LES MAÎTRES DE LA SCULPTURE DE CÔTE D'IVOIRE

Article publié exclusivement sur le site Internet, avec la Lettre n° 384
du 15 juin 2015

 
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LES MAÎTRES DE LA SCULPTURE DE CÔTE D'IVOIRE. Picasso ou Braque ont rendu célèbres les sculptures africaines dont ils admiraient la plastique puissante et évocatrice. Dès le début de l'ère coloniale les chercheurs se sont intéressés à ces masques africains, les définissant en fonction des zones géographiques et des styles iconographiques. Interchangeables et anonymes, les productions artistiques étaient l'expression d'une région, d'une ethnie, d'une communauté, et non celle d'un créateur clairement identifié. Le but de cette exposition, la première du genre, est « de faire émerger de cet anonymat collectif des individualités, de retrouver les traces de ceux qui sont à l'origine des chefs-d'œuvre conservés dans les collections et les musées du monde entier ».
Lorenz Homberger et Eberhard Fischer, deux anciens directeurs du Museum Rietberg de Zürich, ont réuni près de 330 sculptures de Côte d'Ivoire, provenant de différents musées internationaux et de collections privées, pour réaliser cette exposition présentée aujourd'hui à Paris, après l'avoir été à Zurich, Bonn et Amsterdam. Ils ont ainsi identifié des sculpteurs à la tête de véritables ateliers, fabricant des masques dans le secret et, à la vue de tous, des objets usuels tels que des cuillères ou des tabourets. Leur place dans la société était considérable et s'ils n'ont pas signé leur création, encore qu'ils l'ont peut-être fait sous une forme que nous ne savons pas reconnaître, leur style est parfaitement identifiable, comme le montre la présente exposition.
Le parcours commence par une présentation des six régions artistiques comportant autant de maîtres célèbres pour leur statuaire. Ce sont les Gouro et les Baoulé au centre, les Dan à l'ouest, les Sénoufo au nord, les Lobi au nord-est et les peuples lagunaires au sud-est. Néanmoins les régions où ces ethnies se sont établies ne coïncident pas avec les frontières politiques actuelles. C'est pourquoi des sculptures provenant des pays limitrophes, Mali, Libéria, Burkina Faso, Ghana, sont également présentes.
L'exposition nous montre aussi les différentes techniques utilisées dans les arts africains avec les outils et dispositifs utilisés, des ébauches à différents stades de la production, des produits finis. Nous avons ainsi l'art de la sculpture sur bois, réservé aux hommes ; la fonte du laiton avec la technique de la fonte « à la cire perdue » ; le tissage au moyen de métiers à tisser à pédales à bande étroite, en usage en Afrique depuis plusieurs centaines d'années, apanage des hommes la plupart du temps, tandis que le filage et la teinture sont des tâches réservées aux femmes ; le placage à la feuille d'or et enfin l'art de la poterie, apanage des femmes, qui utilise deux techniques : la poterie en colombins et la technique au tour.
Ensuite, ethnie par ethnie, sont présentées les œuvres de quarante artistes du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle. Les sept premiers appartiennent aux Dan. Nous voyons des masques glé auxquels on faisait appel pour rétablir la paix, des masques féminins servant de médiateurs entre les hommes, des masques masculins agressifs, des masques zoomorphes ainsi que des figures sculptées et des grandes cuillères offertes en récompense aux femmes. Les artistes les mieux représentés sont Uopié (vers 1890-1950), Sra (vers 1880-1955) et Dyeponyo (vers 1880-1930).
Viennent ensuite les artistes des peuples lagunaires (Akan). Ils ne produisent pas de masques mais des figures commandées par des voyants, en tant que signe visible de leur relation avec le « monde de l'Au-delà ». Les hommes ou les femmes deviennent sculpteurs s'ils sont dotés d'une créativité exceptionnelle qui se manifeste dès leur enfance. Il n'y a donc pas d'atelier ou de maître pour se former. Parmi les sculpteurs mis à l'honneur, citons le Maître des volumes arrondis.
Les Baoulés, l'ethnie la plus importante en nombre, a produit des masques allant de formes géométriques à des formes réalistes, riches en détails, et empreintes de douceur. Aujourd'hui les Baoulé aisés possèdent de nombreux objets en bois d'usage courant. Parmi les sculpteurs mis à l'honneur, citons le Maître dit « de Kamer », le Maître de Totokro, le Maître d'Essankro et son entourage et le Maître dit « de Himmelheber ».
Les Gouro sont réputés pour leur qualité de danseurs et leurs grands masques terrifiants. Ils réalisent aussi des œuvres plus petites comme des étriers de poulie de forme arquée, décorés d'une petite tête pour les métiers à tisser. Citons le Maître de Bouaflé, Sabou bi Boti, mort récemment, et le Maître des Duonu.
Les Lobi, présents surtout au Burkina Faso, sculptent deux grandes catégories d'objets, les buthiba, statues associées à des pratiques de guérison, et les thilbia, statuettes pour les autels domestiques dédiés aux aïeux. Les principaux sculpteurs sont les Maîtres du style Thimi, les Teésè et les Maîtres du style dit « de Tinkhiero » aux sculptures caractérisées par leur position au garde-à-vous.
Enfin, le dernier groupe, les Sénoufo, réalise des masques, de grandes statues et des bâtons d'apparat utilisés surtout lors des apparitions des membres de la société initiatique du Poro. Il fait aussi des statuettes réservées aux rites de divination. Ces sculptures sont faites par des sculpteurs sur bois et par des forgerons. Fruit d'un travail collectif, elles doivent plutôt être attribuées à des ateliers qu'à un sculpteur en particulier. Les principaux sculpteurs sont les Maîtres de Lataha, le Maître des mains en forme de pelle, le Maître de la coiffure en crête de coq et le Maître du dos cambré.
Le parcours s'achève avec des sculptures et installations de quatre artistes contemporains, Emile Guebehi (1937-2008) et Nicolas Damas (1947-2001), Koffi Kouakou (1962-2008) et Jems Robert Koko Bi (né en 1966), neveu d'un sculpteur traditionnel de masques, qui vit aujourd'hui à Essen en Allemagne. De cette façon, les commissaires montrent qu'il y a une certaine continuité entre les sculpteurs traditionnels et les artistes contemporains. Une exposition insoupçonnée et passionnante. Musée du Quai Branly 7e. Jusqu'au 26 juillet 2015. Lien : www.quaibranly.fr.


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