TELL ME LIES. Film britannique de Peter
Brook avec Mark Jones, Pauline Munro, Robert Langdon Llyod, Glenda
Jackson, Ian Hogg (1968-restauré en 2012-couleur et noir et blanc-1h48).
Sorti presque clandestinement en février 1968 à New-York et à Londres,
ce film inédit en France devait être présenté au cours du festival
de Cannes de la même année. Comme chacun sait, ce festival fut interrompu
sous la pression de François Truffaut et Jean-Luc Godard, rejoints
par d'autres réalisateurs. C'est donc la première fois que l'on
peut le voir, dans une version minutieusement restaurée.
En 1968, cela fait quatre ans que les américains sont en guerre
au Vietnam. Les interrogations sur la nécessité et la légitimité
de cette guerre sont nombreuses dans le monde entier. Peter Brook
a déjà créé en 1964, à la RSC, la Royal Shakespeare Company, une
pièce de théâtre, US, dans laquelle les comédiens faisaient
part de leurs doutes sur le bien fondé de cette guerre et condamnaient
ses ravages parmi la population civile vietnamienne. Deux ans plus
tard, Peter Brook ressent le besoin de faire partager ces interrogations
à un plus large public, via le cinéma.
Sans être une docufiction, cette forme narrative expliquée dans
le film même, Tell Me Lies présente des scènes tournées avec
les comédiens de la RSC, entrecoupées de séquences où ces mêmes
comédiens s'entretiennent avec des personnalités politiques comme
Stokely Carmichael, leader du « Comité de coordination des
étudiants non-violents », ou Reginald Paget, un membre du
Parlement britannique, et des documents d'actualités. Le film s'ouvre
ainsi sur une photo d'une vietnamienne tenant son bébé gravement
brûlé et tout entouré de bandelettes comme une momie. Il nous montre
aussi l'immolation d'un bonze par le feu en pleine rue, à Saigon,
à laquelle fait écho, quelque temps plus tard mais sans caméra cette
fois, l'immolation analogue d'un quaker américain, Norman Morrison,
à l'entrée - bien mal gardée en 1965 ! - du Pentagone.
Ce film exprime clairement et sans parti pris apparent, l'ambigüité
de la position britannique, partagée alors par tous les pays occidentaux
: peut-on condamner un pays qui a délivré l'Europe du joug nazi
et pourrait-on refuser de l'aider au Vietnam s'il nous le demandait
?
Ce questionnement est encore d'actualité en 2012, comme on le voit
avec l'engagement de nombreux pays aux côtés des américains dans
les derniers conflits. C'est pourquoi ce film est toujours aussi
intéressant. Il n'aura rien changé au conflit vietnamien, comme
c'est sans doute le cas pour toutes les œuvres d'art engagées telles
Les désastres de la guerre de Goya ou le Guernica
de Picasso, mais il aura posé les bonnes questions. A la fin, on
nous dit que tout est prêt pour les prochaines guerres, en Afrique,
en Amérique latine, en Amérique du Nord mais, étrangement, le moyen
orient n'est pas mentionné !
La sortie de ce film à petit budget, plus de quarante ans après
sa réalisation par l'un des metteurs en scène les plus importants
de notre époque, est donc non seulement un évènement cinématographique
majeur mais aussi un sujet de réflexion sur les conflits actuels,
devenus presque banals. R.P.
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