UNE DIVA A SARCELLES

Article publié dans la Lettre n° 305


UNE DIVA A SARCELLES. Comédie musicale sur fond lyrique écrite et mise en scène par Virginie Lemoine assistée de Marie Chevalot avec Brigitte Faure, Michel Tavernier, Josef Kapustka (au piano), Marie Chevalot ou Samantha Rénier.
A Sarcelles, Au 17e étage d’un immeuble, le petit studio de Pierrette Michon, pardon, de Petra Michokolskaia, est à l’image de sa locataire, indescriptible. Artiste lyrique, celle-ci entame devant un public imaginaire le récital de la journée sur l’air des bijoux de Faust, chaîne hi-fi à fond et atours à l’avenant, au grand dam des voisins. Tout en regardant dans son miroir sa beauté reflétée en l’occurrence par le plastique d’une barquette de jambon, elle accueille puis renvoie à son escalier René Larceneur, le concierge, venu lui apporter une lettre recommandée. Le pauvre homme a beau essayer d’attirer son attention sur le pli, rien n’y fait, son public est sacré. Il lui faudrait pourtant bien réagir entre deux airs du répertoire dont elle régale l’immeuble, face à la menace d’expulsion dont elle fait l’objet pour loyers impayés depuis assez longtemps pour que la somme soit devenue conséquente. René, amoureux d’elle depuis des lustres, fait tout pour lui en faire prendre conscience. Devenu son tuteur cinq ans plus tôt à la suite d’un malencontreux concert donné sur une place de Sarcelles et qui l’a conduite tout droit à l’hôpital psychiatrique, il multiplie les démarches afin de lui éviter la rue. Il lui annonce l’arrivée imminente d’un psychiatre dont le certificat lui permettrait d’obtenir une allocation. Mais Petra n’en a cure, son public d’abord. Monsieur Larceneur lui propose faiblement quelques heures de ménage au sous sol. Ire de la cantatrice qui répond vertement : « Est-ce que vous croyez que mon public va me suivre à la cave » ? De guerre lasse, après avoir placé une affichette à la boulangerie comme tout un chacun, la voici dotée d’une élève à qui elle donne des leçons de chant… par correspondance. Assurant qu’elle « préfère être débitrice qu’à découvert », elle est plus enthousiasmée par l’arrivée du premier chèque que René qui ne sait comment lui annoncer une autre nouvelle qu’il lui cache depuis un mois. Remplacé par un digicode, il va devoir quitter les lieux…
L’imagination débordante de Virginie Lemoine, tant dans l’écriture que dans la mise en scène, fait mouche. A la fois drôle et émouvante, elle décrit avec réalisme la dure réalité que vivent tous ces artistes qui furent, le plus souvent pour peu de temps, sous les feux de la rampe, applaudis et encensés, avant de tomber dans l’oubli, avec pour seul compagnon les souvenirs d’une gloire éphémère définitivement révolue. Ils s’abîment alors dans un monde parallèle, la folie étant comme chacun sait « juste une réalité que l’autre ne peut atteindre ».
Brigitte Faure est la femme de la situation pour incarner Petra. Sa prestance, sa voix et son talent de comédienne laissent pantois un public deux fois public puisqu’elle l’entraîne dans son univers. Le décor où elle évolue, les costumes ahurissants qu’elle porte, les jeux de scène (la chaîne hi-fi représentée par le pianiste est une trouvaille particulièrement désopilante) sont les accessoires et artifices essentiels pour mettre en valeur le texte plein d’humour et de dérision. Le choix des airs d’opéra et les deux chansonnettes amusent et émeuvent tout à la fois. Michel Tavernier, concierge dévoué, et Marie Chevalot, psychiatre compréhensive, l’assistent avec art pendant que Jozef Kapustka sévit en pianiste hors pair. Un spectacle réjouissant, où l’humour croise joliment l’émotion. Théâtre de la Huchette 5e.


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