LES DOUZE PIANOS D'HERCULE

Article publié dans la Lettre n° 314


LES DOUZE PIANOS D’HERCULE de et par Jean-Paul Farré. Mise en scène Jean-Claude Cotillard.
Le pianiste apparaît sur scène. Queue de pie, chemise blanche, il est fin prêt, même si s’asseoir sur le tabouret lui cause un souci. La salle se concentre déjà sur la première œuvre qu'il va interpréter. Surprise du musicien lorsqu’il s’apprête à accéder aux touches et perplexité de l’auditoire qu’il prend à témoin : « il est fermé à clef, y'a pas la clé, si y'a pas la clé, j’peux pas jouer ». Tout en cherchant fébrilement le sésame, il explique que le piano est encore en travaux. Eh oui, il s’agit d’un piano historique, classé au « Patrimoine Sonore de l’Humanité ». Le public ne peut en aucun cas l’ignorer lorsqu’une fois la clé exhumée de sa cachette, il l'ouvre enfin ...
Après avoir expliqué à l’assistance que tout le monde est coincé là jusqu’à six heures du matin, car les artistes font les trois huit, il commence à interpréter l’unique sonate pour piano opus 1 et dernier de Frédéric Pincho, un compositeur resté méconnu. Dame, une seule œuvre, c’est un peu court pour acquérir une certaine notoriété ! Grisé par la sonate, il en entreprend l’analyse afin que chacun en apprécie le fond et jouisse sans entrave, ce qui l’oblige à entrer dans une véritable saga familiale dont Frédéric est le héros. Briffé sur la cadence, l’arpège, le trille, le croisement des mains (dessus et dessous), l’auditoire jouit sans peine. Cela valait vraiment le coup de décortiquer l’œuvre du petit Frédéric ! Galvanisé par l’exécution de ce premier morceau, l’artiste attaque une mélodie bâtie sur une gamme pentatonique qui permet d'assister à la première grande traversée du clavier d’Est en Ouest par la musique chinoise, traversée faite en plusieurs vagues et d’autant plus périlleuse que les exécutants « portaient sur leur dos le lourd fardeau des gammes pentatoniques ». Puis enfin, révolution dans l’art du piano, notre concertiste achève ce concert haut de gamme en s’essayant à la première audition mondiale de « Giboulée II », double séquence en deux temps, trois mouvements, sous les applaudissements nourris des mélomanes conquis.
Le Molière du Théâtre Musical 2010 est une récompense hautement méritée pour Jean-Paul Farré qui, comédien aussi accompli au théâtre qu’au cinéma, nous enchante aussi depuis plus de trente ans avec ses « seul en scène » musicaux. Le piano, ici, est sa chose qu’il met dans tous ses états. La musique semble d’ailleurs faire partie de lui-même, elle est dans sa tête ou au bout de ses doigts. Il fut un temps - le fait-il toujours? - où il signait ses autographes avec une portée, une clef de sol et deux notes : fa et ré, bien sûr ! Jean-Paul Farré s'est choisi un complice de choix en la personne de Jean-Claude Cotillard, metteur en scène aussi éclectique que génial, pour organiser et porter à la scène les myriades d’idées et les facéties toutes plus farfelues les unes que les autres dont son imagination débordante a le secret.
On lui demande souvent quand il a commencé le piano, mais, selon lui, on n’ose pas lui demander quand il arrêtera ! Ce n’est pas qu’on n’ose pas, on n’y pense même pas ! Théâtre Petit Hébertot 17e. Cliquez ici pour voir des visuels du spectacle.


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