LE SILENCE DE MOLIÈRE. Texte de Giovanni Macchia. Mise en scène Marc Paquien avec Ariane Ascaride et Loïc Mobihan et la voix de Michel Bouquet.
Un intérieur austère dans une lumière parcimonieuse, une femme entre deux âges y reçoit sans chaleur un jeune homme venu la questionner sur le grand Molière. Esprit-Madeleine Poquelin va se prêter de mauvaise grâce à cet interrogatoire importun qui la fait sortir d’un silence de plusieurs décennies. Silencieuse, elle l’est dans la vie recluse qu’elle s’est choisie, dans son refus d’évoquer ce père presque encombrant par une gloire posthume dont elle s’est toujours sentie obscurcie, de raconter une mère si peu affectueuse toute à ses séductions volages, de revivre par le récit leurs déchirements insupportables pour l’enfant ballottée entre les lieux et les décors. Sa réticence à parler fait progressivement place à un flot de rancœur, d’acrimonie, violent et haineux à l’encontre de ce théâtre qui lui a volé la tendresse paternelle, théâtre de la cruauté derrière la façade des rires, théâtre de l’hypocrisie pieuse à l’heure des funérailles du grand homme, théâtre de la calomnie ravageuse. Toute sa vie n’a été que présence en témoin caché des masques sardoniques du monde des adultes. Une vie de coulisses, volée, escamotée. Elle aurait pu se rêver en tragédienne, sa tragédie intime lui a interdit la célébrité dynastique des bateleurs de père en filles. Echapper à la scène, fuir les feux de la rampe, se murer dans le désespoir du ressassement, sans visage, sans parole. On reste profondément ému devant ce gouffre de claustration, auquel Ariane Ascaride prête sa beauté épurée et une voix pleine d’ombre, tandis que la voix off de Michel Bouquet rappelle le cheminement de toute mise en scène, d’autant plus réussie qu’elle est discrète.
Ce moment semblerait loin de l’effervescence des comédies de Molière, il nous plonge pourtant au cœur même de l’art de donner à voir. Essentiel. A.D. Théâtre de la Tempête Cartoucherie de Vincennes, 12e.