L'ANGLAISE
ET LE DUC
Article
publié dans la Lettre n° 189
L’ANGLAISE
ET LE DUC. Film français
d’Eric Rohmer avec Lucy Russell, Jean-Claude Dreyfus, François Marthouret,
Caroline Morin, Léonard Cobiant (2001-couleurs-2h05).
Eric Rohmer est un cinéaste inclassable, à l’écart de tous les courants,
de toutes les modes. Depuis des années, il nous régale de ses Fables,
de ses Contes moraux, de ses Comédies et proverbes dans lesquels
il sonde avec humour et une apparente légèreté le coeur et l’âme
de ses personnages. Très écrits, ses scénarios minutieusement élaborés,
où la psychologie est découpée au scalpel, ont marqué des générations
de cinéphiles. C’est cette même exigence, cette même précision que
nous retrouvons aujourd’hui dans une page de notre histoire que
Rohmer a choisi de faire revivre, trois années de la Révolution
française, les plus tourmentées.
Feuilletant le journal de celle-ci, il met en scène Grace Elliot,
une anglaise, qui, après avoir séduit le Prince de Galles a eu quelques
faveurs pour le Duc d’Orléans. Vivant entre Paris et Meudon, elle
a choisi la France et son Roi pour parcourir le chemin de son destin.
Si Grace est foncièrement royaliste et respecte ce monarque pris
dans la tourmente, la haine que nourrit Le Duc d’Orléans pour son
cousin « Capet » ainsi que ses idées folles, vont la heurter. Mais
malgré ces différends, leur affection et leur estime communes seront
une aide et un rempart face à l’horreur indescriptible vécue au
quotidien.
C’est une évocation objective, telle que la raconte son héroïne
au jour le jour, qu’Eric Rohmer retrace. Il met en scène le courage
et l’héroïsme de certains, la veulerie de beaucoup d’autres et décrit
les différentes réactions des aristocrates de l’époque qui ont émigré,
retourné leur veste, ont oeuvré contre leur souverain ou sont restés
fidèles, finissant de la façon la plus atroce, sous les quolibets
de la populace haineuse. Jean-Claude Dreyfus apporte toute la subtilité
de son jeu au rôle du Duc, Lucy Russell est lumineuse dans celui
de Grace. Le souci du détail est également présent dans les costumes
ravissants, le mobilier raffiné et les superbes décors d’un réalisme
étonnant, peints par Jean-Baptiste Marot à partir de gravures de
l’époque. Un film d’une grande intelligence, d’une rare sensibilité
et d’une rigueur remarquable dans lequel Eric Rohmer a enfin raison
des préjugés historiques.
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