LA MÉGÈRE À PEU PRÈS APPRIVOISEE

Article publié dans la Lettre n° 303


LA MÉGÈRE À PEU PRÈS APPRIVOISEE d'après William Shakespeare. Adapation et mise en scène Alexis Michalik. Musique Alexis Michalik, Régis Vallée, Raphaël Callandreau avec Grégory Juppin, Dan Menasche, Régis Vallée, Fanny Aubin, Leilani Lemmet, Olivier Dote Doevi, Louis Caratini, Alexis Michalik.
Dire d’une femme qu’elle est peu apprivoisée, en nos temps de « mise en plis » récurrente des femmes, n’est-ce pas lui faire un vrai compliment ? Dès le début du texte de Shakespeare, le ton de Catarina est donné: « Voulez-vous donc me prostituer à ces épouseurs ? », demande-t-elle à son père. Formellement apprivoisée à la fin, elle laisse entrevoir des vengeances à venir, moins spectaculaires certes mais plus sournoises, perspectives qui rassurent sur le don de résistance féminine, avouons-le… D’ailleurs, rêverait-on qu’elle se renie, cette Katy revêche, boxeuse façon thaï, que ne rendent guère féminine ses divers accoutrements, robe en vichy ou parure de mariée kitsch vite défraîchie par les affrontements avec son nouvel époux ? Fanny Aubin se prête efficacement à ce rôle pour le moins musclé.
La « douce » et mièvre Bianca ne donne guère l’envie de s’apitoyer sur la patience de cadette à marier qui lui est imposée. Et la scène de séduction avec son prétendant poète, sur fond de chanson sucrée et cœurs lumineux, respecte l’esprit, sinon la lettre du texte. Mais la perversité n’est jamais loin. Cette misogynie apparente est bien dans la lignée de Shakespeare, et si la gent féminine en fait les frais d’hilarité, les hommes n’en sortent pas plus indemnes. La joute des prétendants à la belle Bianca opposera Lucentio en poète à Hortensio en maître de musique. Tous niais et ridicules. Sauvés ici par les talents musicaux multiples, à la guitare, au piano, et par le rire que ce rythme déjanté provoque à leurs dépens. Mais ce deuxième mariage est-il intéressant ? Non, et les joyeux histrions ne se trompent pas de cible. Au cœur du massacre, deux figures: Battista, le père de la mégère, et Petruccio, le futur gendre. Olivier Dote Doevi, en père matois et cynique, ne s’embarrasse guère, malgré ses dénégations hypocrites, de tendresse excessive. Il s’agit de se débarrasser de ces pesanteurs financières, quitte à se montrer d’une singulière cécité sur les fauteurs de « bonheur » qui postulent à leurs dots. Petruccio, maître tyrannique à la poigne leste, est peu regardant sur les beautés d’une fiancée qui apporterait une dot conséquente. Alexis Michalik, Fierabras séducteur fou de son corps, arrive en cowboy du Far West sur un viril simulacre de cheval, clin d’œil à la chevauchée initiale du Sacré Graal des Monty Python. Katy-Catarina trouve là un adversaire à sa mesure dans des scènes rock’n roll entre deux fauves toutes dents dehors, coups et bleus à l’appui. Claquettes, chansons de matamore version country, et le consentement extorqué, sur fond de guitare répétitive, tourne à la farce mafieuse.
Théâtre de tréteaux, où le travestissement et l’inversion des rôles sont constants. Les joyeux drilles de Los Figaros s’en donnent à « chœur » joie, alternant sans vergogne la parodie de comédie musicale, avec un zeste de Platters années 50, une pointe de « dance », quelques mesures de french cancan, sans oublier des claquettes dignes de Fred Astaire. Farce, commedia dell’arte, chorégraphie d’un mauvais goût jubilatoire où Régis Vallée, entre autres, arbore un paréo acryliquement bleu et peu « couvrant »…! Les citations empruntées à Shakespeare, loin de sonner comme des incongruités, s’insèrent à point nommé dans ce franc délire. Trahison ? Certes non. Car le rire truculent, grivois, est omniprésent. Le maître mot est au décalage jubilatoire que l’adaptation-traduction d’Alexis Michalik rend crédible.
Sept comédiens, dix chansons, rebondissements et surprises, clins d’œil parodiques en foule, le texte est proprement dynamité. S’il explose sous les coups de boutoir portés à son intégrité littéraire, il en ressort vivifié et rajeuni en éclats de joie qui provoquent, sans états d’âme frileux, les éclats de rire des spectateurs. La mégère n’est peut-être pas apprivoisée, le public quant à lui est conquis. Vingtième Théâtre 20e. A.D. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici.


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