UNE TROP BRUYANTE SOLITUDE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre392
du 8 février 2016


UNE TROP BRUYANTE SOLITUDE de Bohumil Hrabal. Mise en scène Laurent Fréchuret avec Thierry Gibault.
Il est seul, dans un lieu immonde, dans des habits immondes, les mains immondes de cambouis. Les yeux hagards, sans répit ni paupières, racontent une existence de taupe loquace et sans interlocuteur, dans la solitude crasseuse et le fracas d’une machine invisible. Rien ne prédisposait Hanta, cet homme sans âge ni futur, à une vie de culture patiente au long des livres innombrables voués à la destruction qu’il devait compacter. Pour seuls contacts humains, les vociférations insultantes de son chef, là-haut, vers la lumière de la cour, ou épisodiquement le tonton de la locomotive, avec ses aiguillages de jardin. Pour seule compagnie, les souris mutines et insolentes qui le narguent au bord du monstre qui va les broyer. Pour seules tendresses, ses deux compagnes fugaces, la joyeuse Marinette et sa propension à l’étron accusateur, et la Petite Tzigane, disparue dans les cendres de l’holocauste.
Il déroule une vie laborieuse et ingrate entre les cruches de bière et les merveilles philosophiques ou poétiques qui ont illuminé son intelligence en friche. Il rumine sur les rats et leurs affrontements, et les humains si pareils. Le culte du progrès vient de le rattraper, l’heure est à ces fantômes blancs aux gants orange qui nourrissent un ogre tellement plus efficace. Finis désormais tous ces tableaux de maîtres, linceuls des penseurs universels nichés au cœur des ballots de censure. Avec Hanta vont se taire définitivement des décennies de soliloque, des pans entiers d’une liberté déconcertante et inconnue.
Enfin, il fait chair avec ses ultimes souris, avec Sénèque retrouvé dans la tranquillité de l’âme. Corps anéanti, parole qui se tait, monstre qui s’éteint dans l’étreinte mortelle. Seul le silence fait écho à la beauté d’un texte aussi saisissant, à sa mise en scène, en paysage sonore, en voix, en clair-obscur, en frémissement, en émotion. Chapeau bas et merci, Monsieur Gibault ! A D. Théâtre de Belleville 11e.

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