VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Article publié dans la Lettre n° 348
du 31 décembre 2012


VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT d’après l’oeuvre de Louis-Ferdinand Céline. Adaptation Nicolas Massadau. Mise en scène et scénographie Françoise Petit avec Jean-François Balmer.
Dans une rue de Paris, Bardamu suit des yeux un détachement et sa fanfare qui partent pour la guerre avec un imposant colonel à sa tête. Excité, fougueux, subitement concerné, il emboite le pas et s’engage. Les encouragements des passants se font de plus en plus rares à mesure que la troupe quitte les rues, puis les faubourgs. S’en suit une marche interminable dans un assourdissant silence. « J’allais m’en aller mais c’était trop tard ». Cet acte manqué est lourd de conséquences. Il scelle d’un coup le destin du gamin de vingt ans. Il est trop tard pour revenir sur un coup de tête irréfléchi. La vie de Bardamu se tient là, dans cette décision, qui l’entraîne dans une guerre qu’il ne comprend pas et dont il ne se remettra pas, blessé, médaillé, à jamais traumatisé. L’homme quitte la France, voyage en Afrique puis, après un bref passage aux Etats-Unis, rentre au pays. Il reprend ses études, et son diplôme de médecin en poche, pose sa plaque dans un quartier populaire dont il décrit la vie quotidienne avec un réalisme lucide.
A une époque où un voile pudique est jeté sur les horreurs de ce conflit, Louis-Ferdinand Céline lance un pavé dans la mare en publiant un roman où il décrit le martyre de tous ces soldats broyés par la guerre et dénonce avec hargne l’après-guerre, les conséquences de la crise de 29, ses inégalités, sa pauvreté et son désespoir. Pour employer une expression moderne, Voyage au bout de la nuit est politiquement incorrect car sa publication en 1932 a bousculé toutes les règles traditionnelles et strictes du roman français, non seulement dans son fond, mais aussi dans sa forme. Le monde qu’il décrit, violent, pessimiste, passionne ou dérange mais ne laisse personne indifférent. Il dit ce que tout le monde tait. Il sait qu’il vient d’écrire un chef-d’œuvre parce qu’il a tout donné de lui. Chaque mot est écrit en lettres de sang : « J’en donnerai à bouffer, il y en a pour un siècle ! », dira-t-il, avec raison. Au cours des années, il affirme ses idées. Son antisémitisme, ses fréquentations lors de l’occupation allemande, le jettent au banc de la société. Haïs ou admiré, il reste pour beaucoup et pour reprendre une réflexion d’André Malraux : « sans doute un pauvre type… et certainement un grand écrivain ».
On ne compte plus les adaptations du Voyage, les lectures qui, depuis des décennies, soufflent sur le paysage artistique français. Fabrice Luchini en est l’un des multiples exemples.
Nicolas Massadau et Françoise Petit présentent une adaptation et une mise en scène épurées dont la scénographie, très subtile, nous emmène en voyage. Le fond de la scène est un ciel chargé de nuages qui se transforment au gré du périple de son personnage. Allié aux lumières ondoyantes, ces différents lieux, discrètement suggérés, donnent toute sa force au texte.
Jean-François Balmer joue la carte de la simplicité et de l’émotion. Changeant de costume selon les caprices des nuages, il est l’homme qui se raconte, témoigne et s’insurge. Son interprétation, remarquable, séduit le spectateur le plus exigent. Théâtre de l’Œuvre 9e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Fermez cette fenêtre ou mettez-la en réduction pour revenir à « Spectacles Sélection »