FELIX VALLOTTON
Le feu sous la glace
Article
publié dans la Lettre n° 360
du
18 novembre 2013
FELIX VALLOTTON. Le feu sous la glace.
Né à Lausanne en 1865, Félix Vallotton s’installe à Paris en 1882
et entre à l’Académie Julian, très renommée. Il restera toute sa
vie en France et obtiendra sa naturalisation en 1900. A ses débuts
il se consacre essentiellement à la xylographie dont on peut voir
de nombreuses épreuves dans la présente exposition. En 1893 il est
accepté par le groupe des Nabis qui le surnomment le « Nabi étranger
». Il participe à la plupart des salons (Salon des Indépendants,
Salon d’automne), où ses œuvres suscitent enthousiasme ou controverses,
voire moqueries.
Cet artiste est avant tout un dessinateur, à contre-courant des
mouvements impressionniste ou fauve de son époque. Cela se remarque
bien dans ses toiles où le trait a une très grande importance. C’est
un peintre exigeant et il aime retrouver ce trait de caractère chez
les peintres qu’il admire, comme Ingres ou Cézanne, et en rend compte
dans ses chroniques. En effet, à côté de sa vie d’artiste il écrit
beaucoup : trois romans, sept pièces de théâtre, dont une seule
est publiée, des critiques artistiques, et se lie d’amitié avec
des écrivains comme Octave Mirbeau ou Jules Renard. Son ouvrage
le plus intéressant pour ses biographes est son « Livre de raison
», journal qu’il tiendra de 1885 à 1921, dans lequel il répertorie
chronologiquement toutes ses œuvres. En 1914 il souhaite s’engager
dans l’armée, ce qui lui est refusé vu son âge. Il ira cependant
quelques jours au front, en mission artistique aux armées, et réalisera
des œuvres très fortes sur cette période. Il meurt d’un cancer en
1925, à l’âge de soixante ans.
Pour présenter cet artiste fécond, travailleur acharné (plus de
1700 toiles), les commissaires ont sélectionné 110 peintures et
60 gravures accrochées d’une manière très originale, par thèmes,
dans une magnifique scénographie de Sylvain Roca et Nicolas Groult,
qui ont souhaité mettre en place une « dramatisation progressive
de l’espace ».
L’originalité se trouve dans le choix des dix sections. On commence
par des thèmes propres à la manière de peindre de Vallotton, pour
terminer par les sujets de prédilection de celui-ci. Il en résulte
que les explications données dans les cinq sections de la première
partie de l’exposition, au rez-de-chaussée, s’appliquent non seulement
aux œuvres venant illustrer les propos des commissaires, mais également
dans les œuvres représentatives des cinq thèmes, présentées au premier
étage. Cela donne beaucoup d’intérêt à cette exposition et permet
de mieux cerner cet artiste que l’on dit « inclassable ».
La première section, « Idéalisme et pureté de la ligne », nous montre
avec des portraits (Autoportrait à l’âge de vingt ans, 1885)
ou des nus (Le Bain turc, 1907), le style de Vallotton. La
deuxième, « Perspectives aplaties », décrit la façon dont l’artiste
représente l’espace, avec des vues plongeantes (Scène de rue
à Paris, 1897) ou un horizon très haut (La Grève blanche,
Vasouy, 1913). La troisième, « Refoulement et mensonge » nous
montre comment Vallotton arrange ses décors pour présenter des saynètes
(La Chambre rouge, 1898 ; Intérieur avec femme en rouge
de dos, 1903).
Avec « Un regard photographique », nous voyons l’usage que Vallotton
faisait des photographies, les siennes ou celles qu’il trouvait
dans des ouvrages spécialisés, comme L’Etude académique (1904
; 1911), pour composer ses toiles. En regard de ses tableaux, les
commissaires ont mis les photographies dont il s’est probablement
inspiré (Femme fouillant dans un placard, 1901). Parfois
il a utilisé plusieurs photos d’où d’étranges bizarreries dans la
perspective (Le Ballon, 1899) !
Une section, « La violence tragique d’une tache noire », tirée d’un
commentaire de Thadée Natanson de 1899, est entièrement consacrée
à ses gravures sur bois. On y trouve des portraits d’écrivains (A
Edgar Poe), des paysages (Le Mont Blanc) et des séries
comme la suite Intimités ou le noir occupe plus d’espace
que le blanc. Vallotton abandonnera la gravure et la lithographie
en 1890 pour se consacrer uniquement à la peinture. Il la reprendra
cependant en 1916 pour sa série C’est la guerre !
Les sections suivantes traitent de différents sujets. Le premier
est « Le double féminin ». Vallotton a peint un grand nombre de
toiles avec deux personnages féminins, souvent distants, mais dans
des mises en scène lourdes de sous-entendus, comme il l’avouait
lui-même.
Avec « Erotisme glacé », nous avons des nus, de face, dans des poses
provocantes mais figées (L’Automne, 1908; Baigneuse de
face, fond gris, 1908 ; Femme couchée sur fond violet,
1924). C’est aussi dans cette section qu’est accrochée une composition
mystérieuse Le Bain au soir d’été (1892-1893) que l’on a
rapproché à La Fontaine de Jouvence.
Avec « Opulence de la matière », on peut voir aussi bien des natures
mortes (Poivrons rouges, 1915) que des portraits (Africaine,
1910), des nus (La Salamandre, 1900) et une curieuse Etude
de fesses (vers 1884)!
La neuvième section « Mythologies modernes » a fait sourire à son
époque où ce type de sujets n’avait plus cour. Vallotton les interprète
à sa manière, avec ses habituels nus plantureux, de façon parfois
ironique (Persée tuant le dragon, 1910), parfois dramatique
(Orphée dépecé, 1914) et même tellement osée (Femme nue
lutinant un Silène, 1907) que son marchand n’avait pas voulu
l’exposer !
Orphée dépecé nous conduit tout naturellement à la dernière
section, « C’est la guerre ! » où Vallotton présente de diverses
manières les conséquences dramatiques de la guerre de 1914-1918
(Verdun, 1917) ou de n’importe quel conflit (L’Homme poignardé,
1916). En conclusion c’est une magnifique rétrospective qu’il faut
absolument voir. R.P. Grand Palais 8e. Jusqu’au 20 janvier 2014.
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