Parcours en images et en vidéos de l'exposition

EN JEU !
Les artistes et le sport 1870-1930

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°598 du 24 juillet 2024


 

Titre de l'exposition
 

Depuis l'Angleterre, le sport se diffusa tout au long du XIXe siècle sur le continent européen et jusqu'aux États-Unis, en traversant les frontières, les espaces sociaux et les appartenances culturelles. S'il s'agissait encore, à l'aube de la décennie 1840, d’une pratique élitaire, principalement aristocratique et bourgeoise, teintée d’une anglomanie qui contribua à son expansion internationale, le sport se démocratisa durant la deuxième moitié du siècle. Qu'on s’y adonne par goût de l'effort ou qu'on le regarde en spectacle, il intéressa les masses en quête de loisirs et de temps libre conquis sur le travail cadencé et la productivité comptée.

Ce mouvement de transformation sociale du statut du sport qui vit se muer les sportsmen en sportifs croisa l'attention des artistes - en premier lieu les peintres et les graveurs, mais aussi les sculpteurs, puis les photographes enrôlés dans l'expansion de la presse illustrée -, qui portèrent leur regard curieux sur cet univers et ses règles, sur ses mutations et ses figures aux corps expressifs en lesquels ils identifièrent de nouveaux héros, emblématiques de l’ère du chronomètre. À l’heure du naturalisme et de l’impressionnisme, ils en tirèrent des sujets relevant de la vie moderne pour une poétique de la société contemporaine. Les avant-gardes du début du XXe siècle - fauvisme, cubisme et futurisme - poursuivirent l'exploration de ce pan de la modernité, dont les enjeux esthétiques croisaient désormais ceux, résolument politiques, d’un art de la compétition et de la prouesse, dont Pierre de Coubertin se saisit en 1896 pour fonder les Jeux olympiques en réinventant la tradition des olympiades antiques.

La fréquence des sujets sportifs dans l’art des décennies 1870 à 1930 mérite d'être interrogée pour ce qu’elle dit des valeurs attachées à ces pratiques individuelles ou collectives dans l'imaginaire des artistes qui, parfois, sont des sportifs aguerris. Alors qu’ils se trouvent eux-mêmes confrontés à des tensions ou des résistances pour que leur art soit accepté et finisse par s'imposer, ils doivent redoubler d'efforts, combattre et vaincre jusqu’à remporter la victoire. Sans doute une part de leur curiosité et de leur fascination pour le sport réside-t-elle dans cette identification aux qualités de détermination, d'endurance et de résistance des sportifs, qui font non seulement du lutteur, du boxeur ou de l’athlète, mais aussi du régatier, du rameur et du coureur autant d’autoportraits métaphoriques du peintre ou du sculpteur et de leurs combats où affleure une forme d’héroïsme.

Façade du Musée Marmottan Monet.
 
Texte du panneau didactique.
Scénographie
 
Alcide-Théophile Robaudi (1847-1928). La leçon d’escrime, 1887. Huile sur toile, 223 x 157 cm. Prague, collection de la Knupp Gallery. © Private Collection of Knupp Gallery, Prague.
 
Anonyme. Lutteurs dit Lutteurs Médicis, fin XIXe. Moulage en plâtre. Montpellier, musée des Moulages, université Paul-Valéry Montpellier 3, œuvre classée au titre des monuments historiques le 15/01/2009.

Dans la Grèce antique, la lutte qu’on pratiquait le corps enduit d'huile et de poussière était l’une des disciplines du pentathlon, avec le saut, la course, le lancer de disque et de javelot. La victoire se conquérait en obtenant la chute au sol de l’adversaire à trois reprises consécutives. L'œuvre est un moulage d’un groupe en marbre exécuté au Ier siècle av. J.-C. par un disciple de Lysippe, retrouvé vers 1583 près de Saint-Jean de Latran à Rome. Aussitôt acquise par le cardinal Ferdinand de Médicis, elle fut envoyée en 1677 aux Offices de Florence.


1 - Sports anglais, loisirs français

Scénographie


Dans la première moitié du XIXe siècle, les sports se pratiquaient dans des milieux sociaux où ils participaient d’une appartenance à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie, avec lesquelles contraste l’ironie des lithographies de Daumier et Rops. L’aisance matérielle et la libre jouissance de son temps étaient propices à ces activités de loisirs et d’agrément, pratiquées dans le plaisir de l’entre soi social et culturel. Le sportman était donc un gentleman, passionné d’équitation, féru de régates ou d’aviron. Les impressionnistes, eux-mêmes souvent amateurs de canotage à la rame pratiqué dans les environs de Paris ou Namur et de régates à la voile courues sur les côtes normandes ou anglaises, furent des acteurs et des témoins privilégiés de ces sports nautiques. Leur attention témoigne aussi d’un moment où ces sociabilités sportives sélectes évoluaient vers des structures fédératives plus ouvertes et donc plus populaires organisant les grandes unions nationales qui, à compter des années 1880, furent chargées d’encadrer les entraînements et de réglementer les compétitions.

 
Texte du panneau didactique.
 
Thomas Eakins (1844-1916). John Biglin in a Single Scull, 1874. Huile sur toile, 61,9 × 40,6 cm. New Haven, Yale University Art Gallery. Whitney Collections of Sporting Art, given in memory of Harry Payne Whitney, B.A. 1894, and Payne Whitney, B.A. 1898, by Francis P. Garvan, B.A. 1897, M.A. (Hon.) 1922.

Durant les années 1870, Thomas Eakins produisit une série de tableaux consacrée au sport particulièrement populaire aux États-Unis qu'était l’aviron. L'œuvre montre le champion John Biglin s’entraînant pour une course en solitaire. Elle en donne le portrait, en se montrant attentive à la musculature sculpturale du sportif. Il se détache des aplats par lesquels sont traités l'eau et le ciel à l'arrière-plan, tandis que la surface irisée du premier plan anime le reflet. La légère usure de la dame de nage où se loge la rame est une garantie de réalisme.
 
Thomas Eakins (1844-1916). The Biglin Brothers Racing, 1872. Huile sur toile, 61,2 x 91,6 cm. Washington, National Gallery of Art, don de Monsieur et Madame Cornelius Vanderbilt Whitney.  © Washington, National Gallery of Art.

Dans ses tableaux, Thomas Eakins témoigne de sa fine connaissance du rowing qu’il pratiquait lui-même. Les postures identiques des deux athlètes – les frères John et Barney Biglin – et la similitude de leurs vêtements contribuent à suggérer la régularité parfaitement coordonnée des efforts cadencés qui leur assurèrent la victoire lors de la course des cinq miles organisée sur la rivière Schuylkill, à Philadelphie, le 20 mai 1872. La présence de leurs concurrents, Harry Coulter et Lewis Cavitt, est suggérée au premier plan par la coque effilée de leur embarcation.
 
Edgar Degas (1834-1917). Course de gentlemen, Avant le départ, 1862. Huile sur toile, 48,5 x 61,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean.

Le peintre chercha à traduire la perception abrupte de l’hippodrome, en le dépouillant de tout pittoresque. Il en ressort une représentation, où un paysage éclaté sert de cadre ingrat à la vision désordonnée jusqu’à la confusion des chevaux et des jockeys dont certains sont coupés par le cadrage. Degas confronte à dessein des mondes sociaux qui ne devraient pas avoir partie liée, puisqu'ils ne communiquent d'ordinaire guère entre eux, dont il veut rendre possible l'expérience visuelle : la bestialité fauve des milieux hippiques, l'élégance mondaine du champ de course et la trivialité des cheminées d'usines fumantes qui hérissent l'arrière-plan que couronne une sorte de butte de terre pelée.
 
Benjamin Herring II (1830–1871). Le départ de la course des Cambriggeshire Stakes [The Start of the Cambriggeshire Stakes], 1867. Huile sur toile, 78 x 152 cm. Newmarket, The National Horseracing Museum.
 
Jean Frélaut (1879-1954). Courses de Cano ou Le Champs de courses, 1923. Huile sur toile. Vannes, musée des Beaux-Arts, La Cohue.
 
Honoré Daumier (1808-1879). Un vainqueur de steeple-chase. Série «Les beaux jours de la vie». Lithographie parue dans Le Charivari, 26 septembre 1845. Saint-Denis, musée d'art et d'histoire Paul Eluard.
 
Honoré Daumier (1808-1879). Continuation de l'amélioration des chevaux et de la détérioration des jockeys. Série « Aux courses ». Lithographie parue dans Le Charivari, 13 avril 1859. Saint-Denis, musée d'art et d'histoire Paul Eluard.
Scénographie
 
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). Régates à Argenteuil, 1874. Huile sur toile. Washington, National Gallery of Art, collection Ailsa Mellon Bruce.
 
Alfred Sisley (1839-1899). Les régates à Molesey, 1874. Huile sur toile, 66 x 91,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Alfred Sisley exécuta ce tableau entre juillet et octobre 1874, durant un séjour en Angleterre, où il s’était rendu grâce au soutien financier du collectionneur, le baryton Jean-Baptiste Faure. La toile représente la Moseley Regatta, une compétition d’aviron fondée l’année précédente, qui se déroulait sur la Tamise, près de Hampton Court, dans le Surrey, en amont de l’écluse de Molesey. Les impressionnistes s’intéressèrent aux régates qu’ils représentèrent souvent, car ce sport de plein air, particulièrement spectaculaire, leur permit de renouveler le genre du paysage, en y intégrant les jeux de l’eau, de la lumière et des drapeaux claquant au vent, dans une atmosphère festive. Le tableau fut acquis par Gustave Caillebotte qui le légua à l’État en 1894, avec sa collection d’œuvres impressionnistes.
 
Félicien Rops (1833-1898). Badge de membre du Royal Club de Sambre et Meuse de Félicien Rops, vers 1862-1869. Héliogravure annotée à l'encre noire et rehaussée de gouache sur carton. Mettet, Fonds Félicien Rops, en dépôt au musée Félicien Rops, Province de Namur.
 
Félicien Rops (1833-1898). Déballages III, 2 août 1857. Lithographie parue dans Uylenspiegel, Journal des ébats artistiques et littéraires, 2e année, n°27. Namur, musée Félicien Rops, Province de Namur.


2 - Internationalisation et démocratisation

Scénographie

Au tournant des XIXe et XXe siècles, alors que s’internationalisaient définitivement les sports collectifs en atténuant leurs origines nationales – le football et le rugby anglais se pratiquaient désormais en France, en Allemagne ou en Italie –, coexistaient des sports élitaires (l’équitation, le lawn tennis ou l’escrime) avec des sports populaires voire ouvriers (les jeux de ballon, le cyclisme, la boxe). Dans une société de plus en plus urbaine, soumise à une industrialisation croissante, où le temps individuel était régi par le rythme et la division du travail, le temps du sport était assimilé à celui du loisir, du culte de l’effort et du dépassement de soi. Les élites paternalistes instrumentalisaient les pratiques sportives, en les encourageant pour ne pas abandonner les masses ouvrières à l’oisiveté ou à l’agressivité sociale qu’elles préféraient voir canalisées. Ce processus de démocratisation modifiait le statut du sport qui entra ainsi dans l’ère de sa massification. Comme le montrent les portraits de sportifs, chacun pouvait désormais être un sportif et prétendre à des performances.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848-1894). Le Plongeon, Baigneurs, bords de l’Yerres, 1878, huile sur toile, 157 x 117 cm. Collection particulière.

Le tableau appartient au cycle des œuvres à sujet intimiste de Caillebotte à Yerres, la ville où sa famille possède une propriété de campagne. Il puise dans ce lieu de villégiature estivale les sujets de sa peinture, en pendant à ses compositions de la vie parisienne: la maison, son parc et son potager, et surtout la rivière éponyme qui sert de cadre à ses tableaux de plaisance, où les canotiers et les périssoires lui sont l’occasion d'évoquer le rowing et ses parties de bateau. En montrant le plaisir des loisirs aquatiques sous les frondaisons, Caillebotte déporte les canotiers à l'arrière-plan, tandis que l’action se concentre au premier plan, avec ces jeunes gens en maillots de bain qui plongent et nagent dans l’Yerres, depuis un ponton dont la surface à la touche fragmentée permet de faire jouer les tâches d’ombre et de lumière.
Guillaume Séraphin Van Strydonck (1861-1937). Les Canotiers, 1889. Huile sur toile.
Tournai, collection du musée des Beaux-Arts de la Ville de Tournai.
 
Claude Monet (1840-1926). Régates à Argenteuil, 1872. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.
 
Ferdinand Gueldry (1858-1945). Portrait du rameur Gaston Delaplane (1882-1977), 1906. Huile sur toile. Nice, collections du musée national du Sport.
Scénographie
 
Ferdinand Gueldry (1858-1945). Match annuel entre la Société Nautique de la Marne et le Rowing Club, 1883. Huile sur toile, 60 x 100 cm. Nogent-sur-Marne, musée intercommunal. © Musée intercommunal de Nogent-sur-Marne.

Passionné d’aviron qu’il pratiqua lui-même en amateur, Ferdinand Gueldry peignit à de nombreuses reprises, comme Thomas Eakins, les courses de rowing qui connaissaient alors une grande popularité sociale, comme le montre la foule des spectateurs qu’il n’omit pas de représenter. Son tableau montre la victoire, sanctionnée par l’arbitre, de l’équipe de la Société nautique de la Marne sur le Rowing club sur son adversaire britannique, lors d’une compétition organisée en 1882 sur la Seine, entre Boulogne et Suresnes.
 
George Oberteuffer (1878-1940). Le Foot-Ball (match de rugby), 1906. Huile sur toile. Paris, collection de Bueil & Ract-Madoux.


3 - Lieux du sport

Scénographie

Si les artistes des XIXe et XXe siècles furent très intéressés par le sport, c’est parce que ses praticiens s’y adonnaient à la fois en plein air – la lutte, le patinage ou le ski trouvaient leur terrain dans le paysage qui constituait alors le genre majeur de la peinture – et dans des espaces aménagés à cet effet. Après la cour de l’école républicaine ou celle de la caserne militaire, où les jeunes gens étaient initiés à la gymnastique et sa grammaire du mouvement gradué et normatif, les sports modernes trouvèrent leur lieu de prédilection sur les vélodromes, les hippodromes ou les rings ou encore dans les arènes des stades de la ville contemporaine accueillant les matches de rugby et de football. Ces lieux, qui étaient agencés pour accueillir des spectateurs, offrirent aux artistes autant de configurations visuelles et formelles, à partir desquelles les enjeux de la modernité artistique purent être interrogés sous un nouveau jour.

 
Texte du panneau didactique.
 
Harald Giersing (1881-1927). Joueurs de football. Huile sur panneau composé. Aarhus, ARoS Aarhus Art Museum.
 
André Lhote (1885-1962). Partie de rugby ou les Foot-Ballers, 1re moitié du XXe siècle, peut-être en (1937 ?). Huile sur toile, 103 × 129,5 cm. Saint-Quentin, musée des Beaux-Arts Antoine Lécuyer. © musée Antoine Lecuyer, Saint-Quentin. © ADAGP, Paris 2024.

Ce tableau appartient à une série d’oeuvres où le peintre cubiste André Lhote donna sa perception du rugby, au moment où ce sport se démocratise et s’acculture en France. Le peintre se montra sensible au jeu des formes décomposées par l’action et des couleurs chamarrées des tenues assimilant les joueurs à des Arlequins, s’entrechoquant dans une composition pyramidale, que couronne le ballon ovale brandi en l’air comme un astre. À l’écart de ce groupe, à droite, un rugbyman se repositionne, tandis qu’à gauche, le mot «Event» renvoie aux origines anglaises du sport.
 
Marcel Gromaire (1892-1971). Rugby I, 1924. Eau-forte sur zinc. Roubaix, La Piscine, musée d'art et d'industrie André Diligent.
 
F. Vernos ou Vernoz (dates inconnues). Match de football, dernier quart du XIXe siècle. Huile sur toile. Nice, collections du musée national du Sport.
 
George Desvallières (1861-1950). Les Joueurs de balles, 1894. Pastel sur papier. Collection particulière.


4 - Entraînements et performances

Scénographie

La pratique sportive consiste en une dépense d’énergie accomplie durant un temps dédié à l’effort régulier, l’enregistrement de prouesses ou de performances et la surenchère de records. Les démonstrations de force ou de vitesse, les aptitudes à l’habileté et l’endurance, le respect des règles et le sens de l’improvisation ou de l’adaptation président au sport, en transcendant les corps individuels. Mais ceux-ci favorisent également l’émergence de corps collectifs, par la constitution d’équipes qu’agrègent des valeurs psychologiques, des dynamiques partagées et des jeux de relations interindividuelles. Qu’il soit un individu singulier ou le membre d’une équipe, le sportif est constitué d’un corps musclé doublé d’un état d’esprit – mens sana in corpore sano –, dont le style et la beauté s’apparentent à ceux d’une machine qu’il faut entraîner, entretenir et perfectionner. La curiosité des artistes pour les sportifs et leurs conditions de jeu procède pour partie de cet imaginaire.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jean Dominique Antony Metzinger (1883-1956). Au vélodrome, 1912. Huile sur toile, 130,4 x 97,1 cm. Venise, collection Peggy Guggenheim (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York).  © Solomon R. Guggenheim Foundation, New York. © Adagp, Paris 2024.

L'œuvre, inspirée de la course Paris-Roubaix, est un portrait cubiste, teinté de futurisme, du champion Charles Crupelandt. Par ses effets de transparence où se confondent la tête du sportif et la foule des spectateurs, le peintre décompose les mouvements, démultiplie les temporalités et les perspectives en brouillant les plans. Il inscrit pleinement la figure du cycliste qui fait corps avec sa machine dans un environnement de formes géométriques, en rejetant le naturalisme au profit de la traduction du mouvement simultané, de la vitesse et des sensations de la course réputée difficile, qui fut rapidement baptisée l'enfer du Nord.
Scénographie
 
Emile Friant (1863-1932). La Lutte, 1899. Huile sur toile, 193,5 x 115,5 cm. Montpellier, musée Fabre. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes.

En représentant ces deux garçons, qui ne sont pas des athlètes, s’adonnant à la lutte en plein air et dans une nature ingrate, sans doute Emile Friant avait-il l'envie de dialoguer avec quelques œuvres jalonnant l’histoire de la peinture du second XIXe siècle: Les Lutteurs de Gustave Courbet (1853), Scène d'été de Frédéric Bazille (1869) ou Jeunes lutteurs de Paul Gauguin (1888-1889). Mais son tableau naturaliste, aux accents presque photographiques, témoigne aussi du souci de l’artiste nancéien de situer la scène dans le paysage lorrain des environs de Malzéville, pour confronter la carnation des corps à une lumière austère.
 
Emil Wikström (1864-1942). Akseli Gallen-Kallela au ski, vers 1906-1914. Bronze. Finlande, Mänttä, Gösta Serlachius Fine Arts Foundation.

Fasciné par la nature finlandaise, qu’il photographia et qu’il représenta d’abord dans une veine naturaliste et nationaliste, avant de s’orienter vers une conception plus symboliste et mythologique, le peintre Akseli Gallen-Kallela fut lui-même un skieur chevronné. Son ami, le sculpteur Emil Wikström en proposa un portrait en pied, exécute après le séjour de plusieurs semaines que fit le modèle à Suolahti, en Finlande centrale, au cours de l’hiver 1906, pour se confronter à l’expérience directe des paysages enneigés et des forêts profondes.
 
Frits Thaulow (1847-1906). Hiver en Norvège, 1886. Huile sur toile, 98 x 159 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
 
Claude Monet (1840-1926). Les Patineurs à Giverny, 1899. Huile sur toile, 60 x 80 cm. Postdam, collection Hasso Plattner. © Hasso Planer Collection.
 


Scénographie
 
Paul Signac (1863-1935). Vélodrome Buffallo, 1899. 12 x 18 cm. Paris, Archives Signac. © Droits réservés.

Paul Signac fut un sportif polyvalent, qui pratiqua assidûment la bicyclette dès les années 1890. Durant l'été 1899, il travailla sur le motif au Vélodrome Buffalo, situé entre la porte Maillot et la porte Villiers. Dans ses dessins préparatoires à un tableau pointilliste qui le laissa longtemps insatisfait, il s’attacha à essayer de transcrire ses propres sensations physiques et optiques de cycliste: «[...] j'ai renoncé carrément à la netteté des contours, que j'ai irradiés sans souci de respecter les formes: et au lieu d’obtenir des petits détails stupides auxquels je m'étais attaché, j’ai maintenant de la couleur en mouvement qui donne bien l’effet que je cherchais. Toujours le banal souci de réalité qui nous arrête: l’anecdote, le détail inutile, le barbarisme grossier. Et dans ce fourmillement de couleurs, on peut distinguer les différentes formes du dessin, mais non figées et remuantes presque», notait-il dans son Journal (10 juillet 1899).


5 - Femmes spectatrices et sportives

Scénographie

Au XIXe siècle, le sport fut principalement une activité masculine, tant il permit de célébrer la puissance physique de l’homme, entre héroïsme et virilisme, dans des pratiques souvent agressives – tels le rugby ou la boxe – qui marginalisaient les femmes réputées fragiles ou passives. Cantonnées à leur rôle de procréatrices, elles se trouvèrent longtemps assignées à une place de spectatrices des prouesses masculines. Si les femmes firent une timide apparition aux Jeux olympiques de 1900, Coubertin se montra réticent face à leurs capacités sportives, affirmant que leur rôle serait de «couronner les vainqueurs».
Comme pour contrarier cette assertion, des disciplines sportives s’ouvrirent aux femmes – le hockey sur gazon, le golf, le lawn tennis… –, qui se regroupèrent en sociétés féminines spécifiques. Celles-ci donnèrent bientôt les premières figures de championnes modernes. Les représentations de sportives par les peintres demeurent ambiguës, par les poses dansantes qu’ils en donnent, l’érotisme des corps ou l’élégance vestimentaire qu’ils y associent.

 
Texte du panneau didactique.
 
Honoré Daumier (1808-1879). Le Lutteur, vers 1852. Huile sur toile, 42 x 27,5 cm. Copenhague, Ordrupgaard.

Non sans ironie, Daumier s'est plu à montrer la figure du lutteur désœuvré et peut-être hésitant, en pied et de face, les bras ballants, l’air emprunté, occupé à attendre son tour de combat, dans la coulisse du cirque. Il tourne la tête vers l'arène qui, au-delà de l’épais rideau, est le théâtre d’un combat entre deux athlètes, dont les corps enchevêtrés forment un bloc disgracieux et fondamentalement anti-académique. Le point de vue choisi par l'artiste, depuis les coulisses, renverse le regard des spectateurs, assis dans les tribunes et rejetés à l'arrière-plan.
 
Jules Abel Faivre (1867-1945). Sports d’hiver, Chamonix (Mont-Blanc), 1905. Chromolithographie, avec entoilage, 108,2 × 76 cm. Nice, collections du musée national du Sport. © Musée national du Sport.

Dessinateur de presse et affichiste publicitaire, Abel Faivre créa cette affiche que lui avait commandée la compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon & à la Méditerranée, pour commémorer les 60 ans de l’arrivée des sports d’hiver à Chamonix. En associant la majesté des Alpes enneigées à cette figure de femme élégante dévalant les pentes sur ses skis, l'artiste s’attachait à promouvoir un imaginaire chic et dépaysant des sports d’hiver aisément accessibles depuis Paris et Genève.
 
Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937). Partie de pelote basque, 1903. Chromolithographie, 161 x 110 cm. Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

D'origine basque et bordelaise, Clémentine-Hélène Dufau mena de front une carrière de peintre et, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant, d’affichiste pour «le Bal des Increvables», le journal féminin La Fronde, l'exposition coloniale de Hanoï ou le Cercle Saint-James. C’est dans le parc de ce restaurant de Neuilly qu’avaient lieu, chaque semaine, des parties de pelote basque très courues de la société mondaine de la Belle Époque.
 
Camille Bombois (1883-1970). Les Lutteurs, vers 1928-1930. Huile sur toile, 46,3 x 65 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle.
 
Louise Abbéma (1853-1927). Partie de croquet sur la plage du Tréport, 1872. Huile sur toile. Washington, National Museum of Women in the Arts, don de Tremaine et Gail Arkley.
Scénographie
 
Ferdinand Lunel (1857-1933). Chemins de fer de l'Ouest, Etretat, Tennis Club, 1896. Lithographie. Paris, musée des Arts décoratifs, don Georges Pochet, 1901.
 
Lucien Faure (1828-1904). Championnat du monde de lutte organisé par Le Journal des Sports, du 17 au 24 décembre, Casino de Paris, 1898. Chromolithographie. Paris, musée des Arts décoratifs.
 
H. Delaspre (dates inconnues [1871-1949 ?]). Société des boxeurs français, 1894. Chromolithographie. Nice, collections du musée national du Sport.
 
René Georges Hermann Paul, dit Hermann-Paul (1864-1940). Tournoi franco-italien organisé par le journal L'Escrime française, 1895. Chromolithographie. Nice, collections du musée national du Sport.

Dessinateur dans L’Assiette au Beurre, Le Rire et Le Courrier français, peintre illustrateur et affichiste, Hermann-Paul a exécuté cette affiche dans une veine très marquée par l’esthétique des Nabis. Pour promouvoir ce tournoi organisé au Cirque des Champs-Elysées et patronné par le journal L’Escrime française, l'artiste insista sur sa dimension spectaculaire, portée par le fort contraste entre le fond ocre, les aplats blancs des escrimeurs et le noir des costumes des spectateurs masculins.
Scénographie
 
Maurice Denis (1870-1943). Tennis I, Nausicaa, jeu de balle, 1913. Huile sur toile, 161 x 106 cm. Nice, musée national du Sport. © Musée national du Sport.
 
Maurice Denis (4870-1943). Tennis II, Nausicaa, jeu de balle, les joueuses de tennis, 1913. Huile sur toile. Nice, collections du musée national du Sport.
Ces toiles appartiennent à un ensemble décoratif que le peintre conçut à l'initiative du marchand Eugène Druet et qui fut acquis en 1921 par le collectionneur Marcel Kapferer pour la salle à manger de son hôtel particulier, avenue Henri-Martin. Le cycle de six panneaux composait un décor mural inspiré des jeux de Nausicaa et ses suivantes, dont Homère rapporte dans L'Odyssée, qu’elles réveillèrent par leurs cris joyeux Ulysse, le naufragé qui les effraya en leur apparaissant nu, sale et affamé. Dans son interprétation moderne de cet épisode, Denis transforma les antiques jeux de balle de Nausicaa et ses compagnes en une partie de tennis moderne.
 
Octave Guillonnet (1872-1967). Partie de tennis, 1925. Huile sur toile, 59 x 72 cm. Dijon, musée des Beaux-Arts, don de la Société des Amis du Musée de Dijon, 1930. © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © Adagp, Paris 2024.

C’est à partir de 1899, où il exposa au Salon sa toile monumentale Partie de rugby, que l’ensemblier et illustrateur Octave Guillonnet commença à se spécialiser dans la peinture de sport.
Membre de la Société des peintres et sculpteurs de sport - un statut qui lui facilitait l’accès aux manifestations et compétitions sportives de son temps -, il multiplia les sujets sur ces thèmes.
Ce tableau décoratif, d’une facture post-impressionniste tardive, représente les courts de tennis des jardins du Luxembourg, leurs joueuses et joueurs des beaux quartiers.

 
Gustave Courbet (1819-1877). La Femme au podoscaphe, 1865. Huile sur toile, 173 x 210 cm. Collection particulière.

À Trouville où il séjourna longuement en 1865, Courbet vit «une dame qui allait sur la mer avec une barque qu’on nomme podoscaphe, c’est deux boîtes grandes comme des cercueils étroits et reliés ensemble». Il souhaita aussitôt en tirer le sujet d’un tableau destiné au Salon, mais qu’il n’acheva pas. Également intitulée «L’Amphitrite moderne», par raillerie des nus féminins mythologiques très en vogue sous le Second Empire, cette œuvre n’était-elle pas une manière d’ironiser sur l’incongruité de certains sports et loisirs balnéaires, tout en réinterrogeant la peinture de marine?
Scénographie
 
Pierre Toulgouat (1901-1992). Le Passage de haie, vers 1925-1930. Bronze. Collection particulière W. F. D.
 
Pierre Toulgouat (1901-1992). Le Plaquage, 1928. Bronze chromé. Nice, collections du musée national du Sport.
 
Claude-Léon Mascaux (1882-1965) et les ateliers Arthus-Bertrand.
Ensemble de sept médailles (détails): Athlétisme (éléphant), championnat de lutte (béliers), aviation (aigle), course à pied (lièvre), gymnastique (singe), natation (poisson), concours de saut (sauterelle), 1924. Bronze. Nice, collections du musée national du Sport.

Aux Concours d’art des Jeux Olympiques de 1924, l'artiste présenta cette série de médailles sportives qui lui valut la médaille de bronze de la section «Sculpture» et, l’année suivante, le Grand Prix de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels de Paris. Chaque animal représenté symbolise une discipline ou une vertu sportive: l'éléphant (la force), le singe (l’agilité), l'aigle (la capacité de s’élever), le lièvre (la vitesse, la course), le poisson (la nage), la sauterelle (le saut) et le bélier (la combativité).
 
Fédération des Sociétés féminines sportives de France. Médaille de championne de France de plongeon de Suzanne Liébrard (1894-1932), 1920. Métal. Paris, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP.
 
Fédération des Sociétés féminines sportives de France. Médaille de championne de France du saut en longueur sans élan de Suzanne Liébrard (1894-1932), 1919. Métal. Paris, Institut national du Sport, de l'expertise et de la performance - INSEP.
Scénographie
Max Klinger, Un gant (1898) et 5 eaux-fortes et aquatintes en couleurs de Pierre Gatier (voir ci-dessous).

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Pierre Gatier (1878-1944). Patinage au Bois, 1907. Eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier vergé filigrané. Paris, Pierre-Antoine Gatier, Jérôme Gatier et Nathalie Levesque Gatier.
 
Pierre Gatier (1878-1944). La Skieuse, 1909. Eau-forte et aquatinte en couleurs. Paris, Pierre-Antoine Gatier, Jérôme Gatier et Nathalie Levesque Gatier.
Pierre Gatier (1878-1944). Le Palais de Glace, 1909. Eau-forte et aquatinte en couleurs, 44,5 x 62,5 cm.
Paris, Pierre-Antoine Gatier, Jérôme Gatier et Nathalie Levesque Gatier.

Pierre Gatier fut l’un des acteurs du renouveau de la gravure dite originale à la Belle Époque, où il privilégia les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte en couleurs. Il se caractérisa par sa vive curiosité pour la vie mondaine et élégante de son temps – celle du Boulevard parisien, des Champs-Élysées, de la rue de la Paix et de Longchamp –, pour ses lieux, moments et figures. Son œuvre gravé fut collectionné par le couturier Jacques Doucet, qui le vit comme une sorte de nouveau Constantin Guys. C’est dans cet esprit que, quittant momentanément les salons des modistes et les rayons des grands magasins, Gatier s’intéressa aux pratiques sportives de la bonne société qui assistait aux courses hippiques de Chantilly, skiait dans les Alpes ou patinait au Bois de Boulogne.
Scénographie
Honoré Daumier (1808-1879). Six des huit lithographies exposées ici (voir ci-dessous).

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Kitao Masayoshi, également connu sous le nom de Kuwagata Keisai (1764-1824). Ryakugashiki. Modèles de dessins cursifs, 1795, 1re édition. Gravure sur bois. Paris, musée Marmottan Monet.

À partir du milieu des années 1890, le Japonais Kitao Masayoshi explora les ressources suggestives du «dessin abrégé» (ryakugashiki), dont il publia les résultats dans des albums de planches imprimées d'une conception graphique cursive et synthétique, qui lui permit de saisir avec efficacité, parmi tant de sujets observés dans la vie quotidienne, la multiplicité des attitudes et gestes expressifs des sumos.
 
Honoré Daumier (1808-1879).  Développez les muscles des bras; dans cet exercice vous vous contusionnerez peut-être un peu la tête, mais les bras, les bras avant tout !... Série «La régénération de l'homme par la gymnastique ». Lithographie parue dans Le Journal amusant, 4 novembre 1865.  Saint-Denis, musée d'art et d'histoire Paul Éluard.
 
Honoré Daumier (1808-1879). La leçon à sec, série «Les Baigneurs». Lithographie parue dans Le Charivari, 30-31mai 1841, 24.5 x 34.2 cm. Paris, maison de Balzac - Paris Musées.
 
Marcel Gromaire (1892-1971). Le Joueur de tennis, 1932. Aquarelle, 43 x 31,5 cm. Paris, collection particulière. © Galerie de la Présidence – Paris. © Adagp, Paris 2024.

Proche du Front populaire, Gromaire s’intéressa beaucoup, en particulier au début des années 1930, aux sports dont la pratique lui paraissait pouvoir rassembler l’humanité au-delà des distinctions de classes sociales. Les rugbymen, footballeurs, cyclistes et autres joueurs de tennis, aux corps sculpturaux, aux formes dynamiques tracées à l’encre de chine et rehaussées d’aquarelle aux couleurs vives étaient particulièrement propices à sa sensibilité expressionniste, son sens de la modernité et sa passion du mouvement.


6 - Culture du corps

Scénographie

Les chronophotographies d’Etienne-Jules Marey et de Georges Demenÿ, les sculptures et photographies pédagogiques de Paul Richer pour ses enseignements de physiologie artistique prodigués à l’École des Beaux-Arts et jusqu’aux photographies de Jules Beau destinées à la presse sportive de la Belle Époque furent toutes animées d’une unique fascination pour les effets du sport sur les anatomies et la mécanique des corps, dès lors que ceux-ci se trouvaient confrontés à l’effort et aux mouvements que l’image cherchait à enregistrer et figer, afin de mieux pouvoir la décomposer.
Cette iconographie des corps sportifs reposait sur le culte d’une expressivité sculptant les muscles et leurs volumes, pour ciseler des mouvements et dynamiser des silhouettes suspendues comme si elles avaient été électrisées. Ces représentations aux allures d’instantanés arrachés au rythme de la vie moderne qu’elles semblaient rejouer et cristalliser eurent une audience considérable chez les artistes qui en perçurent la dimension spectaculaire.

 
Texte du panneau didactique.
 
Pierre Bonnard (1867-1947). Homme nu [Autoportrait, étude pour Le Boxeur], vers 1930. Crayon sur papier. Paris, collection de Bueil & Ract-Madoux.

Avec ce beau dessin, Bonnard revient des décennies après L'Homme et la femme (1900, musée d'Orsay) à un autoportrait en pied. Daté probablement du début des années 30, sa posture annonce celle de son Boxeur (1931, Paris, musée d'Orsay) au cadrage plus serré. Deux sources peuvent être associées à cette représentation, celle d’un Baigneur aux bras écartés de Cezanne, petite peinture présente dans la collection de Bonnard dont il fit l'acquisition en 1914, et davantage encore, la sculpture antique de L’Éphèbe de Marathon découverte en 1925 mais dont l’image ne fut diffusée dans la presse française que 3 ans plus tard. Le dessin de Bonnard arbore la même pose inversée par l’observation de son reflet dans un miroir. Le peintre est à cette époque, traversé par de longues périodes de doute et sa lutte avec la peinture et avec lui-même est traduite par de puissants effets de lumière. Exposé pour la première fois en 1937 à la galerie de Jacques Rodrigues-Henriques à Paris, ce dessin n’a quasiment plus jamais été vu jusqu’à aujourd’hui.
 
Pierre Bonnard (1867-1947). Le Boxeur (portrait de l'artiste), 1931. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay. © Musée d'Orsay, Dist. Grand Palais Rmn / Patrick Schmidt.
 
Georges Demenÿ (1850-1917). Chronophotographie d'un exercice d'assouplissement, inclinaison latérale du tronc, bras tendu au-dessus de la tête, station écartée, 1906. Négatif sur plaque de verre. Paris, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP. Tirage moderne reproduit.
 
Dr. Paul Richer (1849-1933).
- Boxeur, boxe française, coup de pied direct, vers 1898-1899. Plâtre.
Paris, Beaux-Arts de Paris.
- Boxeur, boxe anglaise, coup de poing direct, fin XIXe siècle. Plâtre.
Paris, Beaux-Arts de Paris.
 
Georges Demenÿ (1850-1917).  Chronophotographies d'un saut à la perche, vers 1886. Tirages sur papier albuminé. Pans, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP. Tirages modernes reproduits.
Scénographie
 
Georges Demenÿ (1850-1917). Chronophotographie d'un lancer de disque, vers 1906. Tirage sur papier. Paris, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP. Tirage moderne reproduit.
 
Georges Demenÿ (1850-1917). Chronophotographie graphique d'une attaque de coup droit en fente au fleuret, 1906. Négatif sur plaque de verre. Paris, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP.  Tirage moderne reproduit.
Georges Demenÿ (1850-1917). Excellent gymnaste lui-même, Georges Demenÿ qui pratiquait la course, le saut en longueur et à la perche, le travail aux agrès, fut un fin connaisseur de l’ensemble des dimensions de l’activité physique, du mouvement et de la force musculaire. D’abord associé avec le promoteur de la chronophotographie en France, Étienne-Jules Marey, dont il fut l’assistant puis le chef de laboratoire à la Station physiologique du Parc des Princes (de 1880 à 1894), Demenÿ poursuivit ensuite ses propres recherches avec des physiologistes et des biomécaniciens. Également technicien de la photographie, il savait adapter ou inventer des appareils et des dispositifs chronophotographiques ou dynamographiques lui permettant de développer une connaissance cinétique et cinématique du mouvement dans la marche, la course, le saut à la perche, le lancer de disque, l'escrime ou la boxe française. De la sorte, Demenÿ développa une iconographie visant à améliorer la physiologie de l'effort à laquelle il donna une portée morale et patriotique. Il présenta ses méthodes et rassembla ses résultats dans deux ouvrages: Les bases scientifiques de l'éducation physique (1902) et Mécanismes et éducation des mouvements (1903).
Scénographie
 
Auguste Rodin (1840-1917). L'Athlète américain, 1901. Bronze, première version. Paris, musée Rodin.
 
René Jules Lalique (1860-1945). Vases aux lutteurs, 1914. Verre. Boulogne-sur-Mer, musée de Boulogne-sur-Mer.
Dr. Paul Richer (1849-1933). Dans ses enseignements d'anatomie artistique prodigués à l’École des Beaux-Arts de Paris, Paul Richer utilisa des moulages, des planches anatomiques murales et des projections photographiques. Mais il élabora aussi lui-même des photographies, exécutées en collaboration avec Albert Londe - le photographe attitré de Charcot à la Salpêtrière -, des dessins et des sculptures en ronde-bosse représentant des athlètes en action. En s'intéressant à différents sports, il chercha à produire des représentations physiologiques du jeu musculaire mis en action par la spécificité des efforts attachés à chaque discipline: la course, l’haltérophilie, le lancer de poids, la boxe anglaise et française... En novembre 1900, dans La Vie au grand air, il expliquait: «En composant ces statuettes, je ne me suis guère préoccupé de faire beau; mais j'ai toujours voulu faire vrai. Je suis certain de l'exactitude de mes œuvres, car tous les détails ont été scientifiquement étudiés. Peut-être quelques-uns de ces types de vérité sembleront-ils aussi des types de beauté. S’il en est ainsi, tout le mérite en reviendra à la science».
 
Dr. Paul Richer (1849-1933). Singrossi, 1900. Épreuves sur papier albuminé. Paris, Beaux-Arts de Paris.

En photographiant de face, de profil et de dos, nus et en pied, comme il le fit pour de nombreux athlètes, les coureurs cyclistes de la Belle Époque, Luigi Giuseppe Singrossi et Willy Arend, le physiologiste qu'était Paul Richer cherchait à enregistrer leur morphologie de champions de vitesse sur piste. La similitude des poses, sans doute empruntées aux procédés anthropométriques d’Alphonse Bertillon, indique un protocole photographique et scientifique susceptible d’établir une iconographie de la mesure anatomique, où le corps des athlètes répondait à une quête de perfection.
 
Dr. Paul Richer (1849-1933). Deux coureurs l’un derrière l'autre, fin XIXe siècle. Plâtre. Paris, Beaux-Arts de Paris.
 
Dr. Paul Richer (1849-1933). Lanceur de poids, fin XIXe siècle. Plâtre. Paris, Beaux-Arts de Paris.
 
Dr. Paul Richer (1849-1933). La Course, le Phénakistiscope, vers 1895. Métal, corde, bois et plâtre polychrome. Paris, Beaux-Arts de Paris.

Neurologue et anatomiste, Paul Richer fut un proche collaborateur de Charcot et de ses recherches sur les pathologies nerveuses. En 1903, il devint le titulaire de la chaire d’anatomie artistique à l’École des Beaux-Arts de Paris, qu’il occupa jusqu’en 1922. Par l’originalité de ses enseignements, il s’imposa comme le rénovateur d'une anatomie artistique fondée sur l’emploi d’un matériel pédagogique qui devait se substituer à la dissection. Dans ce cadre, il conçut un phénakistiscope, dont le disque mis en mouvement animait onze figures ciselées en relief. Cet appareil optique permettait de comprendre la physiologie musculaire de la course à pied, pour en proposer une restitution continue grâce à la persistance rétinienne, selon le même principe que celui de la chronophotographie contemporaine.


7 - Sports et spectacularisation

Scénographie

Devant des foules passionnées rassemblées dans le périmètre dédié des salles, des stades ou des hippodromes qui sont les lointains héritiers des arènes antiques, sous le jeu des lumières, dans l’entrechoc des corps et des tenues aux couleurs éclatantes, le sport devint moderne non seulement par sa spectacularisation, mais aussi par sa représentation. À leur conjonction, sa médiatisation s’opéra dans la grande presse et dans les périodiques spécialisés qui, dès la Belle Époque, furent de puissants agents de sa popularisation et de la démocratisation de sa pratique, dans une culture occidentale de la reproduction des conduites. La lutte, la boxe, les courses en tous genres, accentuées par le caractère national ou international des rencontres, devinrent des événements qui nourrirent l’actualité, en formulant les questions politiques du genre, de la race et de la nation – l’homme blanc l’emportant in fine sur la femme et sur les autres peuples. À l’intention d’un public de plus en plus averti, la relation minutieuse de cette actualité sportive par les journalistes et les reporters photographes l’assimila à des aventures modernes haletantes, où tout semblait remis en jeu à chaque match jusqu’au terme de toute compétition.

 
Texte du panneau didactique.
 
Auguste Matisse (1866-1931). Aux vainqueurs du concours de la VIIIe Olympiade, Chamonix Mont-Blanc, 25 janvier - 5 février 1924,1923. Chromolithographie. Nice, collections du musée national du Sport.
 
Vicente Do Rego Monteiro (1899-1970). Les Boxeurs, 1927. Huile sur toile. Grenoble, collection du musée de Grenoble.
 
Auguste Donnay (1862-1921). Société royale du sport nautique de la Meuse, vers 1895. Chromolithographie. Paris, musée des Arts décoratifs.
Scénographie
 
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). La Chaîne Simpson, 1896. Chromolithographie, 89,5 x 125 cm. Nice, musée national du Sport. © Musée national du Sport.

«Je suis resté à Londres de jeudi à lundi. J’étais avec une équipe de cyclistes venue pour défendre nos couleurs de l’autre côté de la Manche; je suis rentré pour réaliser une affiche publicitaire pour la chaîne Simpson destinée à avoir un succès sensationnel», écrivait Toulouse-Lautrec à sa mère en juin 1896. Cette affiche est la seconde version d’une commande passée à l’artiste par Louis Bouglé, dit Spoke, représentant exclusif en France de la firme de bicyclettes anglaise Simpson, qui avait mis au point en 1895 une chaîne à levier réputée plus puissante et plus résistante que la chaîne ordinaire, grâce à ses deux chenilles d’entraînement superposées. À la fin du XIXe siècle, sévit une véritable «guerre des chaînes», dont le coureur cycliste Constant Huret, surnommé «le boulanger», fut l’un des héros, représenté juché sur sa bicyclette.
 
Kees Van Dongen (1877-1968). La Course, 1904. Huile sur toile, 32 x 39 cm. Toulouse, Fondation Bemberg. Photo © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau.  © Adagp, Paris, 2024.

Ce tableau de Van Dongen, d’une conception très marquée par le fauvisme qui exalte les couleurs par une touche expressive et déforme les sujets pour en traduire la dynamique des chevaux et des jockeys, s’inscrit délibérément dans la tradition des sujets hippiques initiée par Degas, Manet et Toulouse-Lautrec. L’antinaturalisme presque caricatural des anatomies étirées dans la largeur du format, entend traduire l’effort des montures lancées dans la course et forcées par les jockeys, pour offrir au spectateur la possibilité d’éprouver les sensations du galop.
La Vie au Grand air (1898-1922). Périodique imprimé entre 1898 et 1922. Numéros présentés ici: 7 août 1903, n°256; 21 janvier 1911, n°644; 28 août 1903, n°259. Paris, Institut national du sport, de l'expertise et de la performance - INSEP.

Magazine hebdomadaire fondé en 1898 par le patron de presse Pierre Laffitte, en concurrence ouverte avec les journaux quotidiens Le Vélo ou L’Auto, La Vie au grand air s’imposa rapidement comme le principal périodique illustré de la Belle Époque dédié aux pratiques sportives et aux activités en extérieur. L’image photographique y occupe les deux-tiers de chaque livraison, en étant beaucoup plus qu’une illustration. La mise en page novatrice, avec des effets de maquette saisissants affichés dès la couverture et déployés dans d’impressionnantes doubles pages panoptiques intérieures, donnait aux récits photographiques instantanés une ampleur inédite. La spectacularisation d’une information sportive, imitant les actualités cinématographiques, y redoubla la démocratisation du sport et de ses prouesses individuelles ou collectives. La photographie y produisit la démonstration par l’image de cette passion moderne à l’heure des masses, faite de technologie de la vitesse, de compétition internationale et de régénération vitaliste des corps.
 
Jacques Gruber (1870-1936). Le Polo, 1925. Dessin pour l’un des six vitraux exécutés en 1925 pour le casino d’Ilbarritz. Fusain, pierre noire, crayon graphite avec rehauts de gouache blanche et noire sur papier-calque vélin. Beauvais, MUDO - musée de l'Oise.
 
Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901). Le Jockey, 1899. Lithographie en couleurs, 52 x 36.5 cm. Indivision H. M. Petiet.

Par l'entremise de Tristan Bernard - avocat, journaliste, écrivain et directeur sportif du Vélodrome Buffalo, l'artiste fréquenta les hippodromes. Le spectacle des chevaux et, plus largement des courses, lui rappelait, non sans une pointe de nostalgie, une passion pour l'équitation qu’il avait lui-même pratiquée dans sa jeunesse. Sa fascination pour les pur-sang et leurs jockeys s’exprime dans ces lithographies, où il dialogua avec Manet et Degas, et desquelles se dégage une impression d'effort, de puissance et de vitesse.
Scénographie
 
Alexandre Falguière (1831-1900). Lutteurs, 1875. Huile sur toile, 231,4 x 178,7 cm. Paris, musée d’Orsay.

Cette œuvre est la première composition monumentale du sculpteur qui mena une carrière parallèle de peintre, à compter du mitan des années 1870. L'œuvre lui valut une médaille au Salon de 1875. Elle s’inscrivait dans la généalogie de Géricault et Courbet qui avaient eux-mêmes exploré ce thème avec un souci réaliste qui semblait ressurgir ici pour disqualifier une fois encore le goût antique. Elle en proposait une variation actualisée et spectaculaire, aux lendemains de la défaite de 1870, où la force et le courage devaient servir de valeurs belliqueuses aux jeunes gens. C’est pourquoi le tableau de Falguière fut l’objet d’une diffusion par la gravure.
 
Thomas Eakins (1844-1916). Between Rounds, 1898-1899. Huile sur toile, 127,3 x 101,3 cm. Philadelphie, Philadelphia Museum of Art, don de Madame Thomas Eakins et de Mademoiselle Mary Adeline Williams, 1929. © Philadelphie, Philadelphia Museum of Art.
 
George Bellows (1882-1925). Club night, 1907. Huile sur toile, 109,2 x 135 cm. Washington, National Gallery of Art, collection John Hay Whitney.

Entre 1907 à 1909, George Bellows peignit des matchs de boxe à trois reprises. «Je ne connais rien à la boxe. Je ne fais que peindre deux hommes qui essaient de s’entretuer», rétorquait-il aux critiques qui lui reprochaient son défaut de connaissance de ce sport alors controversé aux États-Unis. En 1900, la pratique de la boxe avait été légalement interdite dans l’État de New York, en raison de sa brutalité. Mais la loi fut aisément contournée et des combats furent organisés dans des clubs d’athlétisme privés, notamment dans celui de l’ancien champion Tom Sharkey, que fréquentait Bellows. L’attitude du peintre face à ce sport est ambivalente, comme le montrent l’effet nocturne et l’éclairage cru modelant l’anatomie des boxeurs, empruntés à Goya, et le traitement satirique des mines réjouis des spectateurs rappelant les caricatures de Daumier.
 
André Dunoyer de Segonzac (1884-1974). Tableau de la boxe par Tristan Bemard, Paris, éditions de la Nouvelle Revue française, 1922. Indivision H. M. Petiet.

Cette suite de gravures à l’eau-forte illustra l’ouvrage Tableau de la boxe de Tristan Bernard, paru en 1922. L'artiste, qui s’intéressa à de nombreux sports - le cyclisme, la natation, l'athlétisme -, chercha à concilier dans ses estampes la vivacité et la violence des combats de boxe avec la minutie et la lenteur de la technique de l’eau-forte. Le ring et ses acteurs, les attitudes et mouvements des boxeurs, les coups et leurs conséquences, l’enchaînement des rounds dessinent une chorégraphie que Dunoyer de Segonzac tenta de traduire sur le cuivre. «Je n’ai jamais été un vrai sportif [...]. Mais plutôt un vague amateur, et surtout: un “voyeur”. [...] De tous les Sports, c’est la boxe qui m'a le plus passionné. Entre 1910 et 1914, à la grande époque des Sam Langford, Sam Mac Vea, Joe Jeannette, Harry et Willie Lewis, Dixie Kid, Klaus, Papke, j'ai pu assister aux débuts de Carpentier, j'ai vu Moreau et Bernard dans leur pleine forme et j'ai vu monter sur le ring ces tout débutants qu'étaient Ledoux et Criqui, ces futurs champions du monde de l'après-guerre 1914-1918», déclarera l'artiste en 1958.
 
Ángel Zárraga (1886-1946). Le Jeune Footballeur, vers 1927 (portrait présumé du Brésilien Fausto dos Santos, 1905-1939). Huile sur toile. Nice, collections du musée national du Sport.

Ce portrait présumé du footballeur brésilien Fausto dos Santos fut exécuté lors d’un séjour parisien de l’artiste mexicain, dont l’œuvre trahit l’influence de Cezanne. Il s’agit d’une rare représentation valorisante d’un sportif noir, à une époque où dominent largement les stéréotypes et préjugés racistes. Ce portrait en situation - on aperçoit le jambage des buts à l'arrière-plan - entend concilier la figure du footballeur sur le terrain, le ballon à la main, avec l’image pensive du sportif absorbé par l’analyse de l’action qu’il s’apprête à engager.
 
Aristide Maillol (1861-1944). Le Cycliste, vers 1907-1908. Bronze. Collection particulière, Courtesy galerie Dina Vierny, Paris.

Le Cycliste de Maillol fut élaboré pendant l’été 1907, pour le comte Harry Kessler, riche collectionneur allemand. Le jeune Gaston Colin, «petit coureur cycliste et jockey», servit de modèle à cette sculpture de jeune éphèbe pensée comme un Narcisse moderne, pour laquelle le sculpteur fit également poser «le jeune [Josué] Gaboriaud de Saint-Germain, un bon à rien, boxeur professionnel, capitaine de football, fils de pasteur, matelot à la retraite, peintre et élève de Maurice Denis». Pour estomper l'excès de naturalisme qu'on aurait pu lui reprocher, Maillol proposa à Kessler d'inscrire le nom du jeune coureur sur le socle: «Les anciens ont bien fait des portraits d’athlètes. Eh bien, c’est un portrait d'athlète. C’est même moi peut-être le premier qui ai refait une statue d’athlète», fit-il valoir.
 
Vidéo. Julien Faraut (né en 1978). Paris Jeux t’aime, 2005.
Extraits du film produit par l’INSEP et la Fondation d’entreprise Française des Jeux.

 

 
Robert Delaunay (1885-1941). Les Coureurs, vers 1924-1926. Huile sur toile, 24 x 33 cm. Stuttgart, Staatsgalerie, acquis en 1968, anciennement collection Hugo Borst. Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart.

Passionné de sports et d'images sportives - son Équipe de Cardiff (1912-1913, Paris, Musée d'Art moderne de la Ville de Paris) tirait son sujet de photographies parues dans La Vie au grand air -, Delaunay représenta, à l’occasion des Jeux olympiques de 1924, un peloton de coureurs sur une piste d'athlétisme. Cette œuvre est l’une des esquisses conçues pour le tableau du musée d'Art moderne de Troyes. Les silhouettes de dos, traitées en aplats et rayures alternés de couleurs, veulent traduire l’effet de masse du peloton sans négliger la part de chaque individualité, pour rendre perceptible la dynamique de la course.