LES YEUX SECS

Article publié dans la Lettre n° 229


LES YEUX SECS. Film franco-marocain de Narjiss Nejjar avec Siham Assif, Khalid Benchegra, Raouia, Rafiqua Belhaj (2003-couleurs-2h00).
Avec la fermeture de la prison, Fahd le gardien voit sortir Mina, la dernière détenue, oubliée là depuis trente ans. Elle avait été arrêtée à Tisi, au cours d’une rafle, alors qu’elle vendait son corps, comme ses compagnes, dans ce village berbère uniquement habité par des prostituées. Fahd, devenu chauffeur de bus, la revoit un soir, perdue dans Casablanca déserte. Il la raccompagne à Tisi, aux confins de l’Atlas, lieu coupé du monde depuis l’écroulement d’un pont que l’on a jugé inutile de reconstruire, et que les hommes du bourg voisin viennent visiter les soirs de pleine lune. Au village, Hala, une jeune femme fière et farouche, les accueille mais ne leur donne l’hospitalité que pour deux jours. C’est elle le chef de ce gynécée, elle qui commande et ordonne. Elle ne reconnaît pas en Mina sa propre mère, arrêtée lorsqu’elle avait huit mois. Elevée sans amour, prostituée à peine pubère, elle a le coeur et les yeux secs. Mina prend soin de ne pas se faire reconnaître et lui présente Fahd comme son fils. Tandis que Fahd fait la connaissance de ces jeunes femmes perdues, de leur vie inimaginable, de l’opprobre et de la discrimination dont elle sont l’objet, des coutumes aussi terribles que traumatisantes lorsque l’on n'a que douze ans, Mina va tenter avec patience de leur apprendre à relever la tête.
Jeune réalisatrice marocaine, Narjiss Nejjar s’investit avec passion dans ce premier film qu’elle présente comme un plaidoyer pour les femmes marocaines prostituées, dont les villages tels que celui-ci émaillent le pays. Elle nous projette dans un monde et une civilisation aux antipodes des nôtres, révélateurs d’un archaïsme moyenâgeux. Si elle s’insurge contre le sort réservé au Maroc à ces femmes laissées dans l’ignorance totale et qui n’ont d’autre alternative pour survivre que la prostitution, elle ne fustige pas pour autant les hommes. Fahd, seul personnage masculin du film, a un rôle particulièrement humain. Son but est seulement de « harceler les consciences » afin que ces jeunes femmes ne vivent plus les yeux baissés et rasant les murs.


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