UZAK
Article
publié dans la Lettre n° 223
UZAK. Film turc de Nuri Blige Ceylan avec
Muzaffer Ozdemir, Mehmet Emin Toprak, Zuhal Gencer Erkaya (2003-couleurs-1h50).
Sac au dos, foulant du pied les routes enneigées d’Anatolie, Yusuf
tourne résolument le dos à son village et au chômage, le pouce levé
en direction d’Istanbul, miroir aux alouettes, où il espère trouver
du travail. Il n’emporte rien sauf une adresse, celle de son cousin
Mahmut, qui accepte de le recevoir chez lui en attendant qu’il s’organise.
En accord avec l'ancestral accueil oriental, Mahmut ouvre sa porte
à Yusuf mais de mauvaise grâce. Photographe pour une fabrique de
carrelages, entre autres, il est lui-même arrivé à Istanbul deux
décennies plus tôt et s’y est fait une place à force de volonté.
Le luxe de son appartement, le modernisme de sa voiture sont la
marque de sa réussite matérielle. Pour le reste, ce quadragénaire
est en pleine crise existentielle. Mal remis de son divorce, sa
solitude et sa propre famille, composée de sa mère et de sa soeur,
lui pèsent à tel point qu’il lit à peine son courrier et laisse
fonctionner son répondeur. Installé pour une semaine, Yusuf qui
veut travailler sur un bateau et quitter le pays, s’incruste. La
première gêne se transforme vite en malaise. Celui-ci s’installe,
persistant, entre les deux hommes de générations et aux aspirations
différentes. Le côté intellectuel policé de Mahmut, qui pourtant,
n’a pas su tirer parti des bons côtés de la vie, est incompatible
avec le comportement frustre et fier mais sans éducation de Yusuf,
assez jeune encore pour tout attendre de son avenir.
Ce film est le résultat du travail d’un seul homme puisque Nuri
Blige Ceylan a écrit, produit, dirigé et signé la photo de cette
histoire qu’il a tournée en six semaines entre son propre appartement
et les rues d’Istanbul en hiver ce qui lui permet de gratifier le
spectateur de superbes images de la ville. « Histoire », est d’ailleurs
un bien grand mot. Il s’agit plutôt là d’un moment de vie, d’une
rencontre entre deux hommes, ponctuée par quelques rares dialogues.
Tout est plus suggéré que dit, mais à travers les problèmes existentiels
de l’un et matériels de l’autre, Nuri Bilge réussit fort bien à
dresser un constat assez amer de la vie en Turquie aujourd’hui,
avec les problèmes de l’immigration vers les villes des provinciaux
poussés par le chômage et celui de la solitude inhérente aux grandes
cités. Il faut donc savoir capter la tristesse, le mal de vivre
qui s’inscrivent sur les visages de deux excellents comédiens plutôt
que de s’arrêter sur les répliques laconiques qu’ils échangent tout
au long de ce film austère mais qui retient l’attention. Lien:
www.pyramidefilms.fr/uzak/uzak.htm
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