LE SOURIRE D’AUDREY HEPBURN

Article publié dans la Lettre n° 403
du 16 novembre 2016


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LE SOURIRE D’AUDREY HEPBURN de Clémence Boulouque d’après son roman « Un instant de Grâce ». Mise en scène Jérôme Kircher avec Isabelle Carré.
Indécise, elle est assise bien droite dans un fauteuil en cuir, le manteau sur le dos, une paire de talons hauts posée à ses pieds à côté de son sac à main. Elle est sur le point de partir mais hésite : « Et si je n’y allais pas, un avion, cela se rate ». Elle a rendez-vous avec Joseph Hepburn, ce père si souvent sollicité qui n’a jamais répondu à ses appels. Août 39 - août 64. Presqu’un quart de siècle de silence et d’absence. Elle glisse sans conviction ses pieds dans les chaussures. « Un avion cela se rate ». « Ce n’est pas un mensonge, c’est un glissement calendaire ». Pesant le pour et le contre, elle visualise la scène des retrouvailles, pensant à ce qu’elle va dire et retire son manteau. Elle hésite entre le désir de le revoir et celui de ne pas le revoir, imagine les sentiments qu’elle va éprouver, la nervosité mêlée au trac, face à cet inconnu qui, un jour, les a abandonnées elle et sa mère et a rejoint le camp des chemises noires. Lors du divorce, il a réclamé un droit de visite dont il n’a jamais usé, puis il s’est volatilisé.
Pensive, elle remémore ses jeunes années. La pension en Angleterre, synonyme de solitude, le retour dans son pays natal, les Pays Bas, au début de la guerre où il ne fait pas bon avoir Audrey pour prénom et parler l’anglais, puis le départ pour Monte-Carlo. Elle y est venue concrétiser un rêve : devenir danseuse étoile, mais le rêve brisé la conduit sans le désirer vraiment à rejoindre une compagnie de Music-Hall, puis le chemin des planches et des studios.
Elle pense aussi à ce que fut l’existence de son père, les années passées dans les colonies, sa haine du communisme, le retour à Bruxelles et le choix politique indigne, puis sa disparition inexpliquée.
Avoir pour père un nazi est un poids douloureux à porter pour une toute jeune femme projetée d’un coup sur la scène de Broadway et les plateaux de cinéma. « Gigi », « Vacances romaines » marquent le début d’une carrière où elle apparaît toujours élégante avec ce sourire énigmatique qui n’appartient qu’à elle. Vêtue d’une gabardine doublée d’un tissu couleur crème assorti à la robe d’une sobre élégance, réplique de celles portées par l’actrice qu’elle incarne, Isabelle Carré dévoile d’une voix claire, à la diction parfaite, la destinée d’un père absent et de sa fille qui aurait tant voulu comprendre pourquoi une telle indifférence.
Il se dégage souvent d’une comédienne un bonheur de façade derrière lequel se cache un passé douloureux que ses admirateurs ne soupçonnent pas. Clémence Boulouque nous fait entrer dans l’intimité de l’une d’elle. Isabelle Carré l’incarne de la plus belle des manières. M-P P. Théâtre de l’Œuvre 9e.


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