LES UNS CHEZ LES AUTRES

Article publié dans la Lettre n° 236


LES UNS CHEZ LES AUTRES (How the other half loves) d’Alan Ayckbourn. Adaptation et mise en scène Gildas Bourdet avec Nathalie Blanc, Marie-Paule Kumps, Laurent Lafitte, Isabelle Paternotte, Philippe Résimont, Jean-Yves Roan.
Franck Foster, Bob Philips et William Chestnutt travaillent dans la même société. Franck est le directeur, Bob son numéro deux, William, jusqu’ici modeste comptable, vient d’être promu à un poste plus important. Les trois hommes sont mariés mais, dans leur cottage respectif, le bonheur est loin d’être au beau fixe. Fiona, la femme de Franck, a oublié leur anniversaire de mariage. Rentrée fort tard le soir où ils devaient le fêter, elle a fourni à son mari un alibi pour le moins étonnant: une très longue conversation avec Mary Chesnutt qui soupçonne son époux d’infidélité. Très surprenant, vraiment, lorsque l’on connaît les Chesnutt: William, plutôt coincé, est à mille lieux de tromper son épouse. Sa seule préoccupation est surtout de tirer celle-ci de sa timidité maladive et d’en faire une maîtresse de maison accomplie afin d’être capable de recevoir et de tenir une conversation. La différence hiérarchique du bureau, il la retrouve ici, au niveau social. En fait, Fiona a passé la nuit avec Bob Philips, garçon plutôt grossier, qui a tendance à noyer dans l’alcool les désillusions de son mariage avec Carol, mère et femme au foyer insatisfaite. L’alibi que Bob donne à sa femme, pour la même absence que Fiona, n’est pas meilleur: il a été retenu par les confidences matrimoniales de William. C’est alors que les Chesnutt sont invités deux soirs consécutifs chez les Foster puis chez les Philips. Ces deux dîners vont être le théâtre d’une suite de quiproquos nés des deux mensonges. Sir Alan Ayckbourn, auteur de quelque soixante-dix pièces et metteur en scène renommé de la plupart d’entre elles, est dit-on, celui le plus joué en Grande Bretagne après Shakespeare. Son oeuvre, reconnue, est traduite et jouée sur les scènes du monde entier. Alain Resnais s’est inspiré de huit de ses pièces pour porter à l’écran en 1992 ses célèbres Smoking / No smoking. Le théâtre Tristan Bernard a donné l’an passé, avec succès, l’Amour est enfant de salaud (Lettre 218).
L’action de Les uns chez les autres se situe en 1970. Gildas Bourdet a conservé cette époque qui rend parfaitement l’état d’esprit et les rapports des couples, aussi bien anglais que français, de ces années post soixante-huitardes. Sorte de Feydeau britannique, l’auteur porte sur ses contemporains un regard acéré et affligé, acéré car réaliste, et affligé parce que lucide et sans illusions face à ces hommes et ces femmes qui s’agitent sous son nez, uniquement préoccupés par eux-mêmes. Gildas Bourdet tire un excellent parti de ce vaudeville où mensonges et trahisons sont habilement traduits par des dialogues percutants et agencés dans une suite de malentendus, sources de situations délirantes dont sont victimes des personnages au réalisme désespérant. La pièce se déroulant simultanément dans la pièce à vivre des Foster et des Philips, ce seul et même lieu est propice à toutes les inventions tant visuelles, auditives qu’olfactives dont le metteur en scène et Edouard Laug, pour le décor, ont le secret. Leur ingéniosité culmine lors des deux dîners juxtaposés. La virtuosité de la scénographie est soutenue par les éclairages judicieusement précis de Jacky Lautem, et par le fantastique investissement des comédiens qui ont fort à faire entre les scènes et leurs changements. Ils renouent avec un esprit de troupe qui fait merveille. Acteurs inénarrables de la fantastique mécanique du rire, ils nous offrent de loin le meilleur spectacle comique de cette première partie de saison. Théâtre de l’Ouest Parisien - Boulogne-Billancourt 92 (01.46.03.60.44) jusqu’au 30 janvier 2005.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction