TETE D'OR

Article publié dans la Lettre n° 255


TETE D’OR de Paul Claudel. Mise en scène Anne Delbée avec douze comédiens dont Thierry Hancisse, Igor Tyczka, Andrzej Seweryn, Pierre Vial, Christian Gonon, Clément Hervieu-Léger, Marina Hands, Aurélio Amaury.
La brume se dissipe et laisse apparaître une forme, celle d’un arbre à demi couché. Simon Agnel revient à la terre qu’il a quittée pour y enfouir le corps de la femme aimée. Il rencontre le jeune Cébès et lui propose de repartir avec lui.
Plus tard, dans son palais déserté, l’empereur David constate la défaite de son armée et la sienne propre: « Moi, l’empereur aux cheveux blancs […] je retiens mon âme avec mes mains. » A ses pieds gît Cébès, qui se meurt malgré les soins prodigués par la princesse. Il attend le retour de celui qui l’a déposé là. Un messager survient : « Nous avons vaincu ». Il raconte alors la bataille (superbe monologue de Christian Gonon) et annonce l’arrivée du vainqueur, Simon, devenu « Tête d’Or ». Il a sauvé le royaume et revient auréolé de gloire, mais ne pourra sauver Cébès: « tu es revenu pour tous comme le retour des jours heureux et moi tu ne me sauves pas, je meurs ». Simon a froid, il est seul mais pour lui est « venu le moment où il doit montrer qui il est ». Le face à face avec l’empereur au pouvoir déclinant, affirme son désir de puissance: il réclame « le livre et la couronne ». Il poursuivra sa route, épopée qui le conduira à une ultime rencontre, celle de la princesse…
Paul Claudel a écrit Tête d’Or à l’âge de vingt et un ans, deux ans après sa fameuse révélation. Oeuvre de la jeunesse et de la provocation, il va la retravailler entre vingt-cinq et vingt-six ans. A partir de ce Noêl 1886 où il a découvert « le personnage sublime », le drame poétique claudélien va s’épanouir. Reprenant les grandes institutions dramatiques du symbolisme et à la recherche du drame total, il trouvera son inspiration dans le drame grec, dont Eschyle est le modèle, mais aussi dans l’œuvre de Wagner.
Le symbole de l’arbre occupe chez Paul Claudel une place primordiale, plongeant ses racines jusqu’au cœur même de la terre et élevant ses branches vers la voûte céleste. C’est autour de cet arbre, mais aux racines dressées vers le ciel, qu’Anne Delbée organise une mise en scène rigoureuse et sobre. Il s’agit de transcender l’image grossière de l’usurpateur s’emparant du pouvoir, pour lui donner celle d’un homme épris d’absolu. Elle fait évoluer avec beaucoup de subtilité le personnage de Simon, Tête d’Or à la recherche d’un idéal, celui de la domination du monde, mais dont le rêve est trop vaste. Elle nous livre là un très beau travail, respectueuse d’un texte fleuve, aux tirades longues et touffues, souvent démesurées dont les comédiens s’emparent avec un formidable talent. Thierry Hancisse est excellent dans le rôle titre écrasant, aussi sobre dans le lyrisme du début, « Moi-même, je suis dans ce lieu profond ! Je me lèverai et j’enfoncerai la porte et j’apparaîtrai devant les hommes ! » que dans son dernier souffle, « qu’elle soit reine », Clément-Hervieu Léger, magnifique dans la fragilité du personnage de Cébès, Marina Hands, époustouflante princesse, émouvante et juste, Andrzej Seweryn, remarquable empereur, Pierre Vial et Igor Tyczka se jouant avec brio de la difficulté de plusieurs rôles. Ensemble, baignés de lumières judicieusement disposées, ils portent très haut cette oeuvre claudélienne. Théâtre du Vieux-Colombier 6e. Lien : www.comedie-francaise.fr.


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