A CHACUN SA VERITE

Article publié dans la Lettre n° 212

A CHACUN SA VERITE de Luigi Pirandello. Adaptation Huguette Hatem. Mise en scène Bernard Murat avec Niels Arestrup, Gérard Desarthe, Gisèle Casadesus, Gérard Caillaud, Agathe Natanson, Jean-Paul Muel, Fabienne Chaudat, Catherine Chevallier, Joël Demarty, Laurent Ferraro, Anne Kreis, Salomé Lelouch, Claire Magnin, Guilhem Pelegrin.
Les habitants de la petite ville de Valdano possèdent une idée précise sur tout et sur tous. Pour eux, la vie est basée sur des certitudes concrètes et palpables qu’ils collent comme une étiquette sur tout un chacun, se voyant ainsi socialement corrects et pensant détenir la vérité. C’est pourquoi l’arrivée du nouveau secrétaire de préfecture Monsieur Ponza, de sa femme et de sa belle-mère Madame Frola, seuls rescapés d’un tremblement de terre, va perturber au plus haut point les idées reçues bien ancrées qui les rassuraient sur eux-mêmes et sur les autres. Si les Ponza vivent à un bout de la ville, Madame Frola est reléguée à l’autre bout, condamnée par son gendre à ne voir sa fille que du bas de l’immeuble, cette dernière étant enfermée chez elle. Monsieur Ponza rend quotidiennement visite à sa belle-mère mais ne conçoit pas qu’elle puisse recevoir quiconque ou être reçue. Cette étrange organisation met la petite ville bien pensante en émoi et l’agitation est à son comble lorsque Monsieur Ponza et Madame Frola, poussés par l’opinion, se voient contraints de donner chacun une justification à son mode de vie qui contredit l’autre. Qui, des deux, détient la vérité, qui a le comportement le plus déraisonnable?
Par l’intermédiaire de Lamberto Laudisi, frère et beau-frère des Agazzi chez qui se déroule l’action, Luigi Pirandello nous renvoie à la vision que chacun de nous se fait de la vérité et qui ne peut qu’être différente selon le regard que nous portons sur nous et les autres. Toute certitude est impossible puisque nous sommes en continuelle évolution. Laudisi prend donc un malin plaisir à remettre en cause les vérités que son entourage croit avoir établies. Son rire moqueur et sa dérision donnent à la pièce une connotation divertissante qui contrebalance l’angoisse qui s’empare peu à peu des personnages.
Face à cette parabole pirandellienne, Huguette Hatem, dans une excellente adaptation, et Bernard Murat grâce à une mise en scène très vive, prennent le parti d’accuser le comique des situations, suivi par Gérard Desarthe qui, machiavélique dans le rôle de Laudisi, se montre très brillant. Gisèle Casadesus campe une Madame Frola délicieuse de mystère et de retenue, solide comme un roc devant les assauts répétés des uns et des autres. Niels Arestrup est un remarquable et inquiétant Ponza, ombrageux et irrité d’avoir à justifier ses actes. Les autres comédiens sont parfaits, sûrs de leurs petits principes et déroutés d’avoir perdu cette vérité rassurante qui était jusqu’à présent leur rempart. Aujourd’hui où nos certitudes sont de plus en plus mises à mal, A chacun sa vérité frappe par la modernité de son propos et séduit par la profondeur et la justesse de sa démonstration, remarquablement mise en valeur tant par la mise en scène que par les comédiens. Théâtre Antoine Simone Berriau 10e (01.42.08.77.71).

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