LA VIE, BIEN QU’ELLE SOIT COURTE

Article publié dans la Lettre n° 395
du 11 avril 2016


LA VIE, BIEN QU’ELLE SOIT COURTE. Texte Stanislav Stratiev. Mise en scène Sophie Accard avec Sophie Accard, Tchavdar Pentchev, Léonard Prain.
Un bouton largue les amarres, et c’est tout un univers physique et mental qui vacille…
Voici l’architecte, un homme cultivé, mélomane, esthète, gourmet, professionnel reconnu, financièrement à l’aise. Nanti d’une Lada 1500, c’est dire ! Avec néanmoins d’infimes craquelures dans cette lisse réussite, le désir qui point de remettre en question un confort sans accroc. Peut-être est-ce la conscience qu’on ne peut pas avaliser tout et n’importe quoi, ces immeubles par exemple, au milieu de nulle part, de la boue, de la laideur. Et le bouton saute, et le pantalon rejoint les chevilles. Détail matériel sans importance, certes, mais qui initie un choc existentiel. Le bel édifice des évidences de l’architecte Stilianov se fissure, au gré des rencontres avec les autochtones de cette banlieue improbable. Choc des cultures et des mentalités, lucidité incrédule, plongée dans un univers digne de Kafka. Difficile d’être pris au sérieux quand on s’accroche à un pantalon fugueur, Stilianov a beau clamer la naïveté de sa demande, - un bouton, du fil, une aiguille -, il y a la femme qui redoute le satyre, les voisins goguenards, le squatter retranché dans son fortin, entre autres figures picaresques de la médiocrité sociale, entre méfiance et rejet. Et quand s’en mêle la bureaucratie de l’absurde, il ne reste que la fuite résignée, en abandonnant le pantalon coupable. Vers quelle autre vie ?
Pour donner à voir ces figures du ridicule et de l’absurde, sans tomber dans l’effet immédiat et grossissant, la mise en scène choisit un décor de grilles et d’enfermement, mais à trous, qui autorise les ombres chinoises, la plongée dans l’univers de ces petites gens jusque là inconnues de Stilianov. Le temps est scandé par baguettes et xylophone, les perruques formalisent une noria de personnages, que les trois acteurs incarnent avec jubilation, dans une palette variée, du lunaire au truculent.
L’humour est grinçant, le rire fuse évidemment. Mais on se contenterait à tort d’une absurdité, tout compte fait facile, qui ne dispense pas d’une déconcertation dont on ne sort pas indemne. Si l’existence ne tient qu’à un fil de bouton, si le ridicule ne tue pas, nul n’est à l’abri d’une telle tempête et de ses ravages ordinaires. Un bel exercice de mise en autre perspective. Joyeux et salutaire. A.D. Théâtre du Lucernaire 6e.

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