L'ACHETEUR

Article publié dans la Lettre n° 228


L’ACHETEUR de Serge Gisquière. Mise en scène Jean-Luc Moreau avec Jean-Claude Dreyfus, Serge Gisquière.
La verrière distille cette lumière naturelle si précieuse aux peintres. Un jeune homme trône, un peu inquiet, au milieu de son empire de toiles et de pinceaux de tout poil. Il veut faire bonne impression à son acheteur potentiel. malgré son costume de bonne coupe qui avantage sa haute silhouette, l’acheteur est tout aussi mal à l’aise. Il veut impressionner, s’intéressant, considérant tous les tableaux exposés. Tous ont le même et unique sujet, une femme nue dans différentes positions. Des corps sans têtes. « Est-ce parce que vous ne savez pas les dessiner? », demande l’acheteur néophyte avec une pointe de naïveté. Il hésite. Son hésitation n’est pas motivée par le prix, l’argent n’est pas un problème. La toile rouge l’attire comme un aimant. Elle n’est pas à vendre. Tout s’achète. Pas sûr. L’acheteur n’est pas un amateur d’art. Il veut savoir, comprendre les motivations du modèle. Cette femme au visage ébauché, est-elle une inconnue? Comment peut-on s’exposer nue devant un observateur démiurge, vous imposant des attitudes parfois osées? Où commence l’impudeur? Comment se noue la complicité?
L’acheteur est la première pièce représentée de Serge Gisquière qui nous a régalés d’une adaptation très réussie de Qu’est ce que sexe? de Richard Herring (Lettre 224). Son écriture révèle la patte d’un véritable auteur, un sens des dialogues, où le poids des mots finement choisis est saupoudré par la qualité des silences. La dualité de caractère des personnages est balancée par un jeu de pouvoir inversé, subtilement dépeint. Le spectateur est, dès le lever de rideau, projeté dans l’atelier d’un peintre, grâce au très beau décor de Stéphanie Jarre. L’une des grandes réussites de la pièce provient de la justesse du milieu décrit, Serge Gisquière est peintre, toutes les toiles sont de lui. Ce trentenaire est artiste jusqu’au bout des doigts. La force de son trait, la qualité de son écriture et la retenue de son jeu font de lui une révélation qui va compter dans l’univers théâtral. Jean-Claude Dreyfus est l’acheteur. Un homme rongé par le doute et l’incompréhension d’un monde étranger, régi par d’autres lois que l’argent. Il aborde le monde du sensible avec une force dérisoire et fait une composition nuancée, toute en sobriété, avec une pointe de colère, d’où perce un véritable désespoir, comme une ébauche au fusain. Il est tout simplement remarquable. Petit Hébertot 17e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction