LITTLE GO GIRLS

Article publié exclusivement sur le site Internet, après la Lettre n° 393
du 29 février 2016


 

LITTLE GO GIRLS. Documentaire français d’Eliane de Latour (2015 - couleur - 1h18).
La réalisatrice, anthropologue de formation, présente ici son huitième film. Tous « portent un regard de l’intérieur sur les mondes fermés de ceux que l’on repousse derrière une frontière physique ou social ». Elle a ainsi tourné avec des personnes âgées en Cévennes, des femmes cloîtrées dans un harem au Niger, des femmes emprisonnées en France, etc. Le présent film fait suite à Bronx Barbès tourné en 2000 à Abidjan et surtout à un travail photographique en 2009 sur les Go, des jeunes filles entre 10 et 23 ans, qui se vendent dans les ghettos d’Abidjan. Ces magnifiques photos, que l'on voit au début du film, lui ont permis de faire deux expositions à Paris, Les belles oubliées (2011) et Les belles retrouvées (2014). Elle décide alors de reverser aux filles qu’elle avait photographiées une partie de l’argent ainsi obtenu C’est le point de départ du film.
Eliane de Latour retourne donc à Abidjan, retrouve non sans mal ces jeunes Go et les filme dans leur quotidien, seule, avec une petite caméra très discrète. Les Go sont des jeunes filles, très jeunes parfois, qui ont quitté leur famille pour diverses raisons, souvent pour fuir les violences familiales, et qui vivent dans les ghettos d’Abidjan, clandestinement et dans le déshonneur. Ce ne sont pas des prostituées professionnelles mais elles se prostituent pour vivre, et se retrouvent ainsi tout au bas de l’échelle de la prostitution. Dès qu’elles ont de quoi vivre, elles arrêtent puis recommencent quand elles ont tout dépensé. La réalisatrice s’attarde sur les visages, les habitations, les occupations de ces Go, manifestement désoeuvrées, consacrant beaucoup de temps à leur toilette. Elle suit plus particulièrement quatre d’entre elle, Bijou, Blancho, Chata et Mahi, ravies des photos qu’elle avait faites avec elles et fières de les montrer à leur proches. Elle ne nous montre aucune scène de racolage ou de sexe. Il y a peu de commentaires en voix off, mais des commentaires en surimpression qui brouillent parfois l’image. C’est avec cela que le spectateur doit se faire une idée sur la condition de ces filles. Nous apprenons ainsi que trois d’entre elles ont péri noyées en allant en pirogue se prostituer sur les cargos qui mouillent au large et que les marins ne peuvent pas quitter. Nous voyons que si la plupart sont musulmanes, certaines sont chrétiennes. Les habitations, de simples cabanes en bois et tôle, qu’elles louent, bordent des « rues » envahies d’ordures. Nous sommes vraiment dans les tréfonds de l’humanité et, même à Abidjan, on se demande comment cela existe encore. Le film nous l’explique par petites touches. Nous avons vu que la réalisatrice voulait reverser une partie de l’argent de ses expositions aux Go. Pour cela elle voulait le confier à une association humanitaire, mais aucune ne s’intéresse à ces filles, considérées comme irrécupérables. Dans ces conditions, comment renverser cette situation ?
Le film nous décrit aussi ce qui semble être une expérience exceptionnelle, la vie en communauté d’une dizaine de Go dans une Casa des Go. Les filles s’organisent, s’instruisent, se forment pour exercer un vrai métier. Elles établissent aussi des règles pour vivre ensemble. Ainsi, au début, elles doivent faire le ménage à tour de rôle. Mais très vite, cela devient impossible et elles embauchent deux petites ramasseuses d’ordures, d’une condition encore inférieure à la leur, pour ces tâches ménagères ! Cette expérience dure sept mois au bout desquels six filles vont se lancer dans l’activité qu’elles ont choisie tandis que les quatre autres retournent dans le bidonville.
Ce film est intéressant pour tout ce qu’il nous montre de ces ghettos mais nous aurions aimé avoir plus d’explications pour comprendre précisément comment ces filles en sont arrivées là, de quelles familles viennent-elles, comment elles ont lancé cette Casa (est-ce une idée de la réalisatrice pour utiliser l'argent des photos ?) et surtout comment tous ces gens vivent dans ces ghettos immondes. Mais dans ce cas le film aurait peut-être pris une autre orientation. RP. En salles à partir du 9 mars 2016.


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