« JEAN-LÉON
GÉRÔME
L'histoire en spectacle »
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°
320
du
27 décembre 2010
JEAN-LÉON GÉRÔME. L'Histoire en spectacle.
Né en 1824 à Vesoul, Gérôme part pour Paris en 1840 et intègre l'atelier
de Delaroche, fréquenté par de nombreux artistes, dont il revendiquera
l'héritage, en même temps que celui d'Ingres (qui méprise Delaroche
!), dont il ne fut jamais l'élève. En 1843, il accompagne son maître
en Italie. La vue des habitations et des objets retrouvés à Pompéi
et Herculanum l'enthousiasme. Il se passionne pour l'antiquité,
comme beaucoup de jeunes artistes de son époque. Mais, contrairement
à ses aînés du siècle précédent (voir l'Antiquité rêvée,
au Louvre), il cherche à représenter, avec précision, ce que pouvait
être la vie à l'époque grecque et romaine, s'intéressant beaucoup
plus à l'anecdote qu'au « grand sujet ». C'est ainsi
que sur les conseils de Delaroche il présente au Salon de 1847 un
tableau avec des personnages grandeur nature, Jeunes Grecs faisant
battre des coqs, qui crée l'évènement, malgré un accrochage
médiocre, en hauteur, et consacre les débuts de sa carrière.
Gérôme voyagera beaucoup. En 1853, il a son premier contact, à Constantinople,
avec l'Orient et la Turquie. En 1862, il voyage en Egypte et en
Syrie. En 1869, il accompagne la délégation française à l'inauguration
du canal de Suez et séjourne trois mois au Caire et en Haute-Egypte.
En 1870, il s'exile à Londres et l'année suivante il voyage en Turquie.
En 1873, c'est au tour de l'Espagne, de l'Algérie et de nouveau
l'Egypte. Les années suivantes le voient en Hollande, à Constantinople,
à Naples, en Turquie, en Egypte, où il fait son dernier séjour,
en Grèce, en Espagne et en Italie (1889-1890). Au cours de ces voyages
il fait de nombreux croquis tandis que ses amis photographes, comme
Bartholdi ou Albert Goupil, son beau-frère, qui l'accompagnent,
font des photos. Tout ce matériel lui servira dans ses peintures
où le souci du détail dans l'architecture, le décor et les vêtements
est très grand. On le voit bien avec des toiles telles que La
Mosquée bleue, 1868, La Prière publique dans une mosquée,
1871-1874 ou encore La Grande piscine de Brousse, 1885, «
prétexte » à montrer des femmes dénudées, un sujet plaisant
beaucoup à la clientèle masculine de l'époque, qui peut alors se
procurer les premières photos de nus féminins et devient plus exigeante
pour les peintures de ce genre !
La grande connaissance des lieux qu'il représente, l'érudition de
Gérôme sur l'Antiquité, lui permettent d'imaginer des scènes grandioses
comme des combats de gladiateurs : Ave Caesar, morituri te salutant,
1859, Dernières prières des martyrs chrétiens, 1863-1883,
La Rentrée des félins, 1902, et surtout Pollice verso,
1872, dont s'inspireront au point de les copier les cinéastes américains
et italiens, aussi bien à l'époque du cinéma muet (Quo Vadis
de Guazzoni, 1913 ; Cabiria de Pastrone, 1914), qu'à celle
du Technicolor (Ben-Hur de William Wyler, 1959 ; Spartacus
de Stanley Kubrick, 1959) et même de nos jours (Gladiator
de Ridley Scott, 2000).
Gérôme s'intéressa aussi à des sujets d'histoire plus proche de
nous comme La Réception du Grand Condé par Louis XIV (Versailles
1674), 1878 ou l'Audience des ambassadeurs de Siam à Fontainebleau,
1864 ainsi qu'à des faits divers comme Un duel après le bal,
1857-1859. Ce tableau, comme beaucoup d'autres, fut reproduit par
son beau-père, Adolphe Goupil, à la tête d'une importante maison
d'édition, aussi bien sous forme de photographies que de lithographies.
Gérôme fut d'ailleurs un précurseur pour la diffusion à grande échelle
d'œuvres d'art à tel point qu'il tenait compte de cela pour la composition
et les couleurs de ses toiles. Il en fit de même pour certaines
de ses sculptures.
En effet, à partir de 1878, il débute sa carrière officielle de
sculpteur dans le cadre de l'exposition universelle. Il participe
au renouveau de la sculpture chryséléphantine et, toujours selon
l'exemple antique, il teinte ses œuvres et leur donne l'illusion
du réel (Tanagra, 1890 ; Sarah Bernhardt, 1895 ; La
Joueuse de boules, 1902). A la fin de sa vie (il meurt en 1904),
il fait de nombreux tableaux où il se représente en train de sculpter
dans son atelier (Pygmalion et Galatée, 1890).
Cette exposition, la première monographie qui lui est consacrée,
est l'occasion de réexaminer l'avis de ses contemporains sur cet
artiste considéré alors comme le parangon de l'académisme. C'est
vrai qu'il enseigna pendant près de quarante ans à l'Ecole des Beaux-Arts,
qu'il tenta de s'opposer à l'exposition d'œuvres de Manet dans cette
école et qu'il tenta, en 1894, d'empêcher le legs Gustave Caillebotte,
constitué d'œuvres impressionnistes. Mais on voit aussi qu'il apporta
un souffle novateur à la peinture et surtout à la sculpture, ce
qui en fait un peintre majeur du XIXe siècle. Cette magnifique exposition,
avec la profusion d'œuvres de toutes sortes présentées lui rend
justice. Musée d'Orsay 7e. Jusqu'au 23 janvier 2011. Pour
voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien
: www.musee-orsay.fr.
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