LE
PROMENEUR DU CHAMP DE MARS
Article
publié dans la Lettre n° 239
LE PROMENEUR DU CHAMP DE MARS. Film français
de Robert Guédiguian avec Michel Bouquet, Jalil Lespert, Philippe
Fretun, Anne Cantineau (2004-couleurs-1h55).
Le président sait qu’il va mourir. La maladie fait son oeuvre et
la mort arrive à grands pas. Sans doute faut-il , comme tant d’autres,
laisser quelque souvenir. Antoine, un jeune journaliste qui écrit
un livre sur lui, est contacté pour coucher ses mémoires sur le
papier. Au fil des semaines, les entretiens sont longs ou brefs,
suivis ou interrompus, au gré des caprices de la maladie mais aussi
de l’humeur de son interlocuteur. L’homme ne confie que ce qu’il
veut bien. Orgueilleux de son parcours, il souhaite laisser une
trace dans le grand livre de l’histoire: « Je ne suis pas une page
que l’on arrache facilement ». Antoine voudrait revenir sur un passé
obscur et brûlant. Une question le taraude: le président a-t-il
rejoint la résistance en 1942, lorsque Laval est revenu au pouvoir
et que Bousquet négociait avec l’Allemagne le sort de 3 000 juifs,
ou en 1943? En 42 rétorque le président, péremptoire, photo à l’appui.
Mais sa grande amie, madame Picard, résistante de la première heure,
est catégorique: la photo date de 43. Toutefois elle conseille au
jeune journaliste: « Laissez-le s’arranger avec sa mémoire, il est
seul juge ». Mais Antoine insiste et le président se fâche: « Vous
n’allez pas vous y mettre vous aussi... Cela fait 40 ans que je
les guette, mais ils ne m’auront pas » prévient-il à l’égard de
la droite qui l’attaque sur ce point. D’entretien en entretien,
sous l’homme public que toute la France connaît, se dessine l’homme
privé, d’une intelligence aiguë, qui savait aussi bien être affable
et soucieux de son entourage que caustique, hautin, blessant ou
rancunier, d’une grande culture: il était à lui seul une petite
encyclopédie de références littéraires. Autour de lui, excepté son
médecin, ses gardes du corps, son secrétaire particulier et son
chauffeur, personne, une solitude qui le place au devant de la scène.
Robert Gédiguian a très finement élaboré son scénario à partir du
livre de Georges-Marc Benamou, Le dernier Mitterrand. Il
reprend les passages qui lui permettent de brosser un portrait assez
personnel de l’homme public et privé, ne pouvant cacher une certaine
subjectivité. Il a habilement intercalé entre les entretiens quelques
scènes de la vie d’Antoine, le narrateur. Ces intermèdes permettent
d’en gommer le côté répétitif mais aussi de mettre en relief certains
sentiments du président sur la vie, sa fille ou les femmes.
Adoré par certains, haï par d’autres, le promeneur du champ de
Mars n’aura laissé personne indifférent, le film non plus. Cela
est dû sans aucun doute au talent de Michel Bouquet. Son extraordinaire
prestation est le résultat d’un labeur de six mois durant lesquels
il s’est peu à peu fondu dans la peau de son personnage pour devenir
lui. Face à lui, Jalil Lespert peine à avoir une présence. Lors
de ses derniers voeux aux français, François Mitterrand avait conclu:
« Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas ». Fut-il
sincère? Vérité ou mensonge, là résida durant quatorze années de
règne toute l’ambiguïté du personnage. Lien: www.lepromeneurduchampdemars.com
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