SOIE

Article publié dans la Lettre n° 241


SOIE de Alessandro Baricco. Texte français de Christophe Lidon et Valérie Alane. Mise en scène Christophe Lidon avec Samuel Labarthe, Benoîte Gazeres.
Au portrait chinois, la vie d’Hervé Joncour serait un millefeuille, l’une de ces merveilleuses préparations culinaires concoctées dans le secret des cuisines, feuille après feuille, avec minutie mais toutes identiques, avalées en quelques bouchées. Il n’en reste ensuite que le souvenir puissant mais éphémère, mêlé aux regrets d’avoir été consommées trop vite. La vie d’Hervé Joncour ressemble à cette friandise depuis le jour où son regard croisa celui de Baldibiou, un inconnu, qui débarqua un beau matin à la Villedieu dans l’intention d’y créer un élevage de vers à soie. Promu à un brillant avenir militaire, le jeune homme tourna le dos aux honneurs pour se couler dans ce monde étrange. Baldibiou le dépêcha tout d’abord en Egypte pour y acheter les précieux oeufs qui allaient éclore dans le hangar de la filature, donnant un fil de première qualité qui leur apporta la fortune. Mais l’épidémie sévissant, il fallut aller chercher les oeufs beaucoup plus loin, jusqu’à l’archipel où nul étranger n'était le bienvenu: le Japon. Année après année, tel un millefeuille, l’existence d’Hervé et de sa femme Hélène se composa d'une succession de voyages. Il traversait la moitié du globe, ses pas se posant exactement dans l’empreinte de ceux de l’année antérieure, à la rencontre des mêmes lieux et il revenait le même jour d’avril avec la précieuse cargaison qui les faisait chaque fois un peu plus riches. «Tenir dans sa main un voile tissé avec un fil de soie japonais [...] c’est comme ne rien tenir entre ses doigts ». Si de ces voyages Hervé rapportait les milliers d’oeufs accrochés aux feuilles de mûrier, dans son coeur se logèrent le regard et le sourire muet d’une jeune femme, quelque chose d’éblouissant mais qu’il ne put retenir. La mélancolie s’empara alors de lui, Hélène s’en aperçut.
Christophe Lidon est devenu un spécialiste des adaptations des récits à une voix. Si Oscar et la dame rose, l’Evangile selon Pilate et la Nuit des Oliviers l’ont plongé dans le style attachant et superbe d’Eric-Emmanuel Schmitt, le roman de Alessandro Baricco lui offre l’univers sophistiqué et bruissant d’un rouleau de tissu de soie. Grâce à une traduction et une mise en scène qui mettent en relief la beauté et la finesse du texte, Samuel Labarthe est le conteur enchanteur qui permet d’échapper à l’univers ordinaire de l’occident pour pénétrer dans celui magique de l’orient. De sa voix chaude et prenante, à la diction remarquable, il évolue dans le décor soyeux de la scène, élégamment animé par l’ingéniosité de Benoîte Gazeres, guidé par de subtils jeux de lumière. Il enveloppe pour un moment son auditoire dans le cocon léger de son histoire. Studio des Champs-Elysées 8e.


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