UN PEDIGREE de Patrick Modiano avec Edouard Baer.
Quel lecteur invétéré ne s’est-il pas identifié aux personnages des romans qu’il dévore ou n’a pas tenté de deviner la part autobiographique qu’ils contiennent ? « Un Pedigree » de Patrick Modiano rend la recherche inutile. Livrée dans toute sa nudité, cette autobiographie participe à la mémoire de ses contemporains, en particulier de ceux nés au cours des années de l’après-guerre, une génération où « l’on ne donnait pas la parole aux enfants », où bien des parents déléguaient volontiers leur rôle, devenant ainsi de simples étrangers au regard de leur progéniture.
Né en 1945 de l’improbable union d’une actrice flamande et d’un juif de Salonique, ce rendez-vous avec lui-même permet à l’écrivain de s’interroger sur ces années qui ont forgé ce qu’il est aujourd’hui, d’enquêter sur qui sont « ces gens » qui l’ont engendré avant de le confier aux bons soins des internats. Écrit à la première personne, ce texte vivant parle à celui qui le lit. Édouard Baer, habile lecteur, en fait l’expérience chaque soir. Mais il émeut aussi ceux qui l’écoutent et dont les sentiments varient entre l’étonnement, l’effarement et l’indignation. Difficile de ne pas se surprendre à juger ces parents dénaturés, à l’écoute d’un constat sans appel, à l’évocation de sa mère entre autres : « Je ne me souviens pas d’un geste de tendresse de sa part ».
Après semblable « éducation », que serait-il advenu de Patrick Modiano s’il ne s’était tourné vers une écriture qui l’a porté aux nues ? Grand Prix du roman de l’Académie française, Prix Goncourt et Prix Nobel de littérature 2014, fort d’une œuvre prolifique, on le traiterait presque de miraculé.
Patrick Modiano ne pouvait régler ses comptes avec des parents décédés mais cette confidence intime des vingt-et-une premières années de sa vie dont il a été le spectateur impuissant l’aura peut-être aidé à en fermer la porte. Elle permet en tout cas à ses lecteurs de mieux appréhender son œuvre. Théâtre Antoine 10e.