEUS

Article publié dans la Lettre n° 239


AMADEUS de Peter Shaffer. Adaptation Pol Quentin. Mise en scène Stéphane Hillel avec vingt comédiens dont Jean Piat, Lorànt Deutsch, Marie-Julie Baup, Gérard Caillaud, Gérard Maro, Jacques Fontanel, Olivier Pajot, Benoît Guillon, Sébastien Lalanne, Julien Girbig, Malik Issolah.
1791: Wolfgang Amadeus Mozart est seul, malade, dans la misère. Sa vie avait pourtant si bien commencé. Jeune prodige, il avait parcouru l’Europe avec son père, avait été reçu et adulé partout, avant de venir s’installer à Vienne où il avait rencontré Constanze Weber. L’Empereur Joseph II l’avait favorablement accueilli. Son mariage avec Constanze, sans le consentement de son père, avait été le premier faux pas, puis ses débordements verbaux, ses excentricités l’avaient peu à peu jeté au ban de la société. Un moment aidé par la franc-maçonnerie, il avait osé composer la Flûte enchantée, qui avait indigné les puissants membres de la loge. Il fut alors définitivement perdu. Cette descente aux enfers était-elle venue d’elle-même ou avait-elle été délibérément provoquée? Trente-deux ans après la mort de Mozart à Vienne en novembre 1823, Antonio Salieri va mourir. La rumeur laisse entendre qu’il a empoisonné Mozart. Va-t-il s'en défendre ou la laisser courir pour passer à la postérité?
En 1781, Antonio Salieri a trente et un ans. Marié, il est le compositeur de la Cour. Son talent est incontesté, les élèves affluent. Puis arrive ce jeune salzbourgeois, rempli de morgue, qui se met au clavecin et joue une sérénade. Salieri écoute incrédule: « Il me semblait que je venais d’entendre la voix de Dieu ». L’empereur, conquis, lui commande un opéra comique allemand. Mozart compose Idoménée, roi de Crète. « Du brio dira l’empereur, mais trop de notes ... ». Les oeuvres se succèdent. L’Enlèvement au sérail ne fait pas l’unanimité mais Salieri perçoit définitivement, non plus un talent, mais un génie qu’il ne pourra jamais égaler. Cette conviction est confortée par les partitions originales que Constance, venue solliciter son appui, lui a apportées. Pas une rature, pas une surcharge, « une suite de notes enchanteresses ». Salieri décide alors d’agir, d’écraser ce jeune prodige impudent, il entreprend « le combat entre Dieu et lui dont Mozart devient le champ de bataille ». C’est à cette époque que Mozart compose ses concerti, les Noces de Figaro et Don Giovanni, après le décès de son père, puis commence à exécuter une étrange commande qu’il laissera inachevée, ce Requiem , pour lequel Salieri prédira: « Cette musique célébrera les deuils et les funérailles de toutes les années à venir ». La musique de Mozart traversera les siècles, la sienne sera oubliée.
Comment porter cette oeuvre foisonnante et romancée sur scène, comment parvenir à en raconter les multiples événements et à exprimer les sentiments qui la composent? Si le doigt de Dieu s’était posé sur Mozart, celui de l’ange de l’inspiration n’est peut-être pas très loin de Stéphane Hillel !
Grâce à des décors judicieusement agencés, il offre une scénographie aérienne, légère et élégante comme le XVIIIe siècle, berceau de son histoire, baignée par les merveilleux passages d’une musique céleste qui, au grand dam de son ennemi, a traversé les siècles. Il utilise finement les comédiens pour des jeux de scène qui viennent agréablement animer la confession de Salieri. Celui-ci est magistralement interprété par Jean Piat, au sommet de son art, et par un formidable Lorànt Deutsch qui confirme un talent remarqué dans La Reine de Beauté de Leenane (Lettre n°214). Mozart truculent, Salieri impérial, ce sont deux présences aussi fortes l’une que l’autre qui se répondent. La passion et l’émotion, inhérentes au spectacle, enveloppent un public qui ovationne debout la performance, c’est assez rare pour être rapporté. Théâtre de Paris 9e.


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