VODKA
LEMON
Article
publié dans la Lettre n° 227
VODKA LEMON. Film italo-helvético-franco-arménien
de Hiner Saleem avec Romen Avinian, Lola Sarkissian, Ivan Franek,
Rouzanne Hesropian (2003-couleurs-1h30).
Le village kurde de cette région perdue d’Arménie semble pétrifié
par la glace. Le cimetière ne vaut guère mieux. C’est pourtant là
que déboule en trombe un lit en fer sur lequel trône un vieillard
impotent. On lui tend un verre. Il y place son dentier puis sort
sa flûte pour égayer les quelques villageois venus rendre hommage
aux morts. Le ton du film est donné, c’est celui de l’humour du
désespoir. Tout en effet, pourrait désespérer ces habitants, plus
pauvres que Job, qui affrontent leur dénuement à coup de verres
de vodka, de quelques chansons et de beaucoup d’humour. Faisant
salon sur le seuil de leur porte, emmitouflés mais les pieds dans
la neige, ils devisent sur la période de l’occupation soviétique,
qu’ils regrettent, tandis que sur la route toute proche, passent
quelques rares véhicules ou un cavalier sur sa monture, allant Dieu
sait où. Parmi eux, Hamo fréquente assidûment le cimetière, tenant,
feu son épouse, au courant des dernières nouvelles. Il vit avec
son fils aîné et sa petite-fille, son deuxième fils étant à Paris,
à Alfortville, précise-t-il, comme s’il s’agissait du paradis. Il
en attend tout de ce fils, quelques billets surtout, qui lui permettraient
de subsister, sans avoir à vider le contenu de sa maison sur le
marché, au plus offrant. Il reste digne, le visage noble, raviné,
aussi aristocratique que ses manières. Au cimetière, il rencontre
Nina, une veuve pas mieux lotie que lui, qui tient « Vodka Lemon
», une buvette déglinguée au bord de la route, que son patron va
fermer. Elle apprendra, surprise, qu’Hamo a payé sa dette au chauffeur
du bus qui passe inlassablement la même chanson d’Adamo, Tombe
la neige, en l'accompagnant d'un accent à couper au couteau!
Hiner Saleem décrit la pauvreté absolue de ces kurdes oubliés d'Arménie
avec un charme identique à celui de son héros, pétri d’éducation.
Si l’on retrouve dans cette comédie la même fantaisie que celle
contenue dans son premier film, sorti en 1998, Vive la mariée...
et la libération du Kurdistan!, il l’a assaisonné d’une bonne dose
de surréalisme, inhérent à l’histoire, afin de montrer l’absurdité
dans laquelle est plongée cette population. Son film se résume à
cette phrase de son grand-père, qu’il cite dans Le fusil de mon
père, récit sur son enfance kurde en Irak: « Notre passé est
triste, notre présent est catastrophique, mais heureusement nous
n’avons pas d’avenir ». Lien: www.memento-films.com/
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