LE VIEUX JUIF BLONDE

Article publié dans la Lettre n° 465
du 31 octobre 2018


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LE VIEUX JUIF BLONDE. Texte d’Amanda Sthers, sous le regard de Volker Schlöndorff avec Camille Razat, et Stanislav Makovsky (violoncelle).
Sors de ce corps, Joseph Rosenblatt ! du corps de Sophie, la blonde jeune fille de 20 ans, qui se débat dans la douleur de son hystérie schizoïde, autrement dit fait vivre en elle les personnalités multiples de sa dissociation mentale. Elle s’attife d’un informe manteau sans âge, peut-être celui du vieillard de 77 ans qui la hante ? « Je suis une surface », se plaint-elle. Comment vivrait-elle sereinement en se sentant vieille dans un jeune corps ? « Qui suis-je ? ». Identité refusée et terrible mal de vivre, donc. Pourquoi a-t-elle choisi un Juif, dont elle éprouve la malédiction millénaire, les coups endurés à chaque gifle que son agressivité et son insolence suscitent de la part de son entourage ? « Même les nazis ne m’ont jamais fait ça, tu es un monstre ! », répète-t-elle en leitmotiv, en se recroquevillant sur le sol jonché de feuilles mortes.
L’adolescente est très perturbée, certes, mais par qui, par quoi ? Par sa mère qu’elle déteste et singe en fausset nasillard ? Par sa grand-mère qui répète ses questions d’une voix de crécelle ? Par son père si indifférent, dont elle quémande et espère le geste de tendresse salvatrice ? Autant de voix, et d’autres aussi, que Camille Razat imite à s’y méprendre.
Tandis que se déroule le repas familial qu’elle réinterprète en jeûne de Kippour, sa vindicte verbale dévoile le récit des compromissions et des trahisons, la mémoire hallucinée du vieux déporté, la douleur enkystée à la mort de la jeune sœur Mathilde, Julien qu’elle s’invente, l’amant réel de sa mère, les hypocrisies sociales, le refus de l’anormalité. Histoires de famille, de la haine ordinaire, du mal-être adolescent, des secrets enfouis, d’une souffrance si atroce qu’on ne peut que la théâtraliser pour soi-même dans le dédoublement, l’insolence extrême.
Car c’est bien d’une apocalypse, d’un dévoilement, qu’il s’agit. La normalité de son corps enfin retrouvée, elle trouve les bras de son père. Et elle « devient » ce qu’elle n’avait jamais été jusque-là.
Tandis que le violoncelle lancinant de Stanislav Makovsky, tant langoureux que rauque, module, grince, larmoie, pleure les douleurs indicibles, la bulle éclate enfin, enfin les mots se disent, les sentiments se font jour.
Le texte est très beau, sans pathos excessif, tout en nuances et en excès. Double comme le jeu de Camille Razat, criante de vérité, lumineuse comme la blondeur répandue de sa chevelure, sans fard comme le tourment qui la hante, vibrante comme les dangers extrêmes que court toute adolescence en quête d’elle-même. A.D. Théâtre des Mathurins 8e.


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