TROIS SEMAINES APRES LE PARADIS

Article publié dans la Lettre n° 282


TROIS SEMAINES APRÈS LE PARADIS d’Israël Horovitz. Traduction Jean-Paul Alègre et Nathalie Gouillon. Mise en scène Ladislas Chollat avec Daniel San Pedro.
Si le souvenir du 11 septembre 2001 s’est peu à peu altéré dans la mémoire collective malgré les conséquences que cette tragédie entraîna, la vie n’a pas repris son cours pour autant pour les new-yorkais. Pour ceux surtout qui continuent de vivre non loin de ce que l’on nommait les Twin Towers, le traumatisme reste ineffaçable. C’est le cas d' Israël Horovitz qui prenait avec bonheur le café du matin, vivant sans le savoir à quelques rues de là ses « dernières secondes de paradis » , au moment où les avions fatidiques s’encastraient dans les deux tours du World Trade Center. La terreur de savoir son fils dans l’école d’en face, celle de se demander où se trouvait son fils aîné, sont autant de souvenirs qu'il ne peut gommer, de cicatrices qu'il ne peut refermer. L’amas monstrueux de gravas, l’hôpital Saint-Vincent et le mur avec les photos de la plupart des quelque 2500 victimes, tout lui rappelle quotidiennement l’acte barbare. Victime d’une « dépression de fin du monde », pour reprendre ses termes, écrire ce qu’il a ressenti a été pour lui la seule thérapie qui lui permet, non de surmonter, mais de vivre avec cette page tragique de l’histoire de l’Amérique. C’est le père de famille qui s’exprime, celui qui peut tout mais qui ce jour là ne put rien, celui qui se demande et pose la question: « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? »
Ce texte très intime écrit trois semaines après les attentats ne devait pas devenir une pièce de théâtre et les quelques essais pour le monter furent infructueux jusqu’à la mise en scène qu’en proposa Ladislas Chollat à Avignon. Là Horovitz reconnut son œuvre comme un spectacle. Très intense, celle-ci suggère avec forces spots et un choix judicieux de musiques l’impact d’une violence inouïe, la poussière, la panique, les cris et les larmes, puis la vie qui reprend avec le jogging matinal. Daniel San Pedro est l’homme de la situation, pas seulement parce qu’il était à New-York ce jour-là. Très mobile, il occupe l’espace et brûle les planches suivant le rythme imposé. Le ton juste, il est à la fois fort dans son rôle de « super papa », faisant tout pour surmonter l’événement ou fragile lorsque, désemparé, il réalise qu’il se retrouve depuis dans la peau d’un papa irakien, israélien, palestinien ou afghan, dans celle de tous ceux qui, passés de l’autre côté de la barrière, connaissent et vivent quotidiennement avec « la peur abjecte ». Une thérapie mais aussi un devoir de mémoire sans complaisance, pas très drôle mais efficace. Théâtre Petit Hébertot 17e.


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