COMPANY
Article
publié dans la Lettre n° 225
COMPANY. Film américain de Robert Altman
avec Neve Campbell, Malcolm McDowell, James Franco (2002-couleurs-1h50).
L’agitation est fébrile dans les vestiaires du Joffrey Ballet de
Chicago. Les élèves se changent afin de suivre leur cours sous la
houlette du maître de ballet tyrannique parce que perfectionniste.
Mouvement après mouvement, effort après effort, ils s’entraînent
avec rigueur, concentration et passion, et enchaînent les pas qui
composeront le prochain ballet. Piquets, ronds de jambe, pliés,
arabesques et portés, aucun d’eux n’a plus de secret pour eux, rien,
si ce n’est le petit « plus » inné qui les distinguera de leurs
camarades pour le rôle de soliste tant convoité. De temps à autre,
Alberto Antonelli, le directeur, que tous appellent Mister A avec
un mélange de crainte et de respect, fait son apparition, regarde,
reprend un élève, ou pire, ne pipe mot lorsque le chorégraphe, qui
a toute latitude, écarte un danseur pour un autre à quelques jours
du spectacle.
Loretta Ruy, Ry pour les intimes, donne le meilleur d’elle-même.
Remarquée par le maître, elle s’apprête à danser sur scène un duo.
Le corps souple, le geste sûr, ce soir-là en plein air, alors que
l’orage gronde, elle va enchanter un public accroché à son parapluie
mais qui ne bougera pour rien au monde. Croulant sous les applaudissements,
elle a gagné, mais elle reçoit surtout les félicitations de Mister
A, et la promesse d’un rôle en solo. C’est elle que Robert Altman
va suivre, rôle interprété par Neve Campbell qui a imaginé et coproduit
le film. Le réalisateur entre par la petite porte de l’entrée des
artistes, dans la vie quotidienne de l’une des meilleures compagnies
américaines. Ne faisant qu’effleurer la vie personnelle de Ry, il
montre en filigrane son parcours jalonné d’embûches, entre les cours
épuisants et son travail de serveuse dans une discothèque pour payer
son loyer, ses affaires de coeur avec un petit ami qui la laisse
et sa rencontre avec un autre. Il met surtout l’accent sur les difficultés
physiques et morales, sur les sacrifices consentis pour quelques
moments de pur bonheur sur une scène, à la merci d’un faux pas ou
plus grave, de la blessure redoutée qui peut interrompre une carrière.
Mêlant deux genres, documentaire et fiction, Robert Altman s’attarde
sur le visage désenchanté de la danseuse qui s’entraîne tôt le matin
à la barre, puis laisse la place aux jeunes, sachant qu’à quarante-trois
ans, le temps l’a définitivement rattrapée. Il capte le désarroi
du jeune danseur remplacé au dernier moment par un autre ou à l’effervescence
du chorégraphe canadien, folklo mais inspiré, qui prépare Blue Snake,
son dernier chef-d’oeuvre, affolant par ses idées délirantes Mister
A, qui n’a qu’un mot à la bouche, « budget, budget, budget ». De
la préparation à l’exécution des ballets, l’oeil d’Altman embrasse
d’un seul coup tous les tourments que vit une troupe pour offrir
le grand soir venu, sans effort apparent et le sourire aux lèvres,
ce que le réalisateur nomme « la tyrannique beauté du travail »,
un grand moment de rêve et d’émotion. Plusieurs salles dont UGC
Triomphe 8e (08.92.70.00.00). Lien: www.metrofilms.com/company/home.html
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