LA TOILETTE
NAISSANCE DE L’INTIME

Article publié dans la Lettre n° 380
le 23 mars 2015

 


LA TOILETTE. NAISSANCE DE L’INTIME. Avec cette exposition, c’est toute l’histoire de la toilette, du 16e siècle à nos jours, qui est illustrée. Le parcours commence par une tapisserie du musée de Cluny, Le Bain (vers 1500), illustrant un bain somptueux. On y voit des musiciens et des domestiques dans une nature luxuriante autour d’une dame nue dans un grand bassin. Cette scène étonnante n’est ici que le prétexte à célébrer le nu. Il en est de même du Portrait présumé de Gabriel d’Estrée et la duchesse de Villars au bain (anonyme, fin du 16e siècle), montrant deux femmes, vêtues d’une fine chemise, dans une baignoire. Autour de ces tableaux nous avons des œuvres de Dürer, du Primatice et de l’atelier de François Clouet, entre autres, illustrant des sujets analogues. Les commissaires nous expliquent que si l’usage de l’eau était encore générale au 15e siècle, à partir du 16e elle est considérée comme dangereuse pour la santé et seuls les gens riches l’utilisent pour se laver.
A partir du 17e siècle, l’eau fait place à la toilette sèche. Celle-ci se pratique dans la chambre, ouverte aux visiteurs, sur une table recouverte d’un linge fin, la toilette proprement dite. La femme se nettoie ainsi le visage avec un linge blanc pour le décrasser. Cette pratique est illustrée, entre autres, par Jeune Femme à sa toilette de Nicolas Régnier (1626), La Vue (femme à sa toilette) d’après Abraham Bosse (après 1635), La Femme à la puce de Georges de la Tour (1638).
Avec le 18e siècle l’eau revient peu à peu. On invente le pédiluve et le bidet. Il n’y a pas encore de lieu dédié à la toilette et si l’on admet la présence de domestiques du même sexe dans son boudoir (pour les femmes), ou son cabinet privé (pour les hommes), ce n’est que par accident qu’un intrus fait irruption ! Les illustrations sont nombreuses telle cette Jeune femme à sa toilette de François Eisen (1742) et surtout les quatre tableaux en médaillon de François Boucher, les deux premiers, une femme en vert jouant avec un chien et une femme en rose jouant avec un enfant, masquant les mêmes femmes faisant leurs besoins dans un bourdalou ou une chaise percée, tableaux que leur propriétaire ne montrait qu’à quelques personnes, comme on le fera plus tard avec L’Origine du monde de Courbet !
Après 1800, la toilette devient très intime et se pratique dans un lieu clos, sans témoin. Les peintres se bornent le plus souvent à représenter des femmes se coiffant ou s’habillant. Un exemple nous est donné avec La Toilette avant le sacre (vers 1865) d’Hector Viger. Néanmoins dans La Salle de bains gothique (1810), Jean-Baptiste Mallet nous montre une jeune femme nue. A la fin du 19e siècle, l’eau courante fait peu à peu son apparition et la pratique d’ablutions quotidiennes devient une exigence hygiénique. Les peintres s’emparent du sujet de la femme à sa toilette pour renouveler le genre du nu, avec des femmes « ordinaires » dans toutes sortes de situations, très loin des modèles académiques. Les illustrations sont nombreuses avec des tableaux de Suzanne Valadon, Théophile-Alexandre Steinlen, Edgar Degas et un peu plus tard Pierre Bonnard, ces deux derniers étant les plus familiarisés avec ce sujet qu’ils traitent abondamment.
Le vingtième siècle, avec ses avant-gardes, relève le défi de traiter le nu féminin d’une manière non imitative. Nous avons ainsi des tableaux et sculptures de Picasso, Kupka, Léger, Gromaire, Capek, Gonzalez qui renouvellent le genre sans vraiment nous renseigner sur ce qu’est la toilette à leur époque. Enfin, à la fin du vingtième siècle, le sujet n’est plus vraiment d’actualité et les œuvres montrant des femmes à leur toilette sont plutôt des études pour des publicités. Une exposition inédite, avec une centaine d’œuvres remarquables, parfois peu connues, agréable à voir et très instructive. Musée Marmottan Monet 16e. Jusqu’au 5 juillet 2015. Lien : www.marmottan.com.


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