BASELITZ SCULPTEUR. C’est exceptionnel
en France de faire deux rétrospectives pour un même artiste vivant.
C’est pourtant le cas ici. En effet après celle consacrée aux peintures
de Georg Baselitz par le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
en 1996-1997, voici aujourd’hui, dans les mêmes lieux, la présentation
de cinquante sculptures, soit la quasi-totalité de sa production,
accompagnées de sept peintures et de près de quatre-vingts dessins.
De son vrai nom Hans-Georg Bruno Kern, Baselitz est né en 1938 à
Deutschbaselitz, un village situé dans ce qui deviendra l’Allemagne
de l’Est et dont il adoptera le nom. Renvoyé en 1956 de l’Ecole
des Beaux Arts de Berlin Est pour « manque de maturité sociopolitique »,
il passera à l’ouest, à l’âge de dix-neuf ans et y restera jusqu’à
la chute du mur de Berlin. En 1963, sa première exposition personnelle
à Berlin fait scandale et deux de ses peintures sont confisquées !
L’année suivante, il expérimente la gravure, y compris des gravures
sur bois. En 1969 il réalise sa première peinture à l’envers, représentation
qui deviendra sa « marque de fabrique » comme on peut le voir dans
la présente rétrospective avec les sept toiles peintes en 2011.
C’est en 1980, alors qu’il est déjà un peintre et graveur mondialement
reconnu, qu’il réalise sa première sculpture, pour le pavillon allemand
de la Biennale de Venise. Ce choix audacieux lui est dicté par le
lieu où il ne voyait pas comment placer une de ses peintures monumentales.
Son œuvre, modestement intitulée
Modell für eine Skulptur représente
un buste menaçant émergeant d’une poutre, le bras droit levé. Salut
hitlérien pour certains, geste inspiré de la statuaire dogon où
l’on trouve beaucoup de statues avec un bras levé (voir
Lettre 328) pour l’artiste, grand collectionneur d’œuvres africaines. C’est
un nouveau scandale. Cette sculpture ouvre tout naturellement la
présente exposition. Elle est en bois, comme toutes les sculptures
de Baselitz, et sa taille est plus grande que nature, autre caractéristique
de l’oeuvre de l’artiste.
Baselitz utilise une technique de sculpture brutale car il se situe,
selon ses dires, dans « la tradition de ces Teutons sauvages, de
Dürer à Kirchner, loin du raffinement des français et des italiens ».
Ses sculptures étant gigantesques et en bois massif, il doit se
procurer des troncs ayant un diamètre d’au moins un mètre soixante,
qu’il taille directement avec une tronçonneuse à partir des dessins
qu’il a préparés. Puis il affine les formes à la hache, sous tous
les angles et enfin il passe de la peinture en certains endroits.
Ayant abandonné le rouge de ses débuts, ses préférences vont au
bleu et au jaune. Sa série des sept
Femmes de Dresde, 1990,
représentant des têtes sans nez, yeux ou traits, pour évoquer la
guerre et ses atrocités sur les visages des victimes, sont entièrement
peintes en jaune vif. D’autres sculptures, au contraire, ne sont
que partiellement peintes, laissant le bois s’exprimer à l’état
brut.
A partir de 1994 Baselitz commence à recouvrir ses sculptures de
tissu de couleur, quadrillé de petits motifs réguliers. Nous pouvons
voir ainsi
Chose à carreaux, Torse plus bleu et
Armalamor,
toutes de 1994. Ces sortes de poupée sont déconcertantes et bien
moins impressionnantes que les très grandes sculptures de ces dernières
années qui terminent l’exposition. Pour celles-ci l’artiste peint
les vêtements, les cheveux ou les couvre-chefs et ce qui tient lieu
de chaussures, d’énormes blocs supportant l’œuvre d’où émergent
les jambes. La plupart de ces sculptures sont des autoportraits
comme
Ma nouvelle casquette, 2003,
Peuple Chose Zéro,
2009 ou
Dunklung Nachtung Amung Ding (sorte de comptine intraduisible),
2009. Avec
Madame Outremer, 2004, c’est sa femme Elke qu’il
représente. Comme on le voit, il ne s’agit pas d’une sculpture traditionnelle
mais d’une œuvre très personnelle et sans équivalent, qui ne laisse
personne indifférent et qu’il ne faut pas manquer.
Musée d’Art
moderne de la Ville de Paris 16e. Jusqu'au 29 janvier 2012.
Lien : www.mam.paris.fr.