A MON ÂGE, JE ME CACHE
ENCORE POUR FUMER

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 321
du 17 janvier 2011


À MON ÂGE, JE ME CACHE ENCORE POUR FUMER de Rayhana. Mise en scène Fabian Chappuis avec Marie Augereau, Géraldine Azouélos, Paula Brunet Sancho, Linda Chaïb, Rébecca Finet, Catherine Giron, Maria Laborit, Taïdir Ouazine, Rayhana.
L'univers très dépouillé d'un hammam. Fatima y remet tout en ordre. Survient, épuisée, terrifiée, en passe d'accoucher, Myriam qui cherche à échapper à la folie meurtrière de son intégriste de frère et de sa meute de barbus. Fatima la cache au secret de la cambuse, à l'insu des sept autres femmes qui arrivent tour à tour.
Temps d'ablutions et de massage, de parole libre, de confessions, d'affrontements, de rires et de pleurs. De vraie solidarité surtout, au-delà des conflits irréductibles qui démarquent ces expériences si diverses dans l'Algérie sinistre des époques terroristes.
Témoin de ces prises de bec, voire de corps, la jeune Samia « vingt-neuf ans et demi et toujours vierge », dont la maigreur (toute relative) fait fuir les belles-mères potentielles, et qui rêve, inénarrable fleur bleue, du prince charmant et de l'Amour romantique. Chacune à son tour va dire sa vie, celle de la mère de huit enfants, dans son dégoût virulent, harassée des assauts de son homme, celle de la jeune femme moderne et amoureuse de son époux, mais stérile, celle encore de cette grand-mère qui raconte, avec une pudeur chargée de grande émotion, la naïveté de ses 10 ans sacrifiés, dans une nuit de noces terrible, à « l'homme vieux » à qui on l'a vendue. Et il y a encore la « bâchée » avec sa burqa noire, qui cache derrière son discours extatique et militant une vraie souffrance de veuve démunie. Et encore la « décapotable », étudiante libérée qui proclame haut et fort son divorce et sa laïcité, mais qui a payé le prix fort d'une blessure au vitriol de la part de ses anciens amis d'université qui se sont laissé pousser la barbe… Et l'immigrée venue de France chercher chaussure au pied de son fils… Les femmes « tombent enceintes » pour s'être seulement assises dans la saleté des hommes… La belle-mère aboie, le plombier passe et repasse cagoulé. A la porte qui ne résistera pas jusqu'au bout, les barbus vocifèrent et martèlent leur haine. L'inventivité du front commun qu'elles leur opposent sera victorieuse. Enfin presque… Beauté émouvante des corps qui se lâchent, dans la nudité et l'embonpoint, comme une trêve dans la douleur de leur quotidien. Elégance d'une danse solidaire dans la pénombre peut-être salvatrive. On rit beaucoup, on s'émeut encore davantage à participer à cet univers trivial et fondamentalement tendre, à grincer des dents devant cette violence ordinaire, truculente par la force incoercible d'une parole féminine sans concession ni larmoiement. Ah, que ces femmes sont magnifiques… ! Maison des Métallos 11e. A.D.


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