LES 39 MARCHES

Article publié dans la Lettre n° 304


LES 39 MARCHES de John Buchan et Alfred Hitchcock. Adaptation Patrick Barlow. Adaptation française Gérald Sibleyras. Mise en scène Eric Métayer avec Eric Métayer, Jean-Philippe Beche, Andrea Bescond, Christophe Laubion.
Derrière le titre, se profile l’ombre d’un réalisateur dont les films hypnotisèrent par leur suspense plusieurs générations de spectateurs. Les 39 marches est sorti sur les écrans en 1936. Alfred Hitchcock le réalisa d’après un scénario inspiré du roman de John Buchan. S’il est considéré comme l’un de ses meilleurs films du début de sa carrière, une multitude de chefs d’œuvre suivront qui lui vaudront d’être considéré comme « le maître du suspense », même s’il ne reçut jamais d’Oscars. Chacun de ses films laissa un souvenir impérissable. Les 39 marches ne fait pas exception malgré son grand âge.
L’argument est simple : Le héros Richard Hannay, 37 ans, canadien d’origine, célibataire et déjà « las » de vivre, se rend dans un grand music-hall londonien pour assister à une représentation d’un numéro de Mister Memory, un homme à la mémoire aussi infaillible qu’extraordinaire. Son attention est attirée par une femme, Annabella Schmitt, qui soudain tire un coup de feu pour faire diversion. Elle se sent traquée et craint pour sa vie. Elle se dit espionne, sur le point de découvrir un complot diabolique. Ils s’enfuient du théâtre et Richard la cache chez lui pour la nuit. Au petit matin, il la découvre poignardée mais elle a pris le temps de lui laisser un message. Accusé du meurtre, il n’a d’autre solution que de fuir et de découvrir le responsable du complot afin de sauver sa propre peau mais aussi l’avenir du monde !
Les 39 Marches au théâtre ! Il y a de quoi être surpris. Comment restituer en français l’adaptation théâtrale anglaise, comment dépeindre les scènes haletantes, aux innombrables poursuites et bagarres, aux situations hilarantes, à l’humour typiquement british? Qui se propose de vivre une telle aventure et avec qui ? Gérald Sibleyras s’attaque au texte dont il faut garder tout le sel, le héros typiquement canadien se retrouvant en Ecosse, lieu tout aussi étrange pour lui que pour le commun des mortels français. Sa traduction inénarrable est parfaite. Il reste à mettre en scène ce cocktail explosif. Qui d’autre qu’ Eric Métayer, l’homme aux multiples personnages de Des cailloux plein les poches (Lettre 217), le standardiste aux trente-deux rôles de Un monde fou (Lettre 274), pourrait relever ce défi ? Lui seul est capable de transformer une scène en music-hall, maison, train, ferme, manoir, lande écossaise avec brume et pluie battante en un clin d’œil. A sa rescousse, projections, ombres chinoises d’avions assassins style La Mort aux trousses, ou passage obligé de la silhouette énigmatique et bien connue du réalisateur de profil, ustensiles divers pour simuler portes, fenêtres, rivières, cascades, trains, voitures, motos ou chat blanc incontournable du grand ennemi de l’agent 007. Payant même de sa personne pour simuler un rocher ou la boue, il laisse libre cours à son imagination débordante et délirante. Cette fois-ci, il n’est pas seul en scène pour trente-six rôles. Ils sont quatre inconscients pour en interpréter à peu près cent cinquante! Eric Métayer et son « équipage » relèvent un défi incroyable : s’embarquer dans une suite d’aventures et de péripéties rocambolesques en suivant le fil de l’histoire. Ils utilisent tous les artifices possibles pour mimer la traque nocturne sous un réverbère (scène particulièrement drôle), les courses poursuites, les fuites éperdues dans la lande, l’escalade des falaises, le saut à travers les fenêtres ou dans les eaux profondes, les disputes ou tête à tête amoureux, les rendez-vous secrets...
Le son et les lumières sont des personnages à part entière. Que d’imagination pour restituer petit matin glauque, tombée du jour entre chiens et loups, nuit noire, vent et brouillard, musique angoissante, festive ou romantique, cris d’oiseaux, bêlements ou aboiements ! Tout est bon pour avoir une gueule d’atmosphère! Jouant les rôles principaux, simulant les péripéties, se transformant même en objets, notre quatuor est tellement hallucinant que les mots sont vains pour décrire son exploit. Il faut le voir pour le croire. Théâtre La Bruyère 9e.


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