SOLNESS LE CONSTRUCTEUR

Article publié dans la Lettre n° 315


SOLNESS LE CONSTRUCTEUR de Henrik Ibsen. Adaptation Martine Dolléans et Hans Peter Cloos. Mise en scène Hans Peter Cloos avec Jacques Weber, Edith Scob, Mélanie Doutey, Jacques Marchand, Thibault Lacroix, Nathalie Niel, Sava Lolov.
Halvard Solness se sent au crépuscule de sa vie. Cette vie, il l’a construite comme il a bâti églises et maisons, en s’élevant le plus haut possible, écrasant tout sur son passage. Racheter le cabinet de Knut Brovink tout en le gardant comme assistant pour élaborer des calculs ardus qu’il ne sait pas faire et étouffer Ragnar, le fils de celui-ci, lui ont permis de régner sans partage. À défaut d’être architecte, il est devenu un constructeur d’une puissance impressionnante. Aujourd’hui entouré d’une équipe solide parmi laquelle Kaja Fosli, sa comptable, fiancée de Ragnar, dont il a fait sa chose pour empêcher ce dernier de percer, Solness domine mais n’est pas heureux. Il sait qu’il n’est pas éternel et sent de plus en plus près de lui une jeunesse qui frappe à sa porte pour prendre sa place. Entouré, il est pourtant solitaire. Au cœur de cette solitude, Aline sa femme, et entre eux, deux tragédies : l’incendie de la maison familiale d’Aline puis la mort tragique de leurs jumeaux, deux nouveaux nés empoisonnés par le lait maternel.
L’arrivée inopinée de Hilde Wangel, une jeune fille que Solness a rencontrée lorsqu’elle était enfant va tout changer. Elle dit avoir été impressionnée par cette rencontre que Solness ne peut avoir oubliée. Elle porte encore au fond de sa mémoire la vision du maître au faîte de la tour de l’église, posant la couronne selon la coutume. Hilde vient lui réclamer aujourd’hui ce qu’il lui a promis dix ans plus tôt, un royaume dont elle sera la princesse.
Pour mettre en scène cette pièce complexe, Hans Peter Cloos a résolument choisi la modernité. Le résultat dépasse toute espérance. Le décor spacieux et lumineux de Jean Haas, les costumes de Marie Pawlotsky, les lumières et la musique participent bien sûr à cette réussite. Mais il y parvient surtout grâce à une mise en scène à la fois précise et fluide et une remarquable adaptation qui éclaire véritablement une pièce aux multiples sens ainsi que toutes les contradictions du personnage principal qu’incarne un Jacques Weber éblouissant. Ce formidable comédien parvient en effet à doser avec un art consommé un tempérament à la fois fin et grossier, dur et délicat, fort et faible. Sa forte présence illumine la scène mais, face à lui, ses partenaires tiennent des rôles non négligeables. Edith Scob, loin d’être une Aline falote, lui oppose avec un immense talent sa propre personnalité, celle d’une femme brisée mais digne, qui restera toujours cantonnée dans ce devoir qu’elle brandit sans cesse, témoin et victime d’un passé tragique que son époux ne peut ni changer ni oublier et qu’elle lui remémore sans cesse. Contrairement à elle, la jeune Hilde Wangel, éprise d’absolu et d’un rêve qu’elle s’efforcera de lui faire partager, tentera d’entraîner son héros vers des cimes qu’il ne peut atteindre. Vaincra-t-il une fois encore son vertige pour aller placer la couronne sur le toit de sa nouvelle maison ? Ange et démon, Mélanie Doutey prête au rôle de Hilda sa spontanéité et sa jeune beauté. Jacques Marchand et Thibault Lacroix donnent une vraie consistance aux rôles de Knut et Ragnar Brovink, l’un affaibli par la maladie et écarté sans ménagement, l’autre rongé par la frustration et le dépit. Hans Peter Cloos et son équipe nous offrent un moment rare, une parcelle pleine de clarté de l’univers si complexe et si sombre d’Ibsen. Théâtre Hébertot 17e.


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