TITIEN, TINTORET, VERONESE ...
Rivalités à Venise

Article publié dans la Lettre n° 301


TITIEN, TINTORET, VERONESE … Rivalités à Venise. Le Louvre inaugure la nouvelle saison avec une exposition magistrale consacrée aux grands peintres qui travaillaient à Venise dans la seconde moitié du XVIe siècle. La République de Venise, de part son régime politique exceptionnel à cette époque, ses riches familles et ses confréries (scuole) permettaient une grande liberté pour choisir les artistes et donc stimulaient ces derniers pour avoir des commandes. Dans certains cas d’une exceptionnelle importance, comme le décor de la tribune du Doge dans le palais des Doges, les commanditaires organisaient des concours, comme aujourd’hui pour les grands projets d’architecture. L’exposition rend compte de trois de ces concours et nous montre aussi l’emplacement des œuvres à l’époque sur une grande carte de Venise.
Le parcours de l’exposition, d’une grande limpidité, avec des panneaux et des cartels très détaillés pour les quatre-vingt-six tableaux exposés, est organisé en six parties à la fois thématiques et chronologiques. Elles sont précédées d’une introduction avec des toiles de Titien (1488/90-1576), alors en pleine maturité et dont le style est en constant renouvellement, et des jeunes artistes que sont alors Tintoret (1519-1594) et surtout Véronèse (1528-1588), qui bénéficia du soutien du grand maître.
La première section, « Portraits de représentation » nous montre comment les peintres vénitiens, à la suite du Titien, représentaient ces gens de pouvoir avec, pour les hommes, leur tenue officielle, les emblèmes de leur pouvoir et, en arrière plan, le lieu où ils s’étaient illustrés. Il en résulte que la forme de tous ces portraits est d’une très grande homogénéité et poserait, aujourd’hui encore, des problèmes d’attribution !
La seconde section, « Le reflet et l’éclat », est très originale. Elle montre les travaux de ces peintres pour prouver, dans le cadre de cette discussion sur la suprématie d’un art sur les autres, le paragone, que la peinture l’emporte sur la sculpture. A ce titre les artistes jouent avec le reflet des personnages dans de l’eau, un miroir, etc. pour nous montrer, d’un seul point de vue, le personnage sous toutes ses faces, ce que la sculpture ne peut pas faire ! Il en résulte des œuvres sublimes comme la Suzanne et les vieillards de Tintoret (1555-1556) ou les Vénus au miroir de Titien (1555) et de Véronèse (1585).
La troisième section, « Entre sacré et profane » nous montre la grande liberté prise par les peintres vénitiens pour traiter les sujets. Il s’agit d’un mélange des genres où l’on ne fait plus la différence entre le portrait, la scène sacrée, la scène de genre, la nature morte. Parmi les exemples les plus significatifs, le thème des Pèlerins d’Emmaüs devient un repas sur une magnifique nappe brodée chez Titien et une sorte de fête dans une grande famille où l’on se demande ce que le Christ peut bien faire ici, chez Véronèse ! Ce mélange des genres vaudra à ce dernier un procès de l’inquisition en 1573 pour sa Dernière Cène, destinée au couvent de Santi Giovanni e Paolo, renommée ensuite Repas chez Lévi pour justifier la présence de personnages hors sujet et l’abondance de détails profanes ! Cette section présente aussi des portraits d’animaux, en particulier Deux chiens de chasse liés à une souche (1548-1549) de Jacopo Bassano (1510-1592), qui est le premier du genre, les animaux n’apparaissant auparavant qu’en compagnie de personnages.
La quatrième section, « Nocturnes sacrés », montre le parti pris de dramatisation des scènes bibliques par le jeu des lumières. Ainsi Bassano utilise pour sa Déposition du Christ (1580-1582) un cierge, placé au centre, comme seule source d’illumination, ce qui fait surgir les personnages de l’ombre, comme des fantômes. Le même place la scène du Baptême du Christ (1592) dans la nuit, ce qui la connote d’un sens de mort et de martyre et préfigure la Passion.
La cinquième section, « L’art en personne », montre l’intérêt des artistes et des collectionneurs à se faire représenter. Nous avons ainsi un saisissant portrait d’un grand amateur d’art, Jacopo Strada, peint par Titien en pleine négociation d’achat d’objets d’art, tandis que le portrait de son fils était peint par Tintoret, sans doute plus accessible que le grand maître ! Nous avons aussi les Autoportraits de Titien (1562) et de Tintoret (1588), de profil, comme une effigie commémorative pour les siècles futurs, pour le premier, et de face afin de se singulariser des autres portraits d’artistes illustres de la collection d’Hans Jakob König, pour le second.
S’ouvre alors une parenthèse consacrée aux « Petits formats décoratifs », le plus souvent destinés à orner des meubles, que les grands maîtres ne dédaignèrent pas tant ce genre suscitait l’engouement des vénitiens. Puis nous arrivons dans la sixième et dernière section, « La femme désirée ». Deux thèmes, relatant essentiellement des scènes mythologiques ou légendaires, sont abordés dans cette section : celui de la femme en péril et celui de la femme offerte. Au premier appartiennent des sujets comme Tarquin et Lucrèce (Titien, Tintoret, Palma le Jeune), Persée et Andromède (Véronèse) ou Suzanne et les vieillards (Bassano), au second Mars et Vénus (Véronèse, Lambert Sustris) et surtout Danaé (Titien, Tintoret).
Le plus passionnant dans cette exposition, outre le fait d’y voir réuni un grand nombre de chefs d’œuvre venus des plus grands musées internationaux, est cette confrontation des mêmes sujets, traités à la même époque, par ces grands peintres. Musée du Louvre 1er. Jusqu’au 4 janvier 2010. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien : www.louvre.fr.


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