« UNE BALLADE D'AMOUR ET DE MORT :
Photographie préraphaélite en Grande Bretagne,
1848-1875 »


Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 325
du 11 avril 2011


UNE BALLADE D'AMOUR ET DE MORT : Photographie préraphaélite en Grande Bretagne, 1848-1875. John Ruskin, historien et critique d'art, dessinateur à ses heures, exhorte les peintres, dans le premier volume sur " Les Peintres modernes " (1843), à travailler en plein air et à étudier la nature dans ses moindres détails. A la même époque, en 1848, en réaction contre l'art victorien et la décadence dans laquelle était tombée la peinture britannique depuis la vieillesse de Turner, de jeunes artistes se groupent en une " confraternité préraphaélite " afin de créer une peinture radicalement différente, plus pure, plus sincère et plus proche de la nature, une peinture inspirée par les primitifs italiens, avant les conventions apportées par Raphaël et ses émules. Ils ont le soutien de John Ruskin.
A la même époque la photographie est en plein développement. La nouvelle technique du négatif verre au collodion humide, plus rapide et transparente, est meilleure pour le portrait et permet une vision précise. Ces photographes fréquentent les peintres dont ils font le portrait, partageant avec eux le goût du plein air. Parmi les préraphaélites, on trouve donc des peintres mais aussi des photographes et des écrivains tels que Oscar Wilde, William Morris, Whistler ou encore, mais pour son œuvre photographique, Lewis Carroll. La présente exposition, déjà présentée à la National Gallery of Art de Washington, ne s'intéresse pas qu'à la photographie mais aussi à la peinture, mettant ainsi en regard, pour un même sujet le travail du peintre et du photographe. C'est le cas du modèle Jane Morris, photographiée par John Parsons, durant l'été 1865 (13 photographies de Jane Morris posant dans le jardin de la maison de Rossetti) et peinte par Dante Gabriel Rossetti (Jane Morris, la robe de soie bleue), en 1868. Le réalisme de la peinture est surprenant, mettant en pratique les préceptes de Ruskin pour qui la photographie devait servir à capter ce que l'œil ne peut pas voir.
Le parcours de l'exposition se déroule en six salles. Après une introduction sur «l'œil ruskinien», les deux salles suivantes sont consacrées aux «phénomènes naturels». Là sont expliquées les difficultés rencontrées par les photographes de l'époque pour rendre à la fois le bleu du ciel et les bruns et verts des paysages sur un même cliché, tandis que les peintres, au courant des découvertes de Chevreul sur la composition des rayons lumineux, observaient les effets du soleil sur les couleurs, qui donnaient une série de teintes brillantes même dans les parties les plus ombrées de leurs tableaux.
La salle 4 est consacrée aux portraits et aux études de figures. Dans ce cas, c'est la longueur des temps de pose qui posait problème et semblait rendre impossible l'expression humaine dans toute sa vivacité. Les photographes résolurent ce problème avec des visions floues, des plans rapprochés, de forts contrastes lumineux, plus propices aux sujets dramatiques qu'aux sujets plus légers. Julia Margaret Cameron est la photographe la plus représentative de cette section avec de remarquables compositions (Tristesse (Mrs Watts), 1864 ; Le Tournesol, 1866).
Les préraphaélites s'intéressèrent aussi aux scènes inspirées par la poésie, l'histoire et la religion. C'est le sujet de la salle 5 où l'on voit que les photographes veulent prouver que la photographie est capable de raconter avec talent des histoires, comme le font les peintres. Citons, là aussi, Cameron avec Le Roi Lear partageant son royaume entre ses trois filles, 1872.
Dans la dernière salle, nous voyons des photographies traitant de thèmes issus de la vie moderne, à caractère social ou moral, comme la très belle photographie de Henry Peach Robinson, Fading Away (Agonisante), 1858, plus faciles à mettre en scène et à rendre avec la photographie que les sujets intimes de la vie quotidienne. Il faudra attendre la première moitié du XXe siècle pour que la photographie puisse atteindre et dépasser ce naturel que la peinture et le dessin avait su imiter depuis bien longtemps. La confraternité préraphaélite s'était dissoute en 1854 avec les départs à l'étranger de Hunt et Woolner, chacun suivant sa voie. En peinture, le mouvement préraphaélite cède la place au mouvement Esthétique dans les années 1880, tandis que la photographie est à la source du mouvement pictorialiste dans les années 1890. Une très belle exposition sur un mouvement artistique dont on parle peu. Musée d'Orsay 7e. Jusqu'au 29 mai 2011.
Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.musee-orsay.fr.


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