UNE VIE

Article publié dans la Lettre n° 430
du 5 juin 2017


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UNE VIE de Pascal Rambert. Mise en scène et scénographie Pascal Rambert avec Cécile Brune, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Pierre Louis-Calixte, Jennifer Decker et, en alternance, Anas Adibar, Nathan Aznar, Ambre Godin, Jeanne Louis-Calixte.
Dans le studio d’enregistrement d’une radio, l’élégance du mobilier Knoll est inattendue. Un critique d’art au costume impeccable s’apprête à interviewer un Invité, artiste peintre reconnu, venu là en tenue négligée. La documentation que l’Interviewer a apportée est impressionnante. Il a beaucoup lu pour préparer l’émission. L’Invité en éprouve de la contrariété. Pour lui, se retourner sur le passé est tragique. Les questions tournent autour de la signification des portraits auxquels s’est particulièrement dédié l’artiste, des visages immenses, des sexes aussi. Pour lui, il faut essayer d’y « mettre du corps » et c’est difficile : « Il faut regarder par où l’être humain respire ». Ces visages où le critique a cru déceler de la peur est l’expression de la jouissance. L’Invité tente d’expliquer son approche artistique. Une phrase souvent prononcée par sa mère, « À la bonne heure ! », lui vient à l’esprit. « Ma mère était dans cette phrase… Je dis cette phrase et ma mère apparaît avec des pivoines… », « Les êtres chers vivent dans nos phrases mais il n’y a plus de visages … « C’est pour cela que vous avez créé le jardin ? » lui demande alors l’Interviewer. La question est là. Pourquoi s’être détourné des êtres, des visages, pour ne plus peindre que la nature ? La phrase prononcée si souvent par sa mère disparue la convoque subitement. L’artiste la voit telle qu’il l’a déposée dans son cercueil, toute de noir vêtue, avec un bouquet de pivoines dans les bras…
L’originalité de ce travail créé de toutes pièces par Pascal Rambert tient à l’écriture, à cette nécessité de « réécrire les mots dans les bouches des acteurs et de connaître le trajet des mots dans les corps ». Elle tient aussi à la mise en scène et à la scénographie. La convocation des personnages qui ont fait partie de la vie de l’Invité communie avec le texte. Leurs actes sont accompagnés par la musique et les effets de la lumière, rouge comme le sang lors du dialogue avec la mère qui s’oriente vers une exigence impensable de la part d’un fils, vert tendre quand apparaissent Iris, l’amour de jeunesse, la muse, la seule qui a su dire non, et l’artiste enfant, garçon ou fille, interchangeables. Blanche et aveuglante quand survient le frère Amer, haï et haïssant. Blanche puis rouge, quand se manifeste l’ami d’enfance, le diable en personne. De la mémoire de l’artiste surgit le souvenir de l’appartement vide de meubles et sans vie, celui du père absent, de la mère indifférente. La tension est palpable. La parole est virulente, pleine des reproches, des frustrations et de l’incompréhension du changement opéré par le peintre sur son œuvre. Mais c’est ainsi : « à un moment, on ne peut plus parler qu’avec la nature ».
Deux heures plus tard, les êtres convoqués flottent encore. « Vous vous êtes parfois montré vif », commente l’Interviewer interloqué. Après une dernière salve de l’Invité sur le sens de la vie, illustré par un conte chinois, les êtres convoqués disparaissent peu à peu. Le critique d’art s’éclipse. Le noir se fait sur l’artiste demeuré seul.
« Je n’écris pas sur la vie privée des acteurs, j’écris pour leur voix, leur corps, leur énergie… ». Chanceux sont les comédiens choisis pour vivre semblable aventure. M-P P. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


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