TOUS MES RÊVES PARTENT DE GARE D’AUSTERLITZ

Article publié dans la Lettre n° 466
du 14 novembre 2018


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TOUS MES RÊVES PARTENT DE GARE D’AUSTERLITZ de Mohamed Kacimi. Mise en scène Marjorie Nakache avec Jamila Aznague, Gabrielle Cohen, Olga Grumberg, Marjorie Nakache, Marina Pastor, Irène Voyatzis.
La bibliothécaire Barbara tente de faire l’inventaire de ses rayonnages. En vain. Interruptions bruyantes ou volubiles se succèdent, Barbara joue manifestement le rôle de la confidente à qui l’on vient confier ses désespérances, hurler ses exaspérations et ses frustrations, dévoiler un pan d’un passé violent qui a conduit à l’incarcération. Les prisonnières sont confiées à des religieuses et la présence, même mécréante, à la messe permet quelques allègements ou cadeaux, surtout en ce temps de Noël. Tout est douloureux et violent dans les relations, brutalité des corps qui se heurtent ou se câlinent, des crises d’une insupportabilité que ces cinq femmes privées de leurs enfants tentent de maquiller aux couleurs d’une joie factice. Personne ne viendra les visiter, les petits amis se sont défilés sous divers prétextes, les enfants leur ont été arrachés. Leurs hommes, elles les ont éliminés, viol, accident comateux, déchéance. Alors, elles font illusion pour un soir, endossent quelques oripeaux de fête, dressent une table enguirlandée, miment un festin virtuel, « on joue à ne pas être là ». Et quand Frida, la nouvelle venue, entre en crise de désespoir, elles lui offrent la consolation improvisée, toute artificielle qu’elle soit, du jeu théâtral. Musset, « On ne badine pas avec l’amour ». Rosa et Marylou, sous les commentaires de Barbara, Zélie et Lily, et filmées par Frida, campent une Camille et un Perdican à la fois fidèles à leurs modèles et déconcertants, faisant évoluer le regard sur la véracité des sentiments et l’hypocrisie des dérobades. Telle est la force de la fiction théâtrale qu’elle se love dans le contemporain de ces compagnes de souffrance dans leur prison de corps et de mots. L’espace scénique, à la fois ouvert et clos, rend plus patent encore le contraste entre la claustration carcérale et mentale et l’échappée possible par le rêve et une théâtralisation, intemporelle pourrait-on dire, du quotidien.
Un bien bel hommage, tendre et pudique, sans larmoiement, à toutes les femmes en voie d’effacement par la société. Dans la joie sans fard des complicités salvatrices, dans un univers implacable où seuls les rêves dont elles ne sont pas dupes leur assurent dignité et humanité. A.D. Théâtre 13 - Seine 13e.


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