LA TÊTE DES AUTRES

Article publié dans la Lettre n° 352
du 25 mars 2013


LA TÊTE DES AUTRES de Marcel Aymé. Mise en scène Lilo Baur avec Véronique Vella, Alain Langlet, Florence Viala, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Félicien Juttner, Laurent Lafitte, Laure-Lucile Simon, Mich Ochowiak.
Un vent d’allégresse souffle sur le domicile du procureur Maillard. Son tableau de chasse compte une tête de plus. Celle d’un certain Valorin, joueur de jazz accusé du meurtre d’une vieille femme, qu’il vient de faire condamner à mort. Juliette, sa femme, est aux anges, ses enfants sautent de joie. Après les congratulations d’usage, le procureur Bertolier invite les Maillard chez lui en voisin, pour fêter l’événement. Maillard et Roberte Bertolier restent un moment seuls. Ils s’étreignent fougueusement, loin de penser que quelqu’un les observe. C’est Valorin qui vient de s’échapper du fourgon de police et guette le moment propice pour s’introduire chez le procureur. Quoi de plus sûr que le logis de celui qui l’a fait condamner ? Il lui apprend que la personne qui peut lui servir d’alibi est en face de lui. Valorin batifolait en effet avec Roberte dans un hôtel douteux au moment du meurtre. Fou de rage, Maillard se retrouve dans la posture d’un amant trompé par la femme d’un ami qu’il fait cocu. Il lui faut trouver le moyen d’innocenter l’homme qu’il a fait condamner à tort, celui-ci menaçant de dévoiler l’identité de sa maîtresse d’un soir pour prouver son innocence. Si Maillard ne voit d’autre solution que de mettre Bertolier au courant de son infortune et de cacher Valorin chez lui, il va lui être difficile de taire sa propre liaison à son confrère et à sa femme. Après toutes sortes de péripéties, les deux procureurs découvrent l’identité du vrai coupable qui n’est autre qu’un homme de main du dangereux Alessandrovici, un mafieux, ancien collabo, dont le pouvoir est immense et que tout le monde craint.
La Tête des autres est une satire au vitriol de la justice, du pouvoir et de la corruption mais aussi un plaidoyer contre la peine de mort. Créée en 1952 et située dans un pays imaginaire, la pièce, malgré son succès, défraya la chronique et fut menacée d’interdiction. Marcel Aymé retoucha le dernier acte en 1956, faisant disparaitre le personnage d’Alessandrovici et changeant l’épilogue.
Lilo Baur a judicieusement choisi de représenter la version initiale, le rôle clé d’Alessandrovici donnant un accent très actuel aux thèmes traités, ceux d’un état mafieux, d’une justice aux mains liées et d’une corruption à tous les niveaux. Sa mise en scène et la scénographie d’Oria Puppo sont exceptionnelles. Si les décors, changés à vue par les comédiens, confèrent un rythme certain aux scènes, les costumes et la musique replacent parfaitement l’intrigue dans l’époque des années cinquante.
Les caractères des personnages, joués sur le fil par les comédiens du français, sont soigneusement dessinés. Alain Lenglet et Nicolas Lormeau mettent en valeur toute la félonie et la lâcheté des deux procureurs, confrères rivaux, mais prêts à tout pour éviter le scandale. Le moment phare de l’acte IV qui les place face à Alessandrovici, époustouflant Serge Bagdassarian dans ce rôle de gangster à la Al Capone, fait de cette scène une véritable scène d’anthologie. De sa stature haute, accentuée par des talons très hauts et des robes moulantes, Florence Viala, séduisante Roberte, domine Véronique Vella, Juliette « bonne épouse, bonne mère ». Elle se déploie véritablement pendant que Véronique Vella semble rapetisser de scène en scène, accoutrée à la diable, les talons plats. La première suggère ainsi la monstruosité de Roberte face à l’innocence de Juliette qui incarne la droiture et la bonté faites femme. Celle-ci se rapproche du personnage complètement décalé de Valorin dont Laurent Lafitte exploite avec talent la complexité. Il use avec subtilité de l’intensité dramatique des éléments dont il dispose pour faire éclater la vérité et tire jusqu’au bout les ficelles de ce drame qui éclabousse la scène, la salle et un public quelque peu ébranlé. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


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