Parcours en images et en vidéos de l'exposition

MATISSE, COMME UN ROMAN

avec des visuels mis à la disposition de la presse,
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°517 du 3 février 2021



 

Matisse
comme un roman

Au défi de faire le portrait de Matisse, l'écrivain Louis Aragon avait répondu : oui, si c'est un roman. Rencontrant le peintre à Cimiez, sur les hauteurs de Nice, en 1941, Aragon publie Henri Matisse, roman trente ans plus tard. Comme dans le livre, l'exposition reprend comme fil conducteur son principe de cheminer dans l'œuvre, cherchant aussi à capter « une lueur sur ce qui se passe ».

Pour Henri Matisse (1869-1954), « l'importance d'un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu'il aura introduits dans le langage plastique. » Sa vie durant, il a été cet artiste, et son œuvre pionnière, menée sur plus de cinq décennies, continue de produire sur celui qui la regarde un éblouissement optique, une intensification du regard. La trajectoire de Matisse dans le siècle semble être la traduction, chaque fois singulière, de l'adage de Cézanne : il faut se faire une vision.

Parce qu'une exposition est avant tout un cadrage, l'image de la fenêtre - ce motif matissien entre tous - parle aussi du peintre moderne ayant porté le plus haut au 20e siècle un projet à la fois décoratif et critique. La Porte-fenêtre à Collioure peinte par Matisse en 1914 - cette œuvre emblématique du Musée national d'art moderne qui a tant retenu les artistes depuis sa redécouverte en 1966 - n'est pas simplement ce « balcon ouvert » dont parlait le peintre. Elle est une invite à revoir autrement une œuvre dont Aragon disait qu'elle était « le plus mystérieux des tableaux jamais peints », ouvrant « Sur cet ‘espace’ d'un roman qui commence ».

 

Paul Cézanne
Trois baigneuses, 1879-1882.


Acquise auprès du galeriste Ambroise Vollard en 1899, cette toile de Cézanne tient une place singulière dans la collection personnelle de Matisse. Véritable modèle par son sujet même - ces trois baigneuses viendront nourrir un intérêt ininterrompu pour le nu féminin - c'est avant tout la structure interne de la peinture de Cézanne qui le retient : conçue comme un équilibre de forces, le tableau forme une unité indivisible, un espace impénétrable, un bloc de sensations. Au tournant du siècle, en proie au doute sur la direction à prendre, la peinture du maître d'Aix le conforte dans ses recherches : « Si Cézanne a raison, j'ai raison, et je savais que Cézanne ne s'était pas trompé. » Ce talisman accompagnera l'artiste jusqu’à sa maturité : assuré de ce que son œuvre  lui doit, Matisse peut alors en faire don au Petit Palais en 1936.

Texte du panneau didactique.
 
Paul Cézanne. Trois baigneuses, 1879-1882. Huile sur toile. Petit Palais, Musée des beaux-arts de la Ville de Paris. Don de Monsieur et Madame Henri Matisse, 1936.

Plan de l'exposition


1 - Où marquer ce commencement ? 1895-1903


Scénographie


1 - Où marquer ce commencement ? 1895-1903 L’œuvre de Henri Matisse s’embrase à partir de plusieurs foyers : autant d’étapes qui, déjouant toute progression linéaire, s’offrent comme les scansions presque simultanées d’une plongée en soi. En 1891, Matisse entre auprès de William Bouguereau à l’académie Julian – il en retiendra une prédilection pour le nu et une rigueur absolue – mais il lui manque un espace de liberté pour que cette discipline ne se fige pas en procédé. Il le trouve l’année suivante dans l’atelier de Gustave Moreau à l’École nationale des beaux-arts. Là, Matisse diversifie les modèles, de la sculpture antique aux maîtres du Louvre, tout en se laissant la liberté de regarder ailleurs, notamment vers la figure singulière que représente alors Paul Cézanne. Il élargit le cadre d’apprentissage : par-delà l’atelier ou le musée, il travaille au plein air et se confronte à d’autres lumières, voyageant en Bretagne (1895-1897) et en Corse (1898). À chaque fois alors que son œuvre se cristallise dans une manière qui pourrait s’établir, Matisse marque un coup d’arrêt – nourrissant à partir de là un autre départ de feu. Car il s’agit pour l’artiste de s’exercer, par des mains multiples, afin de trouver une écriture qui lui soit propre. Ne ressembler qu’à soi-même, c’est ainsi le conseil adressé à son camarade Victor Roux-Champion en 1896 – « […] être personnel avant tout et pour cela être sincère. Seriez-vous aussi fort qu’Holbein, vous n’existeriez pas, vous ne seriez qu’une doublure » – dans une formule qui tient lieu d’engagement.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Académie d’homme, vers 1900. Huile sur toile. Musée Cantini, Marseille.
 
Henri Matisse (1869-1954). Autoportrait, 1900. Huile sur toile, 55 × 46 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Georges Meguerditchian / Dist.Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu aux souliers roses, 1900. Huile sur toile, 73 × 59,5 cm. Collection particulière. © Succession H. Matisse. Photo : DR.
 
Henri Matisse (1869-1954). La Liseuse, 1895. Huile sur bois. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat de l’État, 1896. Attribution, 1961. Dépôt au Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis.
 
Henri Matisse (1869-1954). Belle-Isle, 1896. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs Albert Marquet, 1949. Dépôt au Musée des beaux-arts de Bordeaux.

LOUIS ARAGON

ANTHOLOGIE I (1971)

« Mais les Matisse à proprement parler, dans les premiers temps, natures mortes ou scènes d'intérieur, peu éclairés, de couleurs sans éclat, ne font en rien prévoir ce que sera le Matisse que nous connaissons [...]. Sans doute était-ce cela que Gustave Moreau redoutait chez son élève quand il lui disait : “Vous allez simplifier la peinture.” [...] Il ne faudrait pas beaucoup me pousser pour que je m'inscrive en faux devant la formule de Gustave Moreau : et que je dise que Matisse a rendu plus complexe le problème de peindre, compliqué la peinture, posant devant tous les peintres à venir l'exigence de  l'invention, une exigence incessante, qui dès le début de ce siècle ouvre les temps nouveaux de la peinture. Où marquer ce commencement ? À tel ou tel tableau ? »
 
Henri Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971

 
Citation
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte à la bouteille de schiedam, 1896. Huile sur toile. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis. Donation de Madame Marie Matisse en 1982.
 
Henri Matisse (1869-1954). Première nature morte orange, 1899. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1972. Dépôt au Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte. Buffet et table, 1899. Huile sur toile. Kunsthaus Zürich.
 
Henri Matisse (1869-1954). Paysage corse, 1898. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs de Georges Grammont à l’État français pour dépôt au Musée de l’Annonciade, Saint-Tropez, 1959.
 
Henri Matisse (1869-1954). Pont Saint-Michel, vers 1900. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 2001.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Jaguar dévorant un lièvre, d’après Barye, 1899-1901. Bronze. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis. Donation de l’artiste en 1952.
 
Henri Matisse (1869-1954). Étude de tigre (recto), 1900. Encre de Chine sur papier. Collection particulière, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Bouquet de fleurs dans la chocolatière, 1902. Huile sur toile. Musée national Picasso-Paris. Donation Pablo Picasso, 1973/1978. Collection personnelle Pablo Picasso.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte à la chocolatière, 1900-1902. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation Alex Maguy-Glass, 2002.


2 - Un bloc lumineux. 1904-1905


Scénographie


2. Un bloc lumineux. 1904-1905

Un basculement s’opère à l’été 1905. Après des années d’apprentissage et de formation marquées par une confrontation ininterrompue avec les mouvements artistiques majeurs de l’époque – tout récemment encore avec le néo-impressionnisme en la personne de Paul Signac – Matisse se rend à Collioure, bientôt rejoint par André Derain. Tous deux travaillent alors, dans un mouvement de concentration plastique et théorique extrême, à un nouveau modèle de l’image. L’enjeu n’est autre que d’affranchir la toile de la représentation mimétique d’un sujet : les lignes ne viennent plus délimiter des contours ni les aplats définir aucune surface, seuls les rapports de couleurs pures structurent la composition. Même chose dans les dessins et gravures – et notamment dans une suite magistrale qui culmine avec le Grand bois – où la surface s’organise indépendamment de tout motif, par le seul équilibre de l’architecture des blancs et des noirs. L’ensemble de ces œuvres picturales et graphiques est présenté aux côtés de celles de ses camarades – Derain bien sûr, mais aussi Charles Camoin, Henri Manguin et Georges Rouault notamment – dans la salle VII du Salon d’Automne de 1905 révélant, avec éclat, ce que la critique qualifiera de « fauvisme ». L’année suivante, Matisse se représente dans un Autoportrait saisissant, et même, note le critique Charles Lewis Hind, « radioactif ». Il y fait acte de sa position ambiguë : en l’absence de centre assignable, il est la figure dominante de cette histoire collective, mais reste solitaire dans le projet auquel il est rivé.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Autoportrait, 1906.  Huile sur toile, 55 × 46 cm. Statens Museum for Kunst, Copenhague. © Succession H. Matisse. Photo © SMK Photo / Jakob Skou-Hansen.
 
Henri Matisse (1869-1954). La Sieste, 1905. Huile sur toile, 60 × 73 cm. Merzbacher Kunststiftung. © Succession H. Matisse. Photo © Merzbacher Kunststiftung.
 
Henri Matisse (1869-1954). Luxe, calme et volupté, automne 1904. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation 1982. Dépôt au Musée d’Orsay, 1985.
 
Henri Matisse (1869-1954). La Moulade, 1905. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). La Plage rouge, 1905. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie avec, de Henri Matisse (1869-1954) :
- au centre : Le Grand Bois, 1906. Gravure sur bois sur vélin Van Gelder.
Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, Paris.
- à gauche : Petit bois noir, 1906. Xylographie sur papier.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris.

HENRI MATISSE
LETTRE À MARGUERITE DUTHUIT (1949)

« Un tableau fauve est un bloc lumineux formé par l'accord de plusieurs couleurs, formant un espace possible pour l’esprit (dans le genre, à mon sens, de celui d’un accord musical). L’espace créé peut être vide comme une pièce d’appartement mais l’espace est tout de même créé. Suis-je clair ? Je le crois. »

Citée dans Georges Duthuit, Les Fauves (1949), Paris, Michalon, rééd. 2006

 
Citation
 
Henri Matisse (1869-1954). La Gitane, 1905. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs de Georges Grammont à l’État français pour dépôt au Musée de l’Annonciade, Saint-Tropez, 1959.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Madame Matisse en kimono, 1905. Crayon et encre sur papier vélin. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). Rue de Collioure, 1905. Crayon et encre de Chine sur papier. Collection particulière, Paris.
Scénographie avec, de Henri Matisse (1869-1954) :
- au centre : Nu accroupi, profil à la chevelure noire, 1906. Lithographie sur Japon.
Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, Paris
- à droite : Nu au pied droit sur un tabouret, 1906. Lithographie sur Japon.
Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Port d’Abaill, 1905. Huile sur toile. Collection particulière, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Barques à Collioure, vers 1905. Plume et encre sur papier contrecollé sur papier fort. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis.


3 - L’aube de l’art. 1906-1909


Scénographie


3. L’aube de l’art. 1906-1909

Matisse trouve une voie d’affirmation privilégiée de la modernité dans des œuvres ou des objets dont le caractère « primitif » renvoie tout autant aux origines de l’art européen qu’aux arts non-occidentaux. Loin de la nostalgie d’un passé révolu ou de la fascination pour un art lointain, ce qui le retient réside dans l’actualité de ces formes : elles offrent un appui nécessaire pour renouer de manière originaire avec les êtres et les choses. Sans hiérarchie entre les genres ni prédilection pour une époque, au gré de ses voyages, il regarde dans plusieurs directions. Celle des tissus et tapis orientaux, d’abord, cherchant dans la juxtaposition des surfaces une mise en tension qui rompe avec l’illusion mimétique – Les Tapis rouges repose, justement, sur ce rapport entre décoration et expression. Matisse décèle encore dans la sculpture africaine un équilibre entre les masses à même de renouveler le modèle classique du nu, tandis qu’il reprend des mosaïques byzantines la simplification des volumes et la représentation de l’espace pour contrer toute perspective. En témoigne notamment le portrait hiératique de sa fille Marguerite, figure de l’attention qui requiert le regard du spectateur pour s’animer, quand sa Marguerite lisant, figure de l’absorption, y résiste. L’œuvre vient d’ailleurs ouvrir les Notes d’un peintre (1908) dans lesquelles Matisse formule pour la première fois, clair et lucide, les propres fondements de son art.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Luxe I, 1907. Huile sur toile, 210 × 138 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Philippe Migeat / Dist. Rmn-Gp.
Vitrine
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu assis, 1909.3 Huile sur toile. Musée de Grenoble. Legs Agutte-Sembat, 1923.
 
Henri Matisse (1869-1954). Tête de jeune femme, vers 1909. Faïence stannifère à décor de grand feu polychrome. Musée de Grenoble.

CHARLES LEWIS HIND

LES CONSOLATIONS D'UN CRITIQUE (1911)


« Matisse est un reclus en révolte, un radical rouge dont le but n’est pas de renverser les solennités et les hiérarchies, mais de les fuir. [...] Il semble peindre comme l'aurait fait un enfant à l’aube de l’art et ne voit dans les formes et les couleurs que l’essentiel ; il voit tout en détail et affirme sa vision des choses avec une ferveur enfantine. Passez une semaine parmi ses peintures insolites, insolentes, souillées, zébrées et vous sentirez qu’elles vous transmettent quelque chose, une fois surmonté le premier déplaisir, quelque chose qui restera. Par leur rythme, c’est la vie même qu’elles communiquent. »
Londres, A. and C. Black, 1911

 
Citation
 
Henri Matisse, « Notes d’un peintre » [traduction russe], La Toison d’Or, n°6, 1909. Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, Paris.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Portrait de Pierre, 1909. Huile sur toile. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). Marguerite, 1907. Huile sur toile. Musée national Picasso-Paris. Donation Pablo Picasso, 1973-1978. Collection personnelle Pablo Picasso.
 
Henri Matisse (1869-1954). Marguerite lisant, 1906. Huile sur toile. Musée de Grenoble. Legs Agutte-Sembat, 1923.
 
Henri Matisse (1869-1954). Les Tapis rouges, 1906. Huile sur toile, 86 × 116 cm. Musée de Grenoble. © Succession H. Matisse. Photo © Ville de Grenoble / Musée de Grenoble - J.L. Lacroix.
 
Henri Matisse (1869-1954). L’Algérienne, 1909. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs du vicomte Guy de Cholet aux Musées nationaux, 1916. Attribution 2009.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu couché I, 1907. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don des héritiers d’Alphonse Kann, 1949.
Scénographie
Henri Matisse (1869-1954). Intérieur aux aubergines, 1911. Détrempe à la colle sur toile, 212 × 246 cm.
Musée de Grenoble. Don de Madame Amélie Matisse et Mademoiselle Marguerite Matisse, 1922.
© Succession H. Matisse. Photo © Ville de Grenoble / Musée de Grenoble- J.L. Lacroix.
Intérieur aux aubergines, 1911

Intérieur aux aubergines est le troisième des « Intérieurs Symphoniques » réalisés par Matisse en 1911. Ce panneau, à l'instar des autres toiles de la série (La Famille du peintre, L'Atelier rose et L'Atelier rouge), marque l'importance accordée par l'artiste à la notion de décoratif. Les motifs saturent le regard et organisent une composition où les éléments sont juxtaposés sans hiérarchie ni perspective : fleurs du papier peint ou nature morte aux aubergines, tout semble sur un même plan. Un effet de bidimensionnalité qui donne à cette vue de l'atelier de Collioure une valeur plus ornementale que descriptive. Matisse savait l'importance de cette œuvre radicale : il racheta son propre tableau à Sarah et Daniel Stein, pour en faire don au Musée de Grenoble en 1922.
 

DOMINIQUE FOURCADE

RÊVER À TROIS AUBERGINES


«  Ce nouveau monde, lisons-le encore une fois, de conséquence en conséquence, dans Intérieur aux aubergines. Puisque c’est de lire qu’il s’agit, il est patent que l’ordre de lecture récitationnel pratiqué jusqu’alors par l’Occident est lui-même bouleversé. Qu’on essaye de parcourir Intérieur aux aubergines de gauche à droite : cela n’est possible que jusqu’au miroir au-delà duquel Matisse impose un mode de vision nouveau qui consiste à éliminer toute idée d’ordre de lecture. […] Le spectateur reprend dès lors les choses à leur point de départ, et le point de départ, nouvelle manifestation de la révolution en cours, est au centre ! Intérieur aux aubergines ne nous conduit plus, comme la peinture avait coutume de le faire, de la périphérie vers le centre, il fait l’inverse ; il nous expose un univers non plus centripète mais centrifuge, en expansion. Et aucun point de cet univers n’est picturalement privilégié par rapport au reste, car le centre est partout. »

Texte du cartel.
 
Citation


4 - Ressemblance en profondeur. 1910-1917


Scénographie


4. Ressemblance en profondeur. 1910-1917

Matisse a quarante-quatre ans lorsque la guerre éclate en août 1914. Sa réponse dans l’épreuve ne changera jamais : faire retour sur soi dans l’extrême concentration du travail. Autour de lui : la famille, les amis de passage, l’atelier du quai Saint-Michel, le jardin d’Issy-les-Moulineaux qui, tous, forment de « nouvelles sensations dans un décor familier ». La période qui s’ouvre confirme les avancées plastiques de Matisse, parvenu dès avant le début des années 1910 à l’invention d’un espace décoratif parfois au seuil de l’abstraction. La guerre voit encore l’adoption de nouvelles orientations d’une radicalité inouïe. Au contact de l’avant-garde parisienne et du cubisme en particulier, les tableaux opèrent une transaction presque fantastique, qui fusionne l’espace plastique et l’espace réel. La couleur noire s’impose aussi comme une nouvelle expression du sentiment de l’artiste. Lumineux ou réflexif, le noir rayonne progressivement et déclinera longtemps la complexité de ses effets dans l’œuvre. Le visage dépeint génère une «sensation principale» avant que l’étude du sujet ne fasse advenir une ressemblance autre, en profondeur. Ces portraits de proches (sa fille Marguerite, représentée avec son chat, nous dévisage dans sa fixité de carte à jouer) ou ces effigies de commande (le collectionneur Auguste Pellerin, l’actrice Greta Prozor) semblent atteindre une connaissance supérieure. Méditatifs, énigmatiques, ils sont aussi, comme le disait Leo Stein quelques années plus tôt, «beaux en quelque sorte».

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Auguste Pellerin II, 1917. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 1982.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Peintre dans son atelier, 1916-1917. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1945.
 
Henri Matisse (1869-1954). Intérieur, bocal de poissons rouges, 1914. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs de la Baronne Éva Gourgaud, 1965.
 
Henri Matisse (1869-1954). Porte-fenêtre à Collioure, 1914. Huile sur toile, 116,5 × 89 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Philippe Migeat / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jardin à Issy (L’Atelier à Clamart), vers 1917. Huile sur toile. Fondation Beyerler, Riehen/Bâle, Collection Beyerler.

GEORGES DUTHUIT

SI LA PEINTURE DE MATISSE...(1952)

« L'artiste voit surgir des figures dont il lui aurait été impossible de prévoir en quoi que ce soit la physionomie. Elles ne lui en paraissent pas moins comporter “toutes les finesses d'observation obtenues au cours des séances précédentes”. Et pourtant, elles ont jailli à ses yeux “comme d'un étang les bulles de fermentation intérieure”. Autrement dit, ce portrait, qui ne paraît plus ressembler du tout à la personne qui a posé, lui ressemble, au contraire, pour Matisse, en profondeur, comme de mémoire de peintre cela n'était encore jamais arrivé. »

Écrits sur Matisse, Paris,
École nationale supérieure des beaux-arts, 1992

 

 
Citation
 
Henri Matisse (1869-1954). Marguerite au chat noir, 1910. Huile sur toile, 94 × 64 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Georges Meguerditchian / Dist. Rmn-Gp.
Vitrine
 

Lettre de Matthew Stewart Prichard à Henri Matisse, 5 juillet 1918


Penseur anglais proche de Matisse dans les années 1910, Matthew Stewart Prichard est retenu prisonnier dans un camp en Allemagne durant la Première Guerre mondiale. La reproduction du portrait de Marguerite au chat noir punaisée aux murs de sa cellule l'accompagne avec ses camarades dans cette épreuve : « [...] nous avions suspendu par hasard sous cette reproduction une carte postale [...] représentant un grand Buddha dans une chapelle et [...] nous avions remarqué que votre Marguerite correspondait exactement à la conception de la merveilleuse statue bouddhique ! Je sais qu'ils suffisaient, l'un et l’autre, à nous mettre en un instant dans un état d'esprit permettant de supporter des heures de la plus moderne oppression de la part de nos ennemis. »

Lettre de Matthew Stewart Prichard à Henri Matisse, 5 juillet 1918. Facsimilé. © Succession Henri Matisse.
 
Panneau relatif à la lettre ci-contre.
Scénographie
 
En 1910, Matisse entreprend le portrait sculpté d'une voisine à Issy-les-Moulineaux, Jeannette Vaderin. Cherchant à « condenser la signification » du visage en dégageant ses « lignes essentielles », Matisse procède par décantation et agrégation de la forme, à partir de l'émotion première (qui résulte de la pose du modèle) jusqu'à l'expression dernière, aboutissant à ce qu'un critique verra lors de leur présentation en 1912 comme une « horreur finale ». Au-delà de la beauté que Matisse perçoit dans ce qui constitue un accord intime avec lui-même, c'est la conception énergétique de la forme dans l’espace qui prime, élaborée puis soumise à l'épreuve de quatre étapes aboutissant à Jeannette V, cette ultime version toute en projection vitale. Même en sculpture, quelque chose demeure de l'esprit de Cézanne dans l'appréhension de son art. Comme lui, Matisse aurait pu dire face à son modèle : «une tête m'intéresse, je la fais trop grosse».

Henri Matisse (1869-1954). Jeannette I, Issy-les-Moulineaux, 1910. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. dation Pierre Matisse, 1991.
 
Texte du cartel.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jeannette III, Issy-les-Moulineaux, 1911. Bronze. Musée d’Orsay, Paris. Don de Madame Jean Matisse, 1978. Dépôt au Musée Matisse. Nice.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jeannette IV, Issy-les-Moulineaux, 1911. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. dation Pierre Matisse, 1991.
 
Henri Matisse (1869-1954). Greta Prozor, 1916. Fusain sur papier. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). Tête blanche et rose, 1914. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat 1976.


5 - Pas tout à fait la détente. 1918-1929


Scénographie


5. Pas tout à fait la détente. 1918-1929

Alors que Matisse est au sommet de son art, reconnu par les critiques et porté par les collectionneurs, il quitte sa situation désormais établie. Fin décembre 1917, il s’installe seul dans un modeste hôtel de Nice. Les années qui s’ouvrent sont marquées par une production qui délaisse la dimension expérimentale pour renouer avec la figure et le paysage dans lesquels la référence au réel se fait plus nette. Tantôt louée comme un retour au bercail de la grande tradition française après des années d’errance, tantôt blâmée pour n’être qu’un intérim paresseux qui viendrait porter un coup d’arrêt à une avancée fulgurante, cette première période niçoise tient moins d’un relâchement que d’un isolement laborieux dont le dénouement possible l’inquiète. « Je suis rempli d’ardeur. Ça me fait peur », écrit Matisse à sa femme, Amélie, à propos du Grand Paysage, Mont Alban, le 21 mai 1918, « J’ai peur d’être obligé de foutre le camp ». C’est que l’artiste remet en jeu ce qui a été âprement conquis : avec détermination, il élabore une construction du tableau qui ne repose plus sur les rapports de couleurs, mais sur la lumière qui vient modeler le sujet, créant ainsi une nouvelle unité de surface dans un équilibre en tension perpétuelle. Jusque dans ses « Odalisques » qui repensent la question de l’insertion de la figure dans l’espace, de la tension entre volume et planéité.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Violoniste à la fenêtre, 1918. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat 1975.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jeunes filles au jardin, 1919. Huile sur toile. Musée des beaux-arts La Chaux-de-Fonds, Collection René et Madeleine Junot.
 
Henri Matisse (1869-1954). Lorette à la tasse de café, 1917. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation 2001.
 
Henri Matisse (1869-1954). Les Trois Sœurs, 1917. Huile sur toile. Musée de l’Orangerie, collection Jean Walter et Paul Guillaume, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Tête de Lorette sur fond vert, Paris, 1916. Huile sur bois. Musée Matisse, Nice. Legs de Madame Henri Matisse, 1960.
Scénographie

CLEMENT GREENBERG

L'IMPORTANT, C’EST LE SENTIMENT (1952)

« Peut-être a-t-il quitté la grand-route qui menait à l’art abstrait et abandonné l’aventure spectaculaire, mais cela n’a rien de la détente que l’on croyait. Il s'est mis à peindre avec une subtilité nouvelle et, à mesure qu'il a accru et approfondi sa maîtrise des méthodes picturales traditionnelles, la tradition a été éclairée d’une lumière nouvelle grâce à cette subtilité. Lui, ce grand champion de la couleur pure d’où naît la forme, a montré ce qu'on pouvait encore obtenir en modelant l'ombre et la lumière et de quelle manière ce modelage pouvait favoriser la tension désirée dans la composition moderne - de même qu'entre 1914 et 1918, il avait démontré comment le noir et le gris avaient la capacité d'approcher l'effet créé par les aplats de couleurs primaires. »

Partisan Review, janvier février 1952


 
Citation.
 
Henri Matisse, Cinquante dessins, Paris, édité par les soins de l’artiste, 1920. Album de reproduction de dessins, préface de Charles Vildrac. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Odalisque à la culotte grise, 1926-1927. Huile sur toile. Musée de l’Orangerie, collection Jean Walter et Paul Guillaume, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Odalisque à la culotte rouge, 1921. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat de l’État, 1922. Attribution, 1923.
 
Henri Matisse (1869-1954). Figure décorative sur fond ornemental, 1925 – 1926. Huile sur toile, 130 × 98 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Philippe Migeat / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Grand paysage, Mont Alban, 1918. Huile sur toile. Collection particulière.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Grande liseuse, 1923. Lithographie sur vélin d’Arches. Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Grande odalisque à la culotte bayadère, 1925. Lithographie sur Chine. Bibliothèque national de France, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Odalisque « écorchée », 1927. Crayon sur papier. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). Odalisque étendue, pantalon turc, 1920-1921. Encre et retouche à l’encre blanche sur papier vélin. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de l’artiste, 1932.
 
Henri Matisse (1869-1954). Femme à la voilette, 1927. Huile sur toile, 61,6 × 50,2 cm. Museum of Modern Art, New York. © Succession H. Matisse. Photo © 2020. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte au buffet vert, 1928. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de l’association des amis des artistes vivants, 1929.


6 - La main et la flèche. 1930-1939


Scénographie


6. La main et la flèche. 1930-1939

Autour de 1929, l’élan manque à Matisse face au constat que ses « petits tableaux » de la décennie niçoise « n’en finissent plus ». Devant l’impasse picturale, la première réponse à cette crise a pour nom la lumière – celle qui s’offre à lui lors d’un voyage de cinq mois aux États-Unis et en Océanie. La seconde provient de deux commandes, qui, pour différentes qu’elles soient dans leur format, permettent une appréhension renouvelée de l’espace : d’abord en 1931 avec une « grande décoration » murale, La Danse, conçue pour le Dr Albert C. Barnes à Merion, près de Philadelphie puis dans celui réduit du livre, avec les illustrations des Poésies de Mallarmé, publié chez Skira en 1932. La confrontation avec cet espace donne à Matisse l’impulsion définitive pour introduire le signe dans son art. Sa «peinture d’intimité» magnifiait la forme en la métamorphosant. La peinture « architecturale », en revanche, impose une vision de loin qui n’a d’autre choix que l’éclosion du signe. Mais s’il est vrai, comme le dit Matisse, que la « main indique moins clairement le chemin que la flèche », la forme et le signe continuent de cohabiter dans l’œuvre. Car c’est justement l’étude inlassable de la figure ou de l’objet – sa forme – qui, en suggérant le signe adéquat, va l’abréger, le résumer. Ainsi, l’efflorescence du jabot d’une robe ou le corps de la danseuse pris dans l’élan du mouvement ont chacun le leur, traduits par l’arabesque.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Deux danseurs (Projet pour le rideau de scène du ballet Rouge et noir), 1937-1938. Papiers gouachés, découpés et punaisés, et mine de graphite sur carton collé sur châssis. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 1991.
Scénographie

PIERRE SCHNEIDER
HENRI MATISSE : EXPOSITION DU CENTENAIRE (1970)

« La volonté de simplification de Matisse impliquait le passage à la décoration murale. Passer du tableau au mur exige que l'information contenue dans l'œuvre soit réduite au strict minimum instantanément et inconsciemment assimilable. “Le peintre de grande composition, explique-t-il à Aragon, ne peut pas s'arrêter au détail, peindre chaque détail comme un portrait, faire le portrait d’une main chaque fois différente.” Réflexion qui lui était déjà venue en 1929 : “Une main, indique moins efficacement le chemin qu’une flèche.” Pour dépasser le tableau de chevalet, il faut remplacer les formes par des signes [...]. »

Paris, Réunion des musées nationaux, 1970


 
Citation
 
Henri Matisse (1869-1954). Danseuse, 1930-1931. Mine graphite sur papier vergé. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de Marie Matisse, 1984.
 
James Joyce, Ulysses, illustration de Henri Matisse, New York, The Limited Edition Club, 1935. Bibliothèque national de France, Paris.
 
Verve : revue artistique et littéraire, couverture et dos de Henri Matisse, n°1, 1937. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Bibliothèque Kandinsky, Paris.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Fenêtre à Tahiti (Tahiti II), fin 1935-1936. Gouache et tempera sur toile. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis. Donation de l’artiste en 1952.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nymphe dans la forêt (La verdure), 1935-1942/1943. Huile sur toile, 245,5 × 195,5 cm. Nice, Musée Matisse. © Succession H. Matisse. Photo © François Fernandez.
 
Henri Matisse (1869-1954). Étude pour Le Rêve, 1935. Mine graphite sur papier. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Legs de Lydia Delectorskaya, 2003.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Rêve, 1935. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1979.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu rose assis, 1935-1936. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 2001.
 
Henri Matisse (1869-1954). Faune charmant la nymphe endormie, 1935. Fusain sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 2001.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu de dos, premier état, 1909. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat de l'État, 1964. Attribution, 1970.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu de dos, quatrième état, 1930. Bronze. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat de l’État, 1964. Attribution, 1970.
Nu de dos, premier état, 1909
Bronze

Les Dos forment un ensemble majeur par son ampleur et sa longévité mais, plus encore par la manière dont il s'articule avec les étapes décisives de la peinture de Matisse vers une plus grande muralité. Malgré l'impression de simplification et d'abstraction progressive dont témoignent ces sculptures, elles n'ont pas été conçues en tant que série, mais comme différents états d'une même matrice. Au-delà de toute anecdote, c'est la recherche inlassable qui prime ici : redresser le corps, explorer la verticalité, équilibrer le statique et le mobile. L'aboutissement de cette suite en 1931 avec Dos IV est magistral : Matisse trouve en effet le point limite où la figure participe du décor tout en lui résistant.
 
Texte du cartel.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu au collier, 1935. Encre de Chine sur papier. Collection particulière.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Tiaré, 1930. Bronze. Musée d’Orsay, Paris. Don de Madame Jean Matisse, 1978. Dépôt au Musée Matisse, Nice.
 
Henri Matisse (1869-1954). Grand nu assis, 1922-1929. Bronze, 78 × 78 × 35 cm. Musée départemental Matisse, le Cateau-Cambrésis.


7 - Densité maximum. 1940-1948


Scénographie


7. Densité maximum. 1940-1948

Passé à un « poil de chat angora » de la mort après une grave opération en 1941, Matisse envisage l’existence comme un supplément de vie qui l’oblige. Il mène de nouvelles conquêtes sur tous les fronts. En dessin comme en peinture, la décennie a peut-être quelque chose des «années ardentes» d’après 1905, lorsque l’intensité sensorielle se manifestait par une couleur immersive. Un an plus tôt, en avril 1940, Matisse achevait sa Blouse roumaine, destinée à devenir une icône de la France libérée, inspiratrice de créateurs au seuil de leur art, voyant dans cette peinture une véritable « profession de foi » (Éric Rohmer). La qualité expansive de l’œuvre tricolore anticipe les « Intérieurs de Vence », ces toiles de 1947-1948 annonciatrices d’un véritable « esprit du temps », où toute notation de profondeur spatiale est abolie au profit d’une «perspective de sentiment». Inversant leur fonction première, ce sont les objets qui habitent Matisse : parmi eux, un fauteuil rocaille en argent teinté au vernis, une peau fauve sont unis par un même amour, ce mot érigé en principe plastique de la dernière décennie. «Hausser le ton» de la surface picturale, la porter à son point extrême d’incandescence, c’est le projet de ces dernières peintures de chevalet, nourries de deux expériences d’une extrême novation – en dessin, les Thèmes et variations, et les gouaches découpées de Jazz.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte aux huitres, 1940. Huile sur toile. Kunstmuseum, Bâle.
 
Henri Matisse (1869-1954). Intérieur jaune et bleu, 1946. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat de l’État, 1947. Attribution, 1970.
 
Henri Matisse (1869-1954). Grand intérieur rouge, 1948. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat de l’État, 1950. Attribution, 1950.
 
Henri Matisse (1869-1954). Fauteuil rocaille, Vence, 1946. Huile sur toile. Musée Matisse, Nice. Legs de Madame Henri Matisse, 1960.
 
Henri Matisse (1869-1954). Liseuse sur fond noir, 1939. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1945.
Scénographie

« Plantes et fleurs »,
Thèmes et variations, série N bis (1-6), 1942
Musée Toulouse-Lautrec, Albi

Après une opération subie en 1941, Matisse reprend des forces par une pratique assidue du dessin. « C'est comme une éclosion », confiera-t-il à sa fille Marguerite, « c'est une des choses pour lesquelles j'ai voulu continuer la vie. » L’artiste met ici en place une méthode : d’après des objets familiers ou des modèles, il dessine au fusain un « thème », travail concentré pour prendre possession de son champ, avant que ne s’épanouisse une série de « variations » librement tracées à la plume ou au crayon. Là, dans un jeu de dilatation et de contraction, le sujet devient signe. L’ensemble, 158 planches distribués en 17 suites, sera réuni dans un album, préfacé par Louis Aragon, qui tient lieu d’outil de diffusion, de présentation didactique et de dispositif d’exposition portatif.

 
Texte du cartel.
 
Henri Matisse (1869-1954). « Vase et feuillage », Thèmes et variations, série H (1-11), 1941. Musée de Grenoble. Don de l’artiste, 1948.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Roses dans un vase, 1942-1943. Encre de Chine sur papier Arches. Musée Tavet-Delacour, Pontoise. Donation de Madame Marie Matisse.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nature morte au magnolia, 1941. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat des Musées nationaux, 1945.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Intérieur à la fougère noire, 1948. Huile sur toile, 116,5 × 89,5 cm. Fondation Beyeler, Riehen / Bâle, Collection Beyeler. © Succession H. Matisse. Photo © Fondation Beyeler, Riehen / Basel, Collection Beyeler. Photo: Robert Bayer.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu debout, fougère noire, 1948. Encre de Chine sur papier, 105 × 75 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Philippe Migeat / Dist. Rmn-Gp
 
Henri Matisse (1869-1954). Jeune femme à la pelisse blanche, 1944. Peinture sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation, 2001. Dépôt au Musée de Grenoble.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu debout, 1947. Huile sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation Pierre matisse, 1991. Dépôt au Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis.
Scénographie avec les 20 maquettes originales pour l'album Jazz.
Jazz, 1943-1946

Maquettes originales pour l'album Jazz. Paris, Tériade, 1947
Série de 20 planches. Papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile.
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Dation, 1985.

Matisse débute à partir de 1943 une série de gouaches découpées pour ce « livre sur la couleur » voulu par l'éditeur Tériade. Il s'agit d'abord d'éprouver une technique qui puisse supporter une bonne reproduction. Là, note l'artiste, « chaque rouge reste rouge, chaque bleu reste bleu - tel le jazz - dans lequel chaque exécutant jouant en soliste augmente sa partie de sa fantaisie, de sa sensibilité. » Ce découpage à même la couleur - il deviendra par la suite une pratique à part entière - est révélé au public avec la publication du bien nommé album Jazz. Matisse choisira de faire alterner planches de couleurs et textes manuscrits, comme une version moderne du manuscrit à peintures médiéval.

 

Nota : voir le livre, plus bas, dans la vitrine

 
Texte du cartel
 
Henri Matisse (1869-1954). Monsieur Loyal, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Cirque, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Lanceurs de couteaux, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
Scénographie avec 10 maquettes originales pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Les Codomas, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Lagon, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
Scénographie avec 10 maquettes originales pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). L’Enterrement de Pierrot, 1943. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Cheval, l’Écuyère et le Clown, 1943-1944. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Icare, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Le Clown, juin 1943. Maquette originale pour l'album Jazz.
Henri Matisse (1869-1954). Jazz, étude calligraphique, 1946. Encre de Chine sur papier. Collection particulière, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). L’Avaleur de sabres, 1946. Maquette originale pour l'album Jazz.
 
Henri Matisse (1869-1954). Étude de page de titre pour Jazz, 1946. Encre de Chine sur papier. Collection particulière, Paris.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Polynésie, le ciel, 1946. Papiers collés rehaussés de gouache et marouflés sur toile. Mobilier national et Manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, Paris. Dépôt au Musée national d’art moderne, 1975.
 
Henri Matisse (1869-1954). Polynésie, la mer, 1946. Papiers collés rehaussés de gouache et marouflés sur toile. Mobilier national et Manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, Paris. Dépôt au Musée national d’art moderne, 1975.
Henri Matisse. Biographie 1869 à 1905.

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Henri Matisse. Biographie 1908 à 1928.

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Henri Matisse. Biographie 1930 à 1954.

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Scénographie


JEAN CLAY
MATISSE EXPLIQUE MATISSE (1973)

« Vers 1940, un changement se produit dans l'œuvre de Matisse. Il hausse le ton. Chaque détail des intérieurs et des portraits est poussé au maximum de la puissance - de la “stridence”. Les couleurs deviennent agressives les surfaces se couvrent de zébrages, de carrelages impérieux, presque pop. “Dans une composition, chaque élément doit être élevé à son maximum de rayonnement, de densité", écrira-t-il en 1952. On croirait que l'artiste ne déchaîne ce chaos, ces dissonances que pour mieux se prouver son pouvoir de contrôle. [...] l’œuvre devient une tension surmontée, elle atteint une sérénité supérieure. »

Réalités, n°325 février 1973

 
Citation
 
Henri Matisse (1869-1954). La Blouse roumaine, 1940. Huile sur toile, 92 × 73 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de l’artiste à l’État, 1953. Attribution, 1953. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Georges Meguerditchian / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Portrait de Louis Aragon, mars 1942. Encre de Chine sur papier, 53 x 40,5 cm. Collection particulière, Paris.
 
Henri Matisse. Roman, n°1, 1951. Revue, 25,2 × 17 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
Scénographie
 
Henri Matisse (1869-1954). Verve, n°8, 1940. Revue, 36 × 27 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Verve, n°13, 1945. Revue, 36 × 27 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Verve, n°21-22, 1948. Revue, 36 × 27 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Verve, n°23, 1949. Revue, 36 × 27 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Verve, n°35-36, 1958. Revue, 36,5 × 26,5 cm (fermée). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jazz, Paris, Tériade, 1947. Livre avec planches : gouache au pochoir. Pages de texte : gravure. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Achat, 1978.
 
Verve : revue littéraire et artistique, couverture et page de faux-titre de Henri Matisse, n° 35-36, 1958. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris. Fonds Destribats, Trésor national acquis grâce au mécénat du groupe Lagardère, 2005.
 
Henri de Montherlant, Pasiphaé, Chant de Minos (Les Crétois), Paris, Martin Fabiani, 1944. Chancellerie des Universités de Paris - Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris.


8 - Jour de la couleur. 1948-1951


Scénographie


8. Jour de la couleur. 1948-1951

À près de quatre-vingts ans, Matisse entreprend ce qu’il nommera son « chef-d’œuvre » : la chapelle dominicaine du Rosaire de Vence. Aboutissement des recherches de toute une vie menées autour de l’équilibre du dessin et de la couleur, cette œuvre d’art totale, par-delà la conception de l’architecture, embrasse les décors, les vitraux et jusqu’aux objets et vêtements liturgiques. Si Matisse est resté jusqu’au bout un libre penseur, il élabore néanmoins ce dernier grand projet dans une authentique forme de communion.
Cette création s’écrit à plusieurs mains, dans un échange ininterrompu avec sœur Jacques-Marie – son ancien modèle Monique Bourgeois –, mais aussi avec le père Couturier et le frère Rayssiguier. Pour une religion du livre, Matisse entend réaliser une chapelle à l’image d’un immense volume ouvert. Au nord et à l’est, ses dessins noirs, émaillés sur des carreaux de céramique vernissée blanche représentent une Vierge à l’enfant et un grand saint Dominique, qui n’ont d’autre visage que la délinéation très pure du trait au pinceau à laquelle s’oppose la ligne heurtée et «volontairement signalétique» du chemin de croix.
Sur le mur opposé, à l’ouest et au sud, l’artiste conçoit, grâce à sa technique des papiers découpés, des vitraux bleus, jaunes et verts vifs sans figures, « rien que le patron des formes ». Le dialogue d’une page à l’autre se fait à l’heure de la messe, quand le soleil frappe perpendiculairement le bâtiment, traversant les vitraux pour iriser les scènes religieuses en noir et blanc de ce que Matisse nommait « tout un orchestre de couleurs ».

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). 4 études des stations du Chemin de croix, 1949. Fusain sur papier vélin. Chapelle des Dominicaines, Vence.
 
Henri Matisse (1869-1954). Onzième station du Chemin de croix : le Christ est cloué sur la croix, 1949. Fusain sur papier vélin. Chapelle des Dominicaines, Vence.
 
Henri Matisse (1869-1954). Douzième station du Chemin de croix : deux représentations du Christ en croix, 1949. Fusain sur papier vélin. Chapelle des Dominicaines, Vence.
Henri Matisse (1869-1954), de gauche à droite :
- Chasuble noire, 1950-1952. Papiers gouachés, découpés, collés et marouflés sur toile.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de la Famille Matisse, 1986.
- Henri Matisse (1869-1954). Chasuble noire, 1951. Papiers gouachés, découpés, collés et marouflés sur toile.
Musée Matisse, Nice. Donation des héritiers de l’artiste, 1960.
- Henri Matisse (1869-1954). Chasuble noire, 1950-1952. Papiers gouachés, découpés, collés et marouflés sur toile.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de la Famille Matisse, 1986.
 
Henri Matisse (1869-1954). Jérusalem céleste, 1948. Papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile, 265,5 × 130 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Georges Meguerditchian / Dist. Rmn-Gp.
 
Henri Matisse (1869-1954). Vitrail bleu pâle (2e état d’un projet pour l’abside), 1948-1949. Panneau bipartite : papiers gouachés, découpés sur papier kraft marouflé sur toile. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don des Mesdames Jean Matisse et Gérard Matisse, 1982.
Scénographie

FRÈRE RAYSSIGUIER

ENTRETIEN AVEC MATISSE (1949)

« 5 février 1949. Jour de la couleur. J'arrive à 15 h 30 de Vence avec papier pour refaire les grands vitraux car les barres posées hier par le père Couturier ont décidé Matisse à tout reprendre “pour faire un équivalent de ceux qui étaient faits”. Il n'est pas navré de les refaire : il travaille tout le temps, alors cela ne change pas grand-chose. Il a une idée : ils ne seront pas comme les petits du nouveau projet (celui du 3 février) qui sont eux, “tranquilles”, alors que les grands doivent être le “centre ardent de l'église”. »

La Chapelle de Vence. Journal d'une création. Paris/Genève/Houston, Les éditions du Cerf/Éditions d'art Albert Skira/Menil Foundation, 1993

 
Citation
 
Henri Matisse, Chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence, couverture de Henri Matisse, Paris, Mourlot, 1951, rééd. 1963. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
 
Henri Cartier-Bresson, Images à la sauvette, Paris, Éditions Verve, 1952. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
 
Images à la sauvette, couverture de Henri Matisse, photographie de Henri Cartier-Bresson, Paris, éditions Verve, 1952. Papiers gouachés, découpés et collés sur papier, encre de Chine. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis. Donation de Madame Marie Matisse en 1995.
Vitrine
 
Henri Matisse, catalogue d’exposition, couverture de Henri Matisse, Lucerne Kunstmuseum, 9 juillet-2 octobre 1949. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
 
Henri Matisse, chapelle, peintures, dessins, sculptures, catalogue d’exposition, couverture de Henri Matisse, préface de Louis Aragon, Paris, Maison de la pensée française, 5 juillet-24 septembre 1950. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris. Don Charles Delaunay, 1985.
 
Marie-Alain Couturier, « Le Chemin de croix ». Art sacré, n°11-12, juillet-août 1951. Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Couverture pour Œuvres récentes, catalogue d’exposition, Paris, Musée national d’art moderne, 1949. 21,5 × 16 cm (fermé). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.


9 - L’image géante. 1951-1954


Scénographie

9. L’image géante. 1951-1954

Envisagés comme des correctifs ou des outils d’agencement de la composition en cours pour La Danse de la Barnes Foundation et certains tableaux des années 1930, les papiers découpés sont conçus à partir en 1943 dans le livre Jazz comme une technique à part entière, quoique encore transposée par le procédé de l’impression. Au soir de son existence, ils reflètent chez Matisse la conscience que s’ouvre désormais un champ exploratoire, à la fois neuf et dans la lignée de toute son œuvre, qui comptera pour l’avenir. La réflexion sur la surface picturale de Matisse est maintenant celle d’une vie entière. Ainsi, c’est après-guerre qu’il peut redire la préoccupation constante du « sentiment de la surface » – cette leçon tirée de Paul Cézanne. Que le plan de la toile sur lequel se trouveront bientôt les papiers colorés et découpés soit issu de cette leçon en monumentalité ne fait pas de doute. Car il n’est pas un point « qui s’enfonce ou qui faiblisse » dans les compositions du maître d’Aix, comme Matisse l’avait fait remarquer. Cette conception unitaire de « la grande décoration », portée très haut par l’artiste, trouve avec les papiers découpés son point d’achèvement. Les «Nus bleus» ou La Tristesse du roi, sont en réalité pareillement monumentales, en étant toujours au-delà de leur échelle réelle. Plusieurs commentateurs de l’œuvre ont noté que l’on se souvient toujours d’un Matisse plus grand qu’il ne l’est en réalité. C’est que « l’image géante » des papiers découpés résume l’espace expansif poursuivi par Matisse sa vie durant.

 


Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). La Tristesse du roi, 1952. Papiers gouachés, découpés, collés et marouflés sur toile, 292 × 386 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci / Philippe Migeat / Dist. Rmn-Gp.
 
Vidéo : Henri Matisse découpant du papier (extrait)
 
Scénographie
Nus bleus

La série formée par les Nus bleus I, Il, III et IV offre une fascinante variation sur un problème qui parcourt l'œuvre dès ses débuts : l'interaction entre le fond et la figure. Déjà en 1908, Matisse s'intéressait à « la place qu'occupent les corps, les vides qui sont autour d'eux ». Ici, trois de ces Nus témoignent de son processus créatif : si le Nu bleu IV [en réalité le premier de la série), fait l'objet de nombreux remaniements, les Nus bleus I (Basel, Fondation Beyeler) II et III naissent d'un authentique jaillissement. Lydia Delectorskaya rapportera comment Matisse, sûr de sa découpe, les réalisa en une dizaine de minutes. Par le blanc du papier, « l'espace flue entre les formes », à égalité avec la figure bleue, pour donner naissance, au-delà de toute considération de taille réelle, à une « image géante » (Louis Aragon).

 
Texte du cartel
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu bleu aux bas verts, 1952. Gouache sur papier Canson découpé et collé sur fond de papier vélin, marouflé sur toile. Fondation Louis Vuitton, Paris.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu bleu II, 1952. Papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1984.
 
Henri Matisse (1869-1954). Nu bleu IV, 1952. Gouache bleue et esquisse de fusain sur papier Canson découpés, assemblés et collés en plein sur papier Canson blanc et marouflé sur toile. Musée d’Orsay, Paris. Don de Madame Jean Matisse, 1978. Dépôt au Musée Matisse, Nice.
Scénographie avec, de gauche à droite, de Henri Matisse (1869-1954) :
- Arbre, 1951. Fusain, encre, gouache sur papier marouflé sur toile.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation Pierre Matisse, 1991.
- Nu aux oranges, 1953. Encre de Chine, papiers gouachés, découpés et collés sur papier marouflé sur toile.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Dation Pierre Matisse, 1991.
- Le Buisson, 1951. Encre et gouache sur papier.
Collection Monsieur Adrien Maeght, Saint-Paul-de-Vence.
Vitrine
 
Louis Aragon. Henri Matisse : Roman Vol. I, Paris, Gallimard, 1971. Livre, 28 × 22,5 × 4 cm (fermé). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. © Éditions Gallimard. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
 
Louis Aragon. Henri Matisse, Roman Vol. II, Paris, Gallimard, 1971. Livre, 28 × 22,5 × 4 cm (fermé). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. © Éditions Gallimard. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.
Louis Aragon. Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit, Genève, Skira, 1969. Livre, 22 ×16,5 cm (fermé). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Succession H. Matisse. © Éditions d’Art Albert Skira. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky / Dist. Rmn-Gp.

LOUIS ARAGON

MATISSE ET BAUDELAIRE (1946)

« La grande composition commence quand le peintre est maître de moyens d'expressions qui ne seront plus mis en doute, quand les moyens d'expression qu'il a choisis, la couleur découpée, le collage (ou l'épinglage), ne seront plus chemin faisant contestés, ne pourront plus l'être (par leur nature même), et que le problème tiendra tout entier dans l’arrangement, la composition même. Ici la tentation de la nuance, les repentirs, tout cela ne peut plus entrer en ligne de compte. Et Matisse dira à celle qui l’aide, de loin, sans approcher, sans porter la main sur son idée, quelque chose comme : un peu plus à gauche, ou plus haut... L'aide, alors, déplace le papier découpé, et avant de fixer l’épingle demande : “Comme ça, M. Matisse ?” Il ne répond pas tout de suite : il regarde la danseuse noire ou le lagon... J'imagine Cimabue peignant le Christ ou la Vierge : il devait, devant l'image géante, avoir ce même mouvement de paupières. »

Henri Matisse roman, Paris, Gallimard, 1971

 
Citation
 
Roger Parry, maquette pour l’ouvrage de Louis Aragon Henri Matisse, roman, 1970. [« De Marie Marcoz et de ses amants » (1968-1969), tome II, P. 129-130, figures 113 et 114. Photographies collées sur carton recouvert de calque avec inscriptions. Archives Éditions Gallimard, Paris.
Scénographie
Matisse
comme un roman

Au défi de faire le portrait de Matisse, l'écrivain Louis Aragon avait répondu : oui, si c'est un roman. Rencontrant le peintre à Cimiez, sur les hauteurs de Nice, en 1941, Aragon publie Henri Matisse, roman trente ans plus tard. Comme dans le livre, l'exposition reprend comme fil conducteur son principe de cheminer dans l'œuvre, cherchant aussi à capter « une lueur sur ce qui se passe ».

Pour Henri Matisse (1869-1954), « l'importance d'un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu'il aura introduits dans le langage plastique. » Sa vie durant, il a été cet artiste, et son œuvre pionnière, menée sur plus de cinq décennies, continue de produire sur celui qui la regarde un éblouissement optique, une intensification du regard. La trajectoire de Matisse dans le siècle semble être la traduction, chaque fois singulière, de l'adage de Cézanne : il faut se faire une vision.

Parce qu'une exposition est avant tout un cadrage, l'image de la fenêtre - ce motif matissien entre tous - parle aussi du peintre moderne ayant porté le plus haut au 20e siècle un projet à la fois décoratif et critique. La Porte-fenêtre à Collioure peinte par Matisse en 1914 - cette œuvre emblématique du Musée national d'art moderne qui a tant retenu les artistes depuis sa redécouverte en 1966 - n'est pas simplement ce « balcon ouvert » dont parlait le peintre. Elle est une invite à revoir autrement une œuvre dont Aragon disait qu'elle était « le plus mystérieux des tableaux jamais peints », ouvrant « Sur cet ‘espace’ d'un roman qui commence ».

 
Texte du panneau didactique.
 
Louis Aragon, Henri Matisse, roman [traduction anglaise], vol. 1 et 2, trad. Jean Stewart, New York, William Collins & Harcourt Brace Jovanovich, 1972. Collection particulière.