Parcours en images de l'exposition

CAILLEBOTTE
Peindre les hommes

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°604 du 13 novembre 2024



Titre de l'exposition
Entrée de l'exposition.
Scénographie

Plus que les autres peintres du groupe impressionniste, Gustave Caillebotte (1848 –1894) a toujours montré une forte prédilection pour les figures masculines. En «chroniqueur pictural de l’existence moderne» selon l’expression du critique Gustave Geffroy, il dépeint l’apparence et l’existence des hommes de son temps ; du moins de ceux qui vivent auprès de lui – ses frères et amis – ou qu’il croise sur les boulevards en bas de chez lui, ouvriers aussi bien que bourgeois en promenade.

Caillebotte pose un regard «réaliste» mais aussi très personnel sur ces figures, empreint d’interrogations sur sa propre identité d’homme (à la fois bourgeois, peintre, amateur, sportif, célibataire), avec l’aspiration de s’affranchir des antagonismes de classe, et empreint d’une forme d’admiration, voire de désir, pour un idéal masculin moderne défiant les stéréotypes de genre. Ainsi, Caillebotte introduit dans la peinture de nouvelles images de la virilité, comme l’ouvrier ou le sportif, mais se plaît aussi à montrer le versant intime, considéré alors comme «féminin», de la vie des hommes bourgeois, passant le temps à jouer aux cartes, à regarder la ville depuis leurs balcons ou même à leur toilette.

À une époque où les sphères masculines et féminines sont plus que jamais différenciées, où triomphent la virilité militaire, le patriarcat bourgeois et la fraternité républicaine, mais où s’amorce aussi le mouvement d’émancipation des femmes et d’émergence des subcultures homosexuelles, les peintures de Caillebotte attestent des reconfigurations à l’œuvre dans la société de la fin du XIXe siècle.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de l'artiste, vers 1892. Huile sur toile, H. 40,5; L. 32,5 cm. Collection Musée d'Orsay. Achat avec les fonds d'une donation anonyme canadienne, 1971. © Photo : GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Martine Beck-Coppola.

Caillebotte peint ce dernier autoportrait quelques mois avant sa mort précoce à l’âge de 45 ans. Avec ses cheveux coupés court et sa barbe, l’artiste cultive une apparence particulièrement virile. Il prend soin de ne pas se représenter en bourgeois mais, portant un costume marin, il rappelle son identité de régatier. Son expression est dure et son regard, voilé par une ombre, semble concentré, voire quelque peu inquiet. Ce tableau aurait été offert par Caillebotte à Joseph Kerbrat, un marin payé et logé par l’artiste sur sa propriété du Petit-Gennevilliers.


1 - CAILLEBOTTE ET L'ARMÉE

Scénographie

Si Caillebotte a peu représenté le monde militaire et jamais la guerre, ces sujets ont occupé une place non négligeable dans sa vie, contribuant sans doute à forger son regard sur la masculinité. Son père a notamment fait fortune comme «entrepreneur des services des lits militaires», fournissant des textiles à l’armée sous la Monarchie de Juillet puis le Second Empire. Alors qu’il suit des études de droit, Caillebotte est tiré au sort en février 1869 pour effectuer son service militaire. Il réussit à s’y soustraire, son père ayant la possibilité de payer un «remplaçant». Mais pendant la guerre franco-prussienne (1870 –1871), il est incorporé au 7e bataillon de la garde nationale mobile de la Seine et affecté à la défense de Paris.

Sous la IIIe République, alors que le pays se prépare à une nouvelle guerre et rend progressivement obligatoire le service militaire, Caillebotte est versé dans la réserve active, puis dans l’armée territoriale. Le peintre effectue deux périodes d’exercices en 1876 et 1881 et est libéré de ses obligations en 1889.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848-1864). Soldat [Un soldat], vers 1881. Huile sur toile, 106,7 × 75 cm. Pasadena, Perenchio Foundation. Photograph by Fredrik Nilsen.

Au XIXe siècle la figure du soldat est réaffirmée comme modèle-même de la masculinité virile; la mort pour la patrie en étant l'expression la plus élevée. Caillebotte ne peint pas la guerre. Il préfère représenter un soldat anonyme qu'il a peut-être rencontré en 1881, alors qu'il doit participer une dernière fois à un temps d'exercices militaires. Comme souvent chez l'artiste, le modèle adopte une posture particulièrement assurée, fumant une cigarette, la main dans la poche et les jambes légèrement écartées. La composition, très dépouillée met en valeur les contrastes de couleurs et de formes. Elle semble inspirée par Le Fifre de Manet, un artiste qu'il admire.
 
Gustave Caillebotte (1848-1864). Militaires dans un bois. Yerres,  vers 1870. Huile sur toile. Collection particulière.

Ces petites pochades, peintes peut-être à l'été 1870, montrent des soldats français, pantalon rouge et vareuse bleue, bivouaquant dans la résidence de villégiature de la famille Caillebotte, à Yerres, au sud-est de Paris. L'artiste montre ici un goût pour la trivialité et l'irrévérence; il représente au premier plan un soldat déféquant dans le bois. Ces petits formats attestent également de la volonté de Caillebotte de s'exercer à peindre en plein air dès le début de la décennie.
 
Gustave Caillebotte (1848-1864). Le Casin, Yerres, vers 1870. Huile sur toile. Collection particulière.



2 - GUSTAVE ET SES FRÈRES

Scénographie

Au début des années 1870, Caillebotte abandonne ses études de droit pour devenir peintre et est admis à l’École des Beaux-Arts après une formation dans l’atelier de Léon Bonnat. Après un premier envoi refusé au Salon par le jury en 1875, il rejoint le groupe des impressionnistes dont il partage l’envie de tourner le dos aux traditions pour représenter de façon réaliste la société de leur temps et leur propre existence.

Ses premiers tableaux importants prennent pour sujet sa vie quotidienne, avec sa mère et ses frères, dans leur hôtel particulier du VIIIe arrondissement parisien ou leur maison de campagne à Yerres (Essonne). Son père Martial, mort en 1874, alors qu’il n’a que 26 ans, en est absent, mais ces somptueuses propriétés, bâties ou achetées par lui, sont le signe de sa grande réussite sociale. Martial père a encouragé ses fils dans leurs passions artistiques, la peinture pour Gustave et la musique pour Martial fils.

Les jeunes frères de Gustave sont parmi ses premiers modèles. À travers eux, il s’interroge sur son identité bourgeoise et sur sa place dans la société. Il est marqué par cette fratrie (deux frères et un demi-frère) et cherchera toute sa vie à retrouver et dépeindre ce sentiment d’appartenance à un groupe modelé par un idéal de fraternité.

 
Texte du panneau didactique.
 
Pierre Petit. Gustave, Martial et René Caillebotte, 1861. Épreuve sur papier albuminé, 9,1 × 5,3 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Jeune homme à sa fenêtre, 1876. Huile sur toile, 116 × 80 cm. Los Angeles, J. Paul Getty Museum. Image Courtesy of the The J. Paul Getty Museum.

Caillebotte représente, à la fenêtre de l’hôtel familial rue de Miromesnil, son frère René regardant vers le boulevard Malesherbes. Le jeune homme semble venir de se lever du fauteuil placé face à sa fenêtre, pour observer de plus près le spectacle de la rue, peut-être une passante. De sa silhouette émane le sentiment d’assurance d’un jeune et riche «rentier» - Caillebotte et ses frères ont hérité de plusieurs immeubles -, mais teinté d’ennui et d’une énergie mal canalisée entre les murs de la demeure bourgeoise.  De dos, la figure s’offre comme un alter ego du peintre et un sujet d’identification pour tous les regardeurs. René décède quelques mois après la réalisation de cette toile, à l’âge de vingt-cinq ans. Ses dettes de jeu, de tailleur, de fournisseurs, son implication dans des affaires de mœurs et un duel alimenteront les spéculations sur un suicide.
 
Cartel pour le jeune public.
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Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Billard, vers 1875. Huile sur toile. Collection particulière.

Cette toile inachevée représente la salle de billard - espace de jeu réservé aux hommes des classes aisées - dans la maison de campagne des Caillebotte à Yerres. On ne connaît pas l'identité du personnage, réduit à l'état de silhouette par l'audacieux effet de contre-jour imaginé par l'artiste. L'espace laissé vacant à gauche était peut-être destiné à accueillir une autre figure, le père, Martial, mort à la Noël 1874. À ce jour, aucune peinture de Caillebotte représentant son père n'est connue.
 
Portrait de Martial et Gustave Caillebotte. The Philatelic record, vol. XII, janvier à décembre 1890, Londres. Collection particulière.

Martial (à gauche) et Gustave (à droite) rassemblèrent une remarquable collection de timbres. The Philatelic Record, revue anglaise de philatélie à laquelle collaborent les deux frères, annonce, dans le numéro de décembre 1890, la vente de la collection (aujourd'hui à la British Library, Londres) et présente, non sans ironie, le mariage de Martial avec Marie Minoret en 1887 comme étant «la seule raison apparente» à la fin de cette passion commune.
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Déjeuner: René Caillebotte à table, vers 1876. Crayon et fusain sur papier. Collection particulière.
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Déjeuner: René Caillebotte à table, vers 1876. Crayon et fusain sur papier. Collection particulière.

Dans cette étude Caillebotte représente son frère René lisant un livre. C'est sans doute dans cette attitude qu'il souhaitait initialement le dépeindre dans le tableau Déjeuner, privilégiant finalement une pose plus énergique mais aussi plus triviale. Dans tous les cas, le jeune homme est absorbé dans son activité. Il semble coupé du monde qui l'entoure, comme tous les protagonistes de la scène.
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Déjeuner, 1876. Huile sur toile. Collection particulière.

Caillebotte nous fait partager son propre champ de vision lors d'un déjeuner en famille. À droite, son frère René pose de façon peu conventionnelle, en train de découper sa viande, pendant que leur mère, Céleste, est servie par le maître d'hôtel, Jean Daurelle. Le peintre joue de différents contrastes: l'opulence dans laquelle vit sa famille et la retenue des figures qui n'échangent pas même un regard, les objets luisant dans la lumière et les figures laissées dans l'ombre. Caillebotte se présente ici en observateur de sa propre intimité.
Scénographie. Photo Allison Bellido.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de M.E.D. [Portrait d'Eugène Daufresne lisant], 1878. Huile sur toile. Collection of Evan H. Katz.

Le modèle de ce tableau est un cousin germain de la mère de Caillebotte (née Daufresne). Magistrat à Rouen, il rend régulièrement visite à ses petits neveux, notamment après la mort de leur mère en 1878. II s'intéresse à l'art de Gustave, dont il possédera dix tableaux. Dans ce portrait peut être réalisé au décès de sa mère, Caillebotte le représente dans le fauteuil de cette dernière, absorbé dans la lecture d'un roman moderne reconnaissable à sa couverture jaune (couleur adoptée par Georges Charpentier, éditeur de Zola et des naturalistes).
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Madame C... [Portrait de Madame Céleste Caillebotte], 1877. Huile sur toile. Collection particulière.

Présenté à l'exposition impressionniste de 1877, ce tableau est le seul véritable portrait de Céleste Caillebotte par son fils, qui vit encore sous son toit. L'artiste profite de ce qu'elle soit absorbée dans son ouvrage «de dame» pour la peindre dans sa vérité, sans fard. Il lui confère également une dignité particulière en la représentant de face, droite, simplement vêtue de deuil, au milieu d'un intérieur rempli d'objets brillants et colorés. Céleste Caillebotte décédera l'année suivante.
Scénographie
 
Martial Caillebotte (1853-1910). L'Enfant prodigue. Épisode biblique. Paroles en prose d'Armand Silvestre, 1883. Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique.

 
Gustave Caillebotte. Huit portraits. Tirages sur papier albuminé au format carte de visite contrecollés sur carton. Collection particulière.



3 - AU TRAVAIL ET À L'ŒUVRE

Scénographie

Caillebotte, qui a grandi à proximité de la manufacture textile familiale, dans un Paris où la population ouvrière s’accroît, est l’un des premiers à dédier de grands tableaux aux travailleurs urbains. Probablement refusé par le jury du Salon en 1875, Raboteurs de parquets attire tous les regards à l’exposition impressionniste de 1876. La nouveauté tient beaucoup à l’intérêt que porte l’artiste à la représentation réaliste du corps de ces ouvriers à demi-nus, signe de la pénibilité de leur tâche. Cette œuvre peut aussi se lire comme l’expression, pour l’artiste, d’un idéal masculin moderne, viril et républicain, fondé sur l’idée de l’effort collectif, du travail, de l’égalité et de la fraternité. Si le regard du peintre bourgeois domine ses modèles (les employés de sa famille), Caillebotte dit aussi mépriser «les distinctions dites sociales» et s’identifie à eux comme travailleur manuel, tout particulièrement dans Peintres en bâtiments. «Travailleur infatigable par tempérament, ayant horreur des oisifs» (selon les mots d’un journaliste de la revue Le Yacht), l’artiste tente ainsi d’échapper à sa condition de riche rentier et s’épanouit en bâtissant des rapports fraternels avec des hommes d’autres milieux, tels que Renoir, au sein du groupe impressionniste.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Raboteurs de parquets: homme agenouillé penché vers la gauche, vers 1875. Crayon sur papier, 47,3 × 31,5 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

La méthode de travail de Caillebotte pour l’exécution de Raboteurs de parquets est particulièrement «académique». Comme il l’a appris dans l’atelier du peintre Léon Bonnat ou à l’école des Beaux-Arts, le dessin d’après le nu est la base de tout et ce n’est qu’en produisant de nombreuses études, dessinées ou peintes, qu’il pourra composer ensuite l’œuvre finale. Avec ces dessins d’après «le modèle vivant», Caillebotte cherche aussi à comprendre précisément les gestes et les postures de ces hommes au travail pour les rendre le plus fidèlement possible dans son tableau.
Scénographie. Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Études pour Raboteurs de parquets.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Esquisse pour Raboteurs de parquets, vers 1875. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Raboteurs de parquets, 1876. Huile sur toile. Collection particulière.

Gustave Caillebotte (1848–1894). Raboteurs de parquets [Les Raboteurs de parquet], 1875. Huile sur toile, 102 × 145 cm.
Paris, musée d’Orsay, don des héritiers de Gustave Caillebotte par l’intermédiaire d’Auguste Renoir, son exécuteur testamentaire, 1894.
Photo © musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.


Des ouvriers à demi-nus et transpirants préparent le parquet de ce qui pourrait bien être le futur atelier de Caillebotte, dans l'hôtel familial. Le point de vue surplombant adopté par l'artiste procure le sentiment d'une domination sociale. Pourtant Caillebotte montre aussi de l'admiration pour ces corps virils engagés ensemble dans un labeur manuel et s'identifie peut-être à eux. Probablement refusé par le jury du Salon en 1875, le tableau est présenté pour la première fois au public à l'exposition impressionniste de 1876 où il attire tous les regards. Certains critiques notent l'audace et l'ambition de l'œuvre, d'autres regrettent que l'artiste ait consacré un si grand format à un sujet si vulgaire et à des corps si laids (éloignés des canons de la statuaire antique).
 
Cartel pour le jeune public.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Peintres en bâtiments: Homme en haut d'une échelle, bras droit et la jambe gauche levés, vers 1877. Crayon et fusain sur papier. Collection particulière.

Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Études pour Peintres en bâtiments, vers 1877. Crayon et fusain sur papier (à gauche), crayon sur papier (au centre et à droite). Collections particulières.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Peintres en bâtiments [Les Peintres en bâtiment], 1877. Huile sur toile, 89,3 × 116 cm. Collection particulière, en dépôt au musée d’Orsay, Paris. Photo © musée d’Orsay / Sophie Crépy.

L'artiste prend ici pour sujet une simple scène observée au coin de la rue. Des peintres en devanture redonnent quelques couleurs à la façade d'un magasin de vin (possiblement situé face à l'hôtel particulier des Caillebotte, rue de Lisbonne) ou observent le travail accompli, comme le ferait l'artiste devant sa propre toile. Sans doute Caillebotte s'identifie-t-il à ces figures, revendiquant par-là un statut de travailleur. Le critique Philippe Burty remarque, chez l'artiste, «une curiosité, rare aujourd'hui, [pour] des types et des occupations strictement  professionnels».


4 - LA VILLE EST À NOUS

Scénographie

Parmi les compositions les plus spectaculaires de Caillebotte figurent ces ambitieuses vues urbaines parisiennes très remarquées à l’exposition impressionniste de 1877. Grands formats, constructions spatiales complexes, cadrages immersifs, elles produisent un puissant effet de réalité. D’une échelle bien supérieure à ce qui est communément admis alors pour de tels sujets, elles hissent la vie moderne à l’échelle héroïque de la peinture d’Histoire.

La vision de la ville que donne à voir Caillebotte est à la fois emblématique de la modernité par la nouveauté des architectures, et très personnelle. L’artiste, qui a grandi dans l’ancien faubourg Saint-Denis, vit depuis presque dix ans dans ces nouveaux quartiers bourgeois de l’Ouest parisien. Il en arpente chaque jour les rues et boulevards pour se rendre vers les quartiers de l’Europe ou des Batignolles où se trouvent les ateliers de ses amis et les cafés où ils se rencontrent.

Ces compositions révèlent aussi l’assurance et la liberté avec lesquelles les hommes occupent l’espace public – fondamentalement masculin au XIXe siècle –, qu’ils soient des «propriétaires» comme Caillebotte, qui hérite de son père plusieurs immeubles en 1874, ou des travailleurs plus modestes.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Le Pont de l'Europe: Homme marchant vu de dos, vers 1876. Crayon sur papier. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Le Pont de l'Europe: Homme accoudé, vers 1876. Crayon sur papier. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Pont de l'Europe, étude partielle, vers 1876. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Pont de l'Europe, esquisse, vers 1876. Huile sur toile. Collection particulière.

Avec Le Pont de l'Europe, sa première grande scène de rue, Caillebotte cherche à produire une œuvre ambitieuse, novatrice et en tout point «moderne». Il prend pour sujet le monumental viaduc métallique édifié en 1865-1868 et surplombant les voies ferrées de la gare Saint-Lazare toute proche. Particulièrement complexe, notamment par sa composition asymétrique, ses effets de perspective, de lumière et de couleurs, le tableau a exigé un très long travail de préparation et la réalisation de nombreuses études peintes ou dessinées.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). La Caserne de la Pépinière, vers 1878. Huile sur toile. Collection particulière.

Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Pont de l’Europe, 1876. Huile sur toile, 125 × 180 cm.
Genève. Association des amis du Petit Palais. © Rheinisches Bildarchiv Köln.

La scène est à la fois banale et énigmatique. À droite un homme en blouse (un ouvrier ou un commerçant) s'est arrêté pour contempler cet étonnant et nouveau spectacle, de la gare et des locomotives, dont on aperçoit la fumée à l'arrière-plan. À gauche, un jeune bourgeois (il s'agit d'un autoportrait de Caillebotte) devance de quelques pas une femme élégante. Leurs mouvements laissent deviner une forme d'interaction, mais l'artiste, qui refuse la narration ou l'anecdote, laisse planer le doute. Est-ce un couple ? L'homme vient-il d'accoster une prostituée? N'est-il pas en fait plus intéressé par l'ouvrier vers lequel son regard semble se diriger... Le critique Jacques voit dans ce tableau une «petite comédie commune, que nous avons tous observée, avec un sourire discret et bienveillant».
Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie : homme sous un parapluie, vu de profil gauche, et homme sous un parapluie allumant sa pipe, vers 1877. Crayon sur papier, 46 × 29 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie: Homme et femme sous un parapluie, vers 1877. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848- 1894). Rue de Paris, temps de pluie, 1877. Huile sur toile, 212 × 276 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Charles H. and Mary F. S. Worcester Collection. Image courtesy of The Art Institute of Chicago.

Le tableau, le plus grand jamais peint par Caillebotte, domine l’exposition impressionniste de 1877, où il est révélé au public, par son format, sa complexité spatiale, et les attitudes variées des figures. Le personnage principal, paletot ouvert, malgré la pluie, main dans la poche, traversant l’espace d’un pas décidé, une jolie femme à son bras qui regarde dans la même direction que lui, dégage un sentiment d’assurance et de détachement. Il incarne peut-être pour Caillebotte une forme idéale de virilité bourgeoise et de masculinité accomplie, qui rappelle l’image de son propre père disparu trois ans auparavant.
 
Cartel pour le jeune public.



5 - CAILLEBOTTE ET LE COSTUME MASCULIN

Scénographie

Le critique Duranty note dans La Nouvelle peinture (1876) : «ce qu’il nous faut, c’est la note spéciale de l’individu moderne, dans son vêtement, au milieu de ses habitudes sociales, chez lui ou dans la rue». Souscrivant à ce projet «réaliste», Caillebotte s’attache à la représentation du costume masculin.

Le vêtement ouvrier, coloré, bleu, ou clair, blanc, se démarque du costume bourgeois, le plus souvent noir. Dans Peintre en bâtiments, un travailleur s’autorise même au port du canotier, un accessoire issu du monde des loisirs. Caillebotte utilise ces éléments pour équilibrer ses compositions mais aussi pour souligner l’uniformité des couleurs de la ville moderne. Il oppose l’ample blouse de l’ouvrier (proche de celle des artistes-peintres), aux étroites redingotes et jaquettes bourgeoises, mettant en valeur la liberté de mouvement autorisée par ces vêtements.

Les costumes clairs ou colorés, à motifs (rayures, carreaux, pied-de-poule…) sont également admis pour les hommes, comme vêtements de campagne ou «de saison»; Caillebotte les représente dans ses scènes de villégiatures et de canotage.

 
Texte du panneau didactique.
 
- Canotier, vers 1890.Paille tressée et cousue, ruban de taffetas de soie, cordelette de coton et cuir. Paris, palais Galliera, musée de la Mode de la ville de Paris, don de Mme Chaumonot.
- Blouse d'ouvrier, fin du XIXe siècle. Toile de coton rayée gris et bleu, boutons. Paris, palais Galliera, musée de la Mode de la ville de Paris.

Scénographie

Voulant dépeindre «l’héroïsme de la vie moderne», selon l’expression de Baudelaire, Caillebotte représente en grands formats des figures contemporaines où le costume masculin joue un rôle majeur.

En juxtaposant plusieurs silhouettes semblables, il met l’accent sur l’uniformité du vestiaire bourgeois, sombre et quasi monochrome (Baudelaire y voyait «l’expression de l’égalité universelle»). Le bannissement des couleurs et des matières luxueuses accompagne la promotion d’une culture virile faite de maîtrise de soi et de retenue, réservant aux femmes la séduction par la couleur et l’ornement. Caillebotte souligne cette uniformité républicaine qui confère aux rentiers et aux domestiques la même silhouette. Il note toutefois les détails qui permettent d’individualiser ses modèles (col ouvert de l’homme dans Au Café, et accessoires à la mode dans le portrait de Paul Hugot).

Il cherche aussi à restituer le corps sous le vêtement, montrant un intérêt particulier pour les attitudes nonchalantes, relâchées, exprimant une aisance toute virile. Cette gestuelle est facilitée par l’évolution du costume masculin, devenu, dans les années 1870 –1880, plus ample et plus confortable. Le paletot (pardessus large et droit en drap) triomphe. Il est omniprésent dans les tableaux de Caillebotte.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Paul Hugot, 1878. Huile sur toile, 204 × 92 cm. Collection particulière. Photograph © The Museum of Fine Arts, Houston; Will Michels.

Paul Hugot, bourgeois «sans profession» mais proche du milieu de l'imprimerie et de la presse, est un grand ami des frères Caillebotte et leur voisin: il habite rue La Fayette. Par sa monumentalité, sa frontalité, et le choix d'un fond neutre, l'œuvre dépasse le statut de simple portrait. Il devient représentation d'un «type», celui du jeune parisien moderne: «chapeau cambré et à large bord sur la tête, gourdin à la mode sur l'épaule, main gauche dans le gousset, un journal et des gants passés dans l'échancrure du gilet» note le critique Henry Trianon, «c'est presque un portrait à la Balzac; on dirait maintenant à la Zola». À sa mort, Hugot possédait le plus important ensemble d'œuvres de Caillebotte (hors collection familiale de l'artiste).
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie: Homme sous un parapluie et femme de dos, vers 1877. Crayon sur papier. Collection particulière.
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie: Homme sous un parapluie, vu de face, et études de mains, vers 1877. Pierre noire sur papier gris-bleu. Collection particulière. Courtesy of Brame & Lorenceau, Paris.
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie: homme sous un parapluie marchant, vu de profil droit, vers 1877. Crayon Conté et mine de plomb sur papier gris-bleu. Collection particulière.
- Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Étude pour Rue de Paris; temps de pluie: homme sous un parapluie, vu de profil droit, vers 1877. Mine de plomb et fusain sur papier chamois.
Collection particulière.
Scénographie. Photo Allison Bellido.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Jean Daurelle, 1887. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, legs Marie-Jeanne Daurelle, 2019.

Caillebotte est l'un des seuls impressionnistes à représenter des domestiques. Il peint les jardiniers d'Yerres, son maître d'hôtel Jean Daurelle dans Le Déjeuner, et ce portrait en pied de petit format. Daurelle et sa famille vivent au côté des Caillebotte pendant une grande partie de leur vie. Jean Daurelle semble avoir joué un rôle de figure paternelle auprès de Gustave après la mort de son père Martial. Vêtu du même costume bourgeois que Paul Hugot (redingote et haut-de-forme), sa pose les mains dans le dos, semblant attendre quelque chose, laisse deviner son statut d'employé de maison.
 
Gustave Caillebotte (1848–1894). Dans un café, 1880. Huile sur toile, 155 × 115 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Martine Beck-Coppola.

Caillebotte fréquente les cafés parisiens, surtout celui de la Nouvelle Athènes, où se retrouvent Manet et les impressionnistes au cours des années 1870. Le modèle de ce tableau complexe, sujet isolé dans son œuvre serait son ami notaire Albert Courtier. Il pose ici en «pilier d’estaminet», selon les mots du critique Huysmans. Particulièrement nonchalant, mains dans les poches, col ouvert et chapeau rond rejeté en arrière, il regarde deux hommes attablés de l’autre côté du café que nous apercevons seulement dans le reflet du miroir. Huysmans écrit: «ce sont des gens attablés qui oublient l’embêtement des états qui les font vivre, ne roulent point de grandes pensées, et jouent tout bonnement pour se distraire des tristesses du célibat ou du ménage».
Scénographie


6 - HOMMES AU BALCON

Scénographie

Après la mort de ses parents, Caillebotte, âgé de trente et un ans, vend l’hôtel familial et s’installe avec son frère Martial dans un grand appartement, au troisième étage d’un bel immeuble du boulevard Haussmann. Avec l’invention de l’ascenseur, les habitations gagnent en hauteur ; les étages supérieurs deviennent des espaces nobles, comme en atteste le balcon filant du logement des deux frères. C’est là que l’artiste fait poser ses amis dans des compositions inédites, car si la fenêtre est un motif traditionnel en peinture, le balcon haussmannien est une nouveauté. De là, ces hommes semblent dominer la ville et participer à l’animation de la rue sans pour autant se mêler à la foule. Semblant à leur aise dans cet espace à mi-chemin entre la sphère publique de la rue, masculine, et la sphère privée, féminine, selon les conceptions de l’époque, leurs attitudes méditatives ou mélancoliques, laissent néanmoins deviner un sentiment d’isolement.

Ce point de vue original inspire à Caillebotte, qui peint sur son balcon, de singulières visions en «plongée» des boulevards où des silhouettes, réduites à quelques touches de couleurs, semblent errer dans un espace devenu abstrait.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Homme au balcon, vers 1880. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Boulevard vu d’en haut [Le Boulevard vu d’en haut], 1880. Huile sur toile, 65 × 54 cm. Collection particulière. © Comité Caillebotte, Paris.

Cette vue d’un trottoir du boulevard Haussmann est peinte par Caillebotte depuis son balcon. Le résultat est inédit dans l’histoire de l’art ; il anticipe de quelques années la photographie, qui, à la fin du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle, s’adonne à l’expérimentation formelle des vues en «plongée». Malgré son aspect presque abstrait, le tableau est un concentré de modernité parisienne: le jeune arbre récemment planté, le nouveau mobilier urbain (banc, grille d’arbre) et la voiture attelée «garée» dans le caniveau qui semble attendre un passager.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Balcon [Un balcon, boulevard Haussmann], vers 1880. Huile sur toile, 69 × 62 cm. Collection particulière. Photo © Photo Josse / Bridgeman Images.

Deux amis de Caillebotte, sans doute Albert Courtier et Maurice Brault, se tiennent sur le balcon de son appartement. Ils regardent vers le boulevard Haussmann tandis que l'artiste, lui aussi sur le balcon, les peint. Tout ici est «moderne»: l'architecture, le point de vue et les costumes. Caillebotte, fasciné par cette image, représente des hommes nouveaux dans une ville nouvelle. Pour renforcer cet effet le peintre joue du contraste entre la partie gauche, ensoleillée et colorée, «impressionniste», et la partie droite, dans l'ombre, peinte dans une gamme de tons plus réduite.
Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Boulevard des Italiens, vers 1880. Huile sur toile. Collection particulière.

Caillebotte peint la ville depuis son balcon ou ceux de ses amis, comme ici. Il se trouve chez Jules Froyez, dont il a réalisé le portrait (visible dans la salle suivante). En accordant une forte présence aux éléments en fonte du balcon, l'artiste semble indiquer que le lieu depuis lequel il a peint, sur le motif, cette vue, est tout aussi important que le paysage urbain lui-même. Les couleurs claires et la touche très esquissée ne sont pas sans rappeler le travail de Monet, qu'il admire et dont il collectionne les œuvres.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Un refuge, boulevard Haussmann, 1880. Huile sur toile. Collection particulière.

Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Pont de l’Europe, vers 1877. Huile sur toile, 105,7 × 130,8 cm.
Fort Worth, Texas, Kimbell Art Museum. Photo Robert LaPrelle.

Dans ce tableau énigmatique, le pont de l’Europe devient une sorte de balcon sur les voies ferrées de la gare Saint-Lazare. Contrairement à l’homme qui se dirige vers la gauche, d’un pas décidé, un bourgeois en haut de forme et un ouvrier en chapeau melon se sont arrêtés pour observer ce spectacle, comme l’artiste pour fixer cette image. Tout dans ce tableau contrevient aux conventions de la peinture de l’époque : le centre de la composition est bouché, les effets de perspective traditionnels sont remplacés par une juxtaposition brutale entre le proche et le lointain, les protagonistes sont des anonymes dont le visage n’est pas visible, et le tableau ne raconte rien. Pour Caillebotte, la peinture est un fragment d’une réalité qui se poursuit au-delà du cadre.


7 - PORTRAITS DE CÉLIBATAIRES

Scénographie

«Il a des amis qu’il aime et dont il est aimé : il les assoit sur des canapés étranges, dans des poses fantastiques», écrit le critique Bertall, se moquant sans doute de la pose alanguie et des motifs envahissants du Portrait de M. R. sans doute perçus comme féminins et dévirilisants.

Auteur de nombreux portraits d’hommes à la fin des années 1870 et au début des années 1880, Caillebotte se montre souvent plus sobre, privilégiant l’intérieur presque vide de son appartement et des poses et expressions retenues, voire austères, pour se conformer à ce que l’on attend des hommes au XIXe siècle (ni ornement ni sentiment). Cette simplicité fait ressortir la forte présence physique de ses modèles et l’intensité de leurs regards, perdus dans leurs pensées ou fixant le peintre.

Ce monde, presque exclusivement masculin, comme le sont les sociabilités de Caillebotte, accepte parfois une présence féminine, sans doute l’«amie» de l’artiste, Charlotte Berthier, de dix ans sa cadette (ils ne se marieront pas et n’auront pas d’enfants). La plupart des modèles de ces portraits habitent près de chez lui et resteront également célibataires, ce qui, dans une société où l’accomplissement masculin passe notamment par la famille, peut s’apparenter à une forme de marginalité.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Intérieur, 1880. Huile sur toile. Collection particulière.

Les relations entre les hommes et les femmes, notamment amoureuses, n'intéressent pas Caillebotte. Ici, contrairement à ce que rapportent les critiques du XIXe siècle, il ne s'agit sans doute pas d’un couple bourgeois malheureux, mais de deux personnes ayant en commun une relation privilégiée avec l'artiste. À gauche figure peut-être sa compagne, ou «amie», Charlotte Berthier, avec laquelle il vit hors du sacrement du mariage. À droite son grand ami Richard Gallo, célibataire endurci. Ces éléments rendent le tableau beaucoup plus subversif qu'il n'y paraît.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). La Partie de cartes, vers 1876. Pastel sur papier. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Madame X, 1878. Pastel sec sur papier grainé chiné bleu pâle. Montpellier Méditerranée Métropole, musée Fabre.

Dans ce qui pourrait être l'atelier de l'artiste, une femme enturbannée pose dans un fauteuil. Derrière elle, un chevalet sur lequel trône le Portrait de M. R. exposé en 1879 à la quatrième exposition impressionniste. Les deux figures sont étrangement jumelles, jusqu'à l'encadrement doré du portrait d'homme qui répond au bois doré du siège. Le modèle du portrait à l'arrière-plan serait Antoine Patrice Reyre, jeune commerçant parisien et amateur d'art; la femme pourrait être sa mère, Mar¡a - la famille est originaire d'Équateur -, qui vit chez lui.
Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait d'homme [Edouard Dessommes], 1881. Huile sur toile. Collection particulière.

Né à la Nouvelle-Orléans puis installé à Paris, Dessommes se lance dans la littérature, puis tente une carrière de peintre (un paysage au Salon de 1876). Il rencontre probablement Caillebotte dans l'atelier de Léon Bonnat. Ce dernier peint à ses côtés à Yerres, réalise une vue de toits à Montmartre sans doute depuis l'appartement de Dessommes, et l'inclut dans La Partie de bézigue. Dessommes est, comme les frères Caillebotte, membre du Cercle de la voile de Paris. Rentré à la Nouvelle-Orléans en 1887, il y meurt célibataire.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Jules Froyer, vers 1879-1881. Huile sur toile. Collection particulière.

Caillebotte peint un premier portrait de son ami Froyez en 1879, puis ce second resté inachevé. On remarque à l'arrière-plan le dessin des boiseries de l'appartement de l'artiste. Le modèle qui a gardé son paletot, semble en visite, tout juste arrivé ou prêt à partir. Froyez est rentier et célibataire; il meurt en 1896 à l'âge de quarante-neuf ans. Les cinq tableaux de Caillebotte qu'il possède sont alors vendus aux enchères.
 
Cartel pour le jeune public.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Intérieur [Intérieur, femme lisant], 1880. Huile sur toile, 65 × 81 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

Le tableau représente peut-être la compagne du peintre, Charlotte Berthier (jeune femme d’un milieu plus modeste, de dix ans sa cadette), et Richard Gallo. En représentant la femme lisant le journal (activité alors considérée comme masculine) et l’homme allongé sur le divan lisant un livre (attitude vue comme féminine), Caillebotte bouscule les stéréotypes de genre. Il se distingue aussi de ses confrères masculins en évacuant toute forme d’interaction sensuelle entre les deux personnages. Il n’oppose pas les hommes et les femmes et ne caricature pas leurs différences.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait d'Henri Cordier, 1883. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, don de Mme Henri Cordier, 1926.

Spécialiste renommé de l'Extrême-Orient, ayant vécu en Chine pendant les années 1870, auteur prolifique et professeur à l'École des langues orientales, Henri Cordier est un cousin éloigné de Caillebotte. Le peintre donne de lui cet étrange portrait où l'érudit, tout à son élan savant, nous tourne presque le dos et écrit sans avoir pris la peine de s'asseoir à son bureau. Cet investissement dans le travail devait séduire Caillebotte, qui mettait autant d'application dans ses propres passions.
 
Cartel pour le jeune public.

Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de Georges Roman, 1879. Huile sur toile. Collection particulière, avec l'aimable autorisation de la galerie Haas de Zurich.

Roman est un jeune peintre lyonnais issu d'une famille de soyeux. Célibataire jusqu'à la fin de sa vie, il est aussi semble-t-il de santé fragile. Malgré son amitié pour les impressionnistes, il ne connaît pas la même carrière. Son portrait par Caillebotte le montre tournant le dos à la fenêtre, avec un visage émacié et l'air sombre. L'artiste use de la présence du mobilier pour donner un sentiment de naturel à la scène, mais, l'éclairage dramatique et l'emploi de tons froids produisent un air d'«inquiétante étrangeté», selon le concept défini par Sigmund Freud au début du XXe siècle.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de M. G. [Portrait de Richard Gallo], 1881. Huile sur toile, 97,2 × 116,5 cm. Kansas City, The Nelson-Atkins Museum of Art, William Rockhill Nelson Trust through the generosity of Mrs. George C. Reuland through the W. J. Brace Charitable Trust and through exchange of bequests of Mr. and Mrs. William James Brace and Frances Logan; the gifts of Harold Woodbury Parsons, Mr. and Mrs. Henry W. Bloch, and the Laura Nelson Kirkwood Residuary Trust; and other Trust Properties. Photo Éric Frigière, Saint-Légier.

Richard Gallo, fils de banquier, né en Égypte, rencontre peut-être Caillebotte à Paris pendant ses études de droit. Il devient l'un de ses plus proches amis. Sans activité professionnelle au moment de ce portrait, et célibataire jusqu'à la fin de sa vie, il est l'un des modèles masculins de prédilection du peintre et pose pour plusieurs portraits et scène de genre. Dans ce premier tableau, Gallo semble «en visite» chez Caillebotte; il a gardé sa redingote et posé son chapeau sur le piano.
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Partie de bézigue [La Partie de bésigue], vers 1881. Huile sur toile, 125,3 × 165,6 cm.
Abu Dhabi, Louvre Abu Dhabi. © Department of Culture and Tourism – Abu Dhabi / Photo APF.


Dans cet unique portrait de groupe masculin peint par Caillebotte posent son frère Martial (à droite), et ses amis jouant chez lui à un jeu de carte à la mode. Simple scène de genre agrandie aux dimensions de la peinture d'histoire, l'œuvre se démarque du reste de sa production. Elle ne met pas en scène des figures solitaires ou distantes mais l'esprit de camaraderie de cette petite société d'hommes qui partagent son quotidien. À cette date, tous sont célibataires et sans enfants; ils le resteront, sauf Hugot et Martial. Beaucoup sont des membres du Cercle de la voile de Paris, comme Maurice Brault, qui joue face à Martial. Debout, au centre, se trouve Richard Gallo. Édouard Dessommes est assis au premier plan, et Paul Hugot assoupi sur le grand sofa.
Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait de M.J.R. [portrait de Jules Richemond], 1879. Huile sur toile. Collection particulière.

Les amis de Caillebotte ne sont pas tous, comme lui, célibataires et sans enfant; Richemond, marié, est père de deux enfants. Sa famille, des propriétaires terriens et notables de Vincy-Manœuvre (Seine-et-Marne), est proche des Caillebotte, qui possèdent une ferme dans cette localité. En 1879, Richemond quitte la campagne pour devenir rentier à Versailles.
Caillebotte aime le contre-jour, qui crée de forts contrastes et plonge en partie les corps et les visages dans l'ombre.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Portrait d'homme [Albert Courtier], 1880. Huile sur toile. Cleveland, The Cleveland Museum of Art, Bequest of Muriel Butkin.

Le notaire Albert Courtier, à qui Caillebotte confie son testament, a sans doute posé pour ce tableau montrant un homme élégant regardant la ville à travers la fenêtre et le garde-corps du balcon de l'appartement de l'artiste. Cette façon de représenter un modèle au sein de l'espace domestique, inactif, l'air rêveur, était généralement réservé au portrait féminin. La composition permet à Caillebotte un très intéressant effet de lumière.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Autoportrait au chevalet, 1879. Huile sur toile. Collection particulière.

Dans ce tableau, Caillebotte se représente fixant le miroir pour peindre son autoportrait. Il est dans son atelier où sont accrochés les tableaux de sa collection. En bonne place, le fleuron: Bal du moulin de la Galette de Renoir. Lors de l'exposition impressionniste de 1879, il présente cet autoportrait qui lui permet de s'affirmer doublement, comme peintre et collectionneur. Contrairement à la tradition, l'artiste ne se dépeint pas avec une femme à ses côtés (modèle ou muse) mais en compagnie d'un homme, sans doute son ami Richard Gallo, qui lit le journal.
 
Cartel pour le jeune public.



8 - PEINDRE LE CORPS NU

Scénographie

Caillebotte a peint très peu de nus, mais au début des années 1880, il exécute trois tableaux sur ce sujet, l’un représentant une femme et les deux autres un homme. Ces peintures sont particulièrement novatrices par leur réalisme sans concession : aucun prétexte historique ou mythologique, aucune idéalisation des corps présentés dans leur vérité. Le Nu au divan, l’un de ses plus grands formats, n’est pas exposé de son vivant. Homme au bain est présenté seulement à Bruxelles, en 1888, dans une exposition du «groupe des XX», un cercle d’avant-garde, qui le relègue dans une arrière-salle.

Ces œuvres sont-elles trop subversives ? En effet, si le thème de la toilette n’est pas neuf – Caillebotte s’inspire alors de Degas –, substituer un homme au modèle féminin, le représenter dans son intimité, de dos, dans une position vulnérable, placer le spectateur en situation de voyeur, et, enfin, offrir aussi franchement son anatomie au regard et à la délectation brise les conventions de l’époque. Ces œuvres, qui ont suscité des interrogations sur la sexualité de l’artiste, dont nous ne savons rien, questionnent les notions d’érotisme et de genre. Elles opposent leur mystère à toute interprétation facile.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Homme au bain, 1884. Huile sur toile, 144,8 × 114,3 cm. Boston, Museum of Fine Arts, Museum purchase with funds by exchange from an anonymous gift, Bequest of William A. Coolige, Juliana Cheney Edwards Collection, and from the Charles H. Bayley Picture and Painting Fund, Mary S. and Edward J. Holmes Fund, Fanny P. Mason Fund in memory of Alice Thevin, Arthur Gordon Tompkins Fund, Gift of Mrs. Samuel Parkman Oliver – Eliza R. Oliver Fund, Sophie F. Friedman Fund, Robert M. Rosenberg Family Fund, and funds donated in honor of George T. M. Shackelford, Chair, Art of Europe, and Arthur K. Solomon Curator of Modern Art 1996-2011. Photo © 2024 Museum of Fine Arts, Boston.

Ce tableau révolutionne le genre du nu masculin, dominé jusqu’alors par les «académies» (des exercices d’atelier) et les nus héroïques et idéalisés de la peinture d’Histoire. Un homme bien réel (dont on ne connaît pas l’identité) pose dans ce qui semble être la salle de bains de l’artiste dans sa propriété de campagne du Petit-Gennevilliers. Est-ce là un yachtman prenant son bain après une régate ? Le sport et l’hygiène sont alors deux formes de «disciplines» corporelles qui se développent concomitamment. L’ambition de Caillebotte est sans doute de transposer en peinture, dans un grand format, et dans cet univers viril qu’il connaît bien, les scènes de femmes à leur toilette de Degas dont il a acquis quelques exemples. Le dispositif «voyeuriste» du tableau - l’homme a tiré le rideau mais nous l’observons de derrière -, la façon dont son anatomie nous est donnée à voir sans restriction et sans doute le plaisir que l’artiste a eu de la peindre autorise une lecture potentiellement érotique de l’œuvre par le spectateur, homme ou femme.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Homme s’essuyant la jambe, vers 1884. Huile sur toile, 100 × 125 cm. Collection particulière. Lea Gryze c/o Reprofotografen.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Nu au divan, vers 1880. Huile sur toile, 129,5 × 195,6 cm. Minneapolis, Minneapolis Institute of Art, The John R. Van Derlip Fund. Image Courtesy of the Minneapolis Institute of Art.

Ce seul nu féminin peint par Caillebotte n'a pas été exposé de son vivant. La femme, dont l'identité n'est pas connue, pose sur le divan, chez les frères Caillebotte. Le nu est «réaliste»: pas de prétexte mythologique à la nudité, le modèle est une femme moderne qui s'est simplement déshabillée, et son corps est représenté tel qu'il est, loin des standards de beauté de l'époque qui proscrivent la pilosité des femmes. La composante érotique tient moins du lien qui pourrait exister entre le peintre et son modèle - elle semble ignorer sa présence – que du rapport à son propre corps dans son geste autoérotique.
Les environs de Paris de Gustave Caillebotte (vue partielle)

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9 - CAILLEBOTTE ET LES SPORTSMEN

Scénographie

La culture des loisirs se développe en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Elle inspire à Caillebotte une importante série d’œuvres sur le thème du canotage et de la baignade présentées à l’exposition impressionniste de 1879. Mais, contrairement à la majorité des artistes de sa génération pour qui ces sujets sont prétextes à figurer des hommes et des femmes flirtant en barque ou dans les guinguettes, Caillebotte montre un canotage sérieux, non-mixte et sportif. Expression d’une nouvelle culture masculine célébrant le dépassement de soi, la discipline, la force physique et l’effort collectif, le sport au grand air est vu comme un antidote aux maux et vices supposément dévirilisant de la société urbaine et industrielle.

Mais ces compositions ne sont pas dénuées d’une certaine sensualité. Caillebotte installe au plus près du spectateur ces jeunes hommes au physique athlétique portant un simple maillot blanc et jouissant du soleil, de l’air, de la vitesse et de l’immersion dans la nature.

Le sujet, éminemment moderne, est aussi très personnel. Ces sportifs ne participent pas en effet à de grandes compétitions sur la Seine ou sur la Marne, ils canotent simplement sur l’Yerres, rivière qui coule en bordure du parc de la maison de campagne des Caillebotte au sud-est de Paris.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Autoportrait au chapeau d'été, vers 1873. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Canotiers [Canotiers ramant sur l’Yerres], 1877. Huile sur toile, 80,5 × 116,5 cm. Collection particulière. Bridgeman Images.

Caillebotte, par son style et ses cadrages, donne aux corps des hommes une solide présence physique, plaçant le spectateur au plus près d'eux, à une époque où la figure du canotier, explicitement sexualisée, est un des supports privilégiés d'expression du désir féminin. Dans la nouvelle Une partie de campagne (1881), Maupassant écrit: «Leurs bras nus, qu'ils montraient sans cesse, gênaient un peu la jeune fille [...] tandis que Mme Dufour, plus hardie, sollicitée par une curiosité féminine qui était peut-être du désir, les regardait à tout moment ». Les sports nautiques sont réputés pour développer une musculature harmonieuse qui sera mise en valeur par le simple tricot blanc (assimilé alors à un dessous).
 
Cartel pour le jeune public.

Gustave Caillebotte (1848–1894). Partie de bateau [Canotier au chapeau haut de forme], vers 1877-1878. Huile sur toile, 89,5 × 116,7 cm. Paris, musée d’Orsay, acquis grâce au mécénat exclusif de LVMH, 2022. Photo : Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy.

Ce tableau, unique dans la série des canotiers de 1877-1878, ne représente pas le canotage sportif mais une promenade en barque. L’homme (dont l’identité est inconnue) a gardé son costume de ville, une élégante chemise rayée, signe de dandysme, et plus incongru encore, un élégant haut-de-forme en soie. En plaçant le rameur au centre de la composition, face à nous, si près du plan du tableau, et en insistant sur sa présence physique - ses vêtements près du corps mettent en valeur sa silhouette -, Caillebotte crée une forme d’intimité entre lui et le spectateur. Il déroge à l’iconographie habituelle où la place du passager ou du barreur est occupée par une femme.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Canotier ramenant sa périssoire, 1878. Huile sur toile. Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Périssoire sur l'Yerres, vers 1877. Huile sur toile. Pasadena, Norton Simon Art Foundation, from the Estate of Jennifer Jones Simon.

Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Périssoires sur l'Yerres, 1877. Huile sur toile, 88.9 x 116.2 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon. Image Courtesy of the National Gallery of Art, Washington.

Caillebotte préfère les embarcations individuelles (skiffs et périssoires) aux avirons à plusieurs places, un motif pourtant très populaire dans l'imagerie du sport à l'époque. L'artiste ne représente pas des rameurs en compétition sur la Seine ou la Marne mais sans doute des proches en promenade sur l'Yerres, rivière qui coule le long de la maison de campagne familiale. La végétation dense et enveloppante, la ligne d'horizon haute qui rejette le ciel hors du tableau et donne une très grande place à l'eau, renforcent ce sentiment d'intimité et d'immersion dans la nature.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Périssoires [Périssoires sur l’Yerres], 1877. Huile sur toile, 103,5 × 155,9 cm. Milwaukee, Milwaukee Art Museum, Gift of the Milwaukee Journal Company, in honor of Miss Faye McBeath. Image Courtesy of the Milwaukee Art Museum. Photo John R. Glembin.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Canotiers, 1877. Pastel. Collection particulière.

Caillebotte se passionne pour le pastel à la fin des années 1870, sans doute sous l'influence de Degas. La vivacité de ces pigments purs autorise de puissants contrastes colorés qui contribuent à structurer la composition. Les deux figures verticales s'opposent à l'horizontalité du paysage de rivière. Le peintre joue de leurs ressemblances et dissemblances et du jeu de regards entre le peintre, l'homme assis jambes écartés et le rameur en maillot blanc dont il met en valeur la largeur du dos et la nuque.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Baigneurs, 1877. Pastel sur papier. Paris, musée d'Orsay.

Scénographie. Photo Allison Bellido.
Ces trois grands «panneaux décoratifs» constituent l'aboutissement des recherches de l'artiste sur ce thème des loisirs au bord de l'eau. Conçus pour venir décorer un intérieur, sans doute une pièce dans la maison de Yerres, ils ne seront finalement pas installés avant que le domaine soit mis en vente. En associant dans cet ensemble des images du canotage et des scènes de baignade et de pêche, Caillebotte insiste sur le lien existant entre sport, loisirs et «temps pour soi» dont bénéficient les hommes de sa condition. «Il était maître de son temps, sûr du lendemain», écrit Geffroy à sa mort. La seule figure féminine du triptyque est une enfant de dix ans, Zoé Caillebotte, cousine de l'artiste et observatrice de la scène.
 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Baigneurs, 1878. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Périssoires, 1878. Huile sur toile.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Pêche à la ligne, 1878. Huile sur toile. Collection particulière.



10 - LES PLAISIRS D'UN « AMATEUR »

Scénographie

Au début des années 1880, Gustave et Martial Caillebotte vendent le domaine de Yerres pour acquérir une propriété au Petit-Gennevilliers, au bord de la Seine. Là ils peuvent laisser libre cours à leur passion pour le yachting, mais aussi pour l’horticulture. Au mariage de Martial en 1887, Gustave quitte Paris et s’installe définitivement en banlieue avec sa compagne Charlotte Berthier, quelques domestiques et deux matelots. Il ne quitte la région parisienne que pour participer à des régates en Normandie. Après la dissolution du groupe impressionniste au cours des années 1880, et à la fin de leurs expositions collectives, il n’expose presque plus à Paris. Il continue cependant de peindre avec ardeur, dans un style plus hardi que jamais, des œuvres inspirées par ses activités d’«amateur» et pour lesquelles pose un cercle réduit d’intimes.

Dans son dernier grand format, Une course de bateaux (1893), le peintre réunit ses différentes passions. Il se représente en marin, à la barre d’un bateau de course qu’il a lui-même dessiné et fait construire, voguant avec un autre homme sur la Seine ; une certaine idée du bonheur, ou tout au moins de la liberté. L’artiste meurt peu après d’une «congestion cérébrale» le 22 février 1894, à l’âge de quarante-cinq ans.

 
Texte du panneau didactique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Homme en blouse, 1884. Huile sur toile. Genève, Association des amis du Petit Palais.

Caillebotte se rend à plusieurs reprises en Normandie pendant l'été au cours des années 1880 pour participer à des compétitions de régates. À cette occasion, il peint de nombreux paysages, et quelques figures, comme ce promeneur qui a particulièrement retenu son attention. Il pourrait s'agir de Magloire Raulin, jardinier à Étretat. Sa silhouette rappelle celle des ouvriers présents dans ses vues de Paris. À cette époque Caillebotte est propriétaire d'un grand jardin au Petit-Gennevilliers et se passionne de plus en plus pour l'horticulture.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Potager, Petit-Genevilliers, vers 1882. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le Jardinier, vers 1877. Huile sur toile. Collection particulière.

Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Promeneur au bord de mer, 1885. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le père Magloire sur le chemin de Saint-Clair à Étretat, vers 1884. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Le père Magloire allongé dans un bois, 1884. Huile sur toile. Genève, Association des amis du Petit Palais.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Les Roses, jardin du Petit-Gennevilliers, vers 1886. Huile sur toile. Collection particulière.

Plusieurs photographies montrent Gustave jardinant, et l'on connaît sa passion pour les fleurs. Pourtant, dans ses peintures sur le thème du jardin, l'artiste choisit plutôt de représenter une femme dans les allées. Il s'agit vraisemblablement de Charlotte Berthier (ici avec son petit chien). La jeune femme est peu représentée par Caillebotte, bien qu'elle vive avec lui à Paris et au Petit-Gennevilliers. Dans un recensement elle est décrite comme son «amie». Il lui laissera par testament une petite maison et une rente. Contrairement aux apparences, la peinture de Caillebotte ne nous livre qu'une vision partielle de sa vie.
Scénographie. Photo Allison Bellido.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Chemin montant, 1881. Huile sur toile. Hasso Plattner Collection.

C'est à Trouville que Caillebotte peint ce tableau, où l'on retrouve sa prédilection pour les figures de dos et les situations indéterminées entre les hommes et les femmes. L'artiste représente-t-il un couple ? ou bien sa propre compagne et un ami ? Au début des années 1880 Caillebotte s'est «converti» à la peinture de plein air, sur le modèle de ses amis Monet et Renoir, comme le montre cette peinture au coloris très vif et à la touche énergique qui fait la part belle aux effets de lumière filtrant à travers les feuillages.
 
Cartel pour le jeune public.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). La berge du Petit-Gennevilliers et la Seine, 1890. Huile sur toile. Collection particulière.

Ce tableau offert par Gustave à son frère Martial pour la naissance de sa fille est une peinture décorative, conçue probablement pour son appartement de la rue Scribe à Paris. Les deux jeunes garçons qui nous tournent le dos, clin d'œil à l'enfance des frères Caillebotte, sont les deux fils d'Émile Lamy, le voisin et très proche ami de Gustave au Petit-Gennevilliers. Le petit chien semble celui de Charlotte Berthier, l'«amie» de Gustave. Il s'agit peut-être d'un autre clin d'œil lui permettant d'évoquer cette jeune femme d'un milieu modeste, vivant avec Caillebotte hors mariage, et qui n'était semble-t-il pas acceptée par la famille de Martial, conservatrice et très catholique.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Bord de la Seine au Petit-Gennevilliers, en hiver, vers 1893. Huile sur toile. Collection particulière.

Au Petit-Gennevilliers, Caillebotte semble trouver un frère de substitution en la personne de son voisin Émile Lamy, fabricant de chaussures et grand yachtman. Dans cette peinture inachevée, il se représente face à Lamy. Ils sont tous deux statiques, les mains dans les poches. Cette composition, inspirée par une photographie des deux hommes dans la même attitude, donne une impression d'inaction forcée (celle des amateurs de régates l'hiver ?). Caillebotte ajoute entre ces figures un tronc d'arbre qui crée une étrange séparation entre les deux amis.
 
Vitrine (album photographique et photographies).

 
Martial Caillebotte. Gustave dans sa serre, février 1892. Aristotype (?), 16 × 11 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

Scénographie
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Une course de bateaux [Régates à Argenteuil], 1893. Huile sur toile, 157 × 117 cm. Collection particulière. Photo © Caroline Coyner Photography.

Si les régates sont une des grandes passions de Caillebotte, il n’y a cependant pas beaucoup de tableaux sur ce sujet dans son œuvre. L’artiste semble s’y intéresser particulièrement au début des années 1890, peignant alors plusieurs toiles montrant deux hommes naviguant sur ces élégants bateaux, la plupart conçus par Caillebotte lui-même. Ces images suggèrent cet esprit de fraternité et de liberté cher au peintre. C’est le sujet de son dernier tableau de grand format, qui est aussi un autoportrait.
 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Bateau à voile sur la Seine, vers 1893. Huile sur toile. Collection particulière.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Voiliers à Argenteuil, vers 1888. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.

 
Gustave Caillebotte (1848 - 1894). Bateau, étude, vers 1893. Huile sur toile. Collection particulière.