VOLTAIRE ROUSSEAU

Article publié dans la Lettre n° 367
du 14 avril 2014


VOLTAIRE ROUSSEAU de Jean-François Prévand. Mise en scène Jean-Luc Moreau et Jean-François Prévand avec Jean-Paul Farré et Jean-Luc Moreau.
Le regard appliqué sur « ce cher ange », debout dans l’embrasure de la porte, en dit davantage qu’un long discours sur l’opinion que Monsieur de Voltaire a de Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci vient de se présenter, sans s’annoncer, à la grille de son château de Ferney, un bouquet de chardons à la main. Par civilité, Voltaire accepte de le recevoir et retire les inflorescences d’hortensias qu’il vient d’arranger avec art dans un vase pour y placer le présent pour le moins curieux de l’intrus dont le surprenant cafetan arménien, « très chaud très pratique », tranche avec le costume immaculé de son hôte. Chardons et habillements traduisent les différences entre les deux hommes. Tout le monde ne peut pas avoir la chance d’avoir ses fenêtres donnant sur la France et son potager sur la Suisse comme Monsieur de Voltaire. Pour lui, « … tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. » Il est consacré. Houdon vient même de lui finir un buste dont l’original est en bonne place à la Comédie-Française. Rousseau, pauvre et malheureux, lui annonce que la Suisse vient de le bannir et qu’il est à la rue.
Mais que vaut à Voltaire cette visite inopportune ? Un pamphlet, jeté en pâture à une société toujours prête à déchirer ses victimes, pamphlet anonyme dont Rousseau est la cible. Il vient mener une enquête chez son meilleur ennemi, dont il connaît les nombreuses relations, espérant qu’il l’aidera à découvrir l’identité de l’auteur de l’infâme torchon intitulé Sentiment des citoyens. Il a bien une idée et jette le nom de Jacob Vernes...
D’une plume inspirée, Jean-François Prévand imagine ce face à face entre deux monuments de la philosophie et de la littérature du siècle des Lumières, deux « confrères » ayant des conceptions du monde et de l’utilité de la culture diamétralement opposées. Sur le fameux pamphlet, d’abord, dans lequel Rousseau est accusé d’avoir abandonné ses cinq enfants à l’Hôpital public. Le théâtre, ensuite, apprécié par l’un, honni par l’autre et la place des femmes dans la société. « La femme n’est pas à sa place en public », lâche Rousseau. L’encyclopédie, dont Voltaire déplore l’autodafé et dont Rousseau minimise sa participation, n’ayant écrit, selon lui, que « des articles de musique ! Pour faire plaisir à Diderot ». L’ esprit moderne de Voltaire est effaré par le dernier écrit de Rousseau, Attentat contre le genre humain, qui prône un retour à la nature pour le bien de l’humanité. Le ton monte, échauffe les esprits. Les répliques fusent, aux accents parfois très contemporains. « Les Suisses étaient très heureux d’avoir mon argent mais ils ne voulaient pas de moi. Alors j’ai laissé mon argent chez eux et je suis venu m’installer ici » ! Ou cette autre réflexion : «… je regrette qu’une bande de pouilleux dans un désert ait cru bon de nous inventer un Dieu Unique, Vengeur et Jaloux. Sans eux on n’aurait jamais eu l’Islam ni la Chrétienté. Qu’est-ce qu’on serait tranquille ! ».
L’imagination de Jean-François Prévand nous renvoie à une période phare de notre histoire ainsi qu’aux hommes qui ont contribué à en faire ce qu’elle est aujourd’hui. Avec cette version revue par l’auteur, Jean-Paul Farré et Jean-Luc Moreau reprennent les rôles qu’ils avaient tout aussi brillamment tenus il y a plus de vingt ans déjà. Théâtre de Poche Montparnasse 6e. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici.


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