CRIME
ET CHÂTIMENT
Article
publié dans la Lettre n° 312
CRIME ET CHÂTIMENT. Organisé par Jean
Clair, dont on se souvient de « Mélancolie, génie et folie en Occident »
(Lettre 248), sur un projet de Robert Badinter, qui obtint
l’abolition de la peine de mort en France le 30 septembre 1981,
près de deux siècles après que Le Peletier de Saint-Fargeau ait
réclamé, en 1791, l’abolition du châtiment capital aux députés de
la Constituante, cette exposition évoque tout ce qui entoure le
crime, sous ses différentes formes, les études et théories sur le
sujet, et sa condamnation.
La première salle est consacrée au premier criminel de l’histoire
de l’humanité, Caïn, avec, entre autres, des tableaux de Falguière
et de Moreau. Avec le fratricide, Caïn ouvre la voie à tous les
types de meurtres : parricide, infanticide, régicide, génocide,
car il a en lui, comme chaque homme, le mal introduit par sa mère,
Eve, dans l’Eden. Dieu ne lui ôte pas la vie mais lui inflige le
remords. Pourtant les hommes répondront au crime par la peine capitale,
« le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait criminel,
si calculé soit-il, ne peut être comparé » (Albert Camus).
Au bout de cette salle, dans un coin sombre, se dresse une guillotine,
instrument choisi en 1792 pour que « la mort soit douce » (Jean-Paul
Marat, 1778) et qui inspira ces mots à Victor Hugo, le plus célèbre
abolitionniste : « On peut avoir une certaine indifférence sur la
peine de mort, ne point se prononcer, dire oui et non, tant qu’on
n’a pas vu de ses yeux une guillotine. »
L’exposition se poursuit, dans un ordre chronologique, avec l’évocation
de 1793 et l’assassinat de Marat par une des rares criminelles de
l’histoire, Charlotte Corday ; les figures du crime romantique ;
1880-1920 : Canards et Apaches ; La Justice ; le Crime et la Science
et enfin Vers les Temps Modernes.
Après l’assassinat de Marat et celui de Le Peletier de Saint-Fargeau,
une large place est consacrée à l’Affaire Fualdès, un ancien procureur
impérial horriblement égorgé puis jeté dans l’Aveyron, le premier
crime à être couvert par la presse nationale. Cette affaire passionne
un temps Géricault qui se rend compte ensuite qu’il n’y a aucune
grandeur dans cette ignoble exécution et que cela ne mérite pas
un tableau. Néanmoins, à la demande du docteur Georget, soucieux
de distinguer les criminels des fous, Géricault fera le portrait
de fous monomaniaques. A cette époque les romantiques se passionnent
pour les brigands, les femmes fatales et les sorcières, que l’on
ne traite comme des hystériques qu’à partir de 1880, tandis que
Goya grave Les Caprices et Les Essais avec leurs cortèges
de sorcières et de visions maléfiques.
L’apparition de la presse à grand tirage, comme Le petit journal,
lancé en 1866, dont on voit un grand nombre de couvertures et, plus
tard, Détective, créé en 1928 par Joseph Kessel, confère
une audience considérable aux crimes de toutes sortes, tout en dénonçant
également, avec Daumier ou Steinlen, « le grand drame de ces pauvres
gens broyés par un monde impitoyable ». Le chapitre sur La Justice
est l’un des plus riches en documents (peintures, dessins, livres,
objets) de l’exposition. Il montre les « progrès » de l’incarcération,
mais « Être en prison pour un crime n’empêche pas de commencer un
autre crime » (Victor Hugo), et la réaction des artistes, de Toulouse-Lautrec
(Au pied de l’échafaud, 1893) à Warhol (Big electric Chair,
1967), face à l’exécution capitale. La partie consacrée au crime
et à la science évoque les aspects les plus contestables de celle-ci
avec ses théories fumeuses, que ce soit la physiognomonie, de Lombroso,
la phrénologie (1831) ou l’anthropologie criminelle (1878) qui supposent
que l’on peut être un criminel-né. Mais il y a aussi des criminels
malades mentaux, d’où la question de la responsabilité du mal. Punir
ou soigner ? Prétoire et prison ou médecin et hôpital psychiatrique ?
Après une salle consacrée à l’invention de l’identité judiciaire
par Bertillon et à la machine que Kafka décrit dans La Colonie
pénitentiaire, machine construite ici par Jacques Carelman,
l’exposition se termine par l’évocation des crimes sexuels qui inspirèrent
fortement les artistes dans les années 20, particulièrement en Allemagne
(le film M Le Maudit, de Fritz Lang, Le Viol de Degas,
La Mort de Marat de Munch) et par la fascination exercée
sur les surréalistes par le crime et les criminels (Violette Nozière,
les sœurs Papin, qui inspirèrent Les Bonnes à Jean Genet).
Une exposition passionnante, fort bien conçue et très bien présentée
grâce à la scénographie d’Hubert Le Gall. Musée d’Orsay 7e.
Jusqu’au 27 juin 2010. Pour
voir notre sélection de visuels, cliquez ici. Lien
: www.musee-orsay.fr.
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