LA VÉNUS AU PHACOCHÈRE

Article publié dans la Lettre n° 349
du 21 janvier 2013


LA VÉNUS AU PHACOCHÈRE de Christian Simeon. Mise en scène et scénographie Christophe Lidon avec Alexandra Lamy.
Belle, intelligente, Misia possède un sens aigu de l’humour et excelle au piano. Mariée au directeur d’une revue littéraire, elle fréquente le monde des arts et des lettres, rencontre philosophes, peintres et auteurs. Son regard sur la société est perspicace et lucide. Son style se remarque dans ses échanges épistolaires. La réussite et le succès seraient à la portée de sa main, une profession dans les lettres ou un bel avenir de concertiste puisque, même « Islamey » de Balakirev, réputé injouable, ne lui résiste pas. L’été s’achève. Elle décide de différer son retour à Paris, préférant rester dans sa maison de Villeneuve. Elle y reçoit les peintres en vogue, mais refuse qu’ils la peignent nue, écrit à son infréquentable amie Geai, trop indépendante aux yeux des hommes, ou à Thadée, son mari, reparti pour la capitale. Celui-ci la presse de rentrer mais, tout en ignorant ses avis et conseils, il n’hésite pas à publier un article de Strinberg intitulé « De l’infériorité de la femme ». Pis, il lui rapporte le contenu d’un autre article dans lequel Duverger, l’un de ses rédacteurs, parle de sa « magnifique interprétation des sonates de Beethoven », ajoutant que ce dernier évite de la nommer, comme si cela coulait de source. Henri Bergson impressionne Misia. Elle insiste pour que Thadée l’engage dans La Revue. Il refuse puis, faute de grive, se décide à faire l’offre à l’intéressé qui la décline. Thadée, vexé, prend acte, tout à son idée de vouloir faire un portrait croisé de Eleonora Duse et de Sarah Bernardt. Ce projet sur lequel il s’obstine n’aboutit pas.
Misia rejoint enfin Thadée pour assister à la première de la pièce du petit Alfred qui collabore à La Revue et dont on parle beaucoup. Ubu Roi est, paraît-t-il, incontournable. Le fragile équilibre de leur vie va alors s’écrouler. Au théâtre, son mari lui présente Alfred Edwards, un homme vulgaire et cynique qui lui répugne dès le premier regard. Lui, est ébloui. Il lui faut cette femme. Il veut la respirer tout à loisir. Il lui fait livrer un, deux, trois rangs de perles qu’elle lui renvoie. Ces refus ne le découragent pas, aiguisent même davantage son désir. Il est riche, il a le temps. Il lui dit en riant qu’elle cèdera au huitième rang. Lorsque Misia se décide à confier ce harcèlement à Thadée, il ne la croit pas. De toute façon, il est trop tard.
Nous sommes en 1896. Misia est l’épouse de Thadée Natanson, fondateur de la Revue Blanche et elle évolue dans le Paris de la Belle époque. Belle pour qui cette époque ? Pour les hommes, lâches et vénaux, qui règnent en seigneurs, imbus d’eux-mêmes mais empêtrés dans leurs doutes, leurs contradictions, leur inconséquence et leur manque de jugement? Belle pour les femmes, corsetées dans tous les sens du terme, éprises de liberté mais qui étouffent sous les conventions, considérées comme de simples objets de plaisir que l’on méprise ? Méprise ou maîtrise ? Ne préfèrent-t-ils pas, ces hommes, étouffer ce sexe dit faible afin de le maîtriser parce qu’il leur fait peur?
Sous la forme de lettres échangées, Christian Simeon jette un regard lucide sur la lutte que menaient les femmes de la société française à cette époque pour exister. Nous pourrions parler au présent pour celles qui continuent de se battre afin de s’affirmer dans des domaines encore chasse gardée. On mesure alors le chemin parcouru et celui qui reste encore à poursuivre dans tant de pays où l’existence demeure pour la femme un véritable calvaire.
Christophe Lidon met en scène avec habileté ces échanges épistolaires. Sa direction d’acteur très vive, ainsi que le décor et les lumières soulignent la spontanéité des propos échangés et nous donnent à voir une Alexandra Lamy radieuse. Vêtue d’une combinaison noire qui rehaussant sa beauté et son charme, elle interprète seule tous les auteurs des lettres. Modulant sa voix, elle lit, ponctue, s’insurge et questionne, caméléon allant et venant sur scène, avec une belle aisance. Théâtre de l’Atelier 18e.


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