LE VOYAGE DE MONSIEUR PERRICHON

Article publié dans la Lettre n° 291


LE VOYAGE DE MONSIEUR PERRICHON d’Eugène Labiche et Édouard Martin. Mise en scène Julie Brochen avec Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Alexandre Pavloff, Pierre Vial, Madeleine Marion, Stéphane Varupenne, Hélène Babu, Vincent Leterme, Denis Chouillet.
« Je me suis demandé un petit congé que je me suis accordé »! C’était l’époque où le slogan : « travailler plus pour gagner plus » aurait déclenché l’hilarité ! Armand et Daniel, deux jeunes gens de bonne famille, ont ainsi laissé leurs occupations professionnelles et se disposent à suivre une jeune fille afin de demander sa main. Surpris, ils se retrouvent à la gare et se rendent compte que si l’objet de leur amour est le même, ils ne peuvent l’épouser tous les deux : « En France, c’est défendu » ! Les voici donc rivaux et peinent à suivre la famille Perrichon, en route pour Les Alpes. Monsieur Perrichon veut montrer à sa fille Henriette « le grand spectacle de la nature ». Celle-ci est très étonnée, elle aussi, de retrouver les deux jeunes gens qui l’ ont fait danser la semaine dernière au bal du 8e arrondissement. Premiers émois, premier choix, mais il s’agit pour les deux jeunes gens de toucher le cœur du père plutôt que celui de la fille. Une fois installés à l’hôtel et lors d’une promenade, Armand tire Monsieur Perrichon d’un mauvais pas au sens propre du terme. A cause de ce haut fait, le cœur d’Henriette balance aussitôt pour le héros du jour, tout comme les sentiments de reconnaissance de sa mère, mais Daniel n’a pas dit son dernier mot. Au cours d’une autre promenade, il fait mine de glisser afin d’être sauvé par monsieur Perrichon. Les hommes ont leurs faiblesses : entre montrer de la gratitude envers celui qui l’a sauvé et être flatté par celui qu’il croit avoir sauvé, Monsieur Perrichon n’hésite pas une seconde : le rôle de sauveteur lui plaît bien davantage que le rôle de sauvé. Son choix est fait. Mais Armand, Henriette et sa mère n’ont pas dit leur dernier mot!
Eugène Labiche et Édouard Martin ont écrit là une œuvre intemporelle. Si tout flatteur « vit au dépens de celui qui l’écoute», tout flatté, lui, « vit aux dépens de celui qu’il écoute » ! L’ingratitude traverse les siècles avec la même force, la reconnaissance est toujours aussi faible. Julie Brochen exploite la modernité de la pièce, l’écriture acérée et les personnages d’une grande richesse, dans une mise en scène très enlevée, parfois peut-être un peu excessive, où la musique tient une part non négligeable, comme elle l’était à l’époque de l’auteur. Là réside, pour une grande part, la réussite de ce spectacle. La partition très contemporaine de Denis Chouillet est un coup de maître car elle porte littéralement l’écriture si particulière de Labiche. L’idée de rappeler en prologue Le Parti d’en rire de Francis Blanche et Pierre Dac sur le Boléro de Ravel est tout aussi drôle et efficace que l’épilogue chanté à capella par des comédiens chanteurs époustouflants. Les nombreux costumes de Sylvette Dequet font eux aussi entrer les personnages dans notre époque et si la mode change, l’âme humaine, elle, n’évolue pas. Les comédiens endossent tout cela avec une facilité aussi déconcertante que réjouissante. D’une façon aussi originale que spectaculaire, Hélène Babu et Thierry Hancisse sont passés maîtres dans l’art de descendre les pentes enneigées! Un spectacle tonique dont l’originalité séduit. Théâtre du Vieux- Colombier 6e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction