LA SERVA AMOROSA

Article publié dans la Lettre n° 303


LA SERVA AMOROSA de Carlo Goldoni. Adaptation Michael Stampe et Christophe Lidon. Mise en scène Christophe Lidon avec Clémentine Célarié, Robert Hirsch, Claire Nadeau, Denis Berner, Benjamin Boyer, Émilie Chesnais, Manuel Durand, Thierry Monfray, Guilhem Pellegrin, Pierre Zaoui.
Veuf de sa première femme et père de Florindo, Ottavio, riche bourgeois de Vérone, a épousé en secondes noces Béatrice, veuve beaucoup plus jeune que lui et mère de Lélio, un garçon plutôt benêt. Béatrice n’est pas seulement un véritable dragon. Intrigante et intéressée, elle compte bien s’approprier l’héritage du vieil Ottavio. Après avoir réussi à ce que son époux chasse de la maison son propre fils, elle le pousse à établir un testament en sa faveur ce qui assurerait son avenir et celui de Lelio et déshériterait Florindo. Celui-ci n’a pas quitté le foyer seul. Coraline, servante de la maison et sœur de lait du jeune homme, l’a suivi au péril de sa réputation, apitoyée par son sort. Pleine d’entrain, elle s’efforce tout d’abord à faire taire les mauvaises langues sur cette cohabitation qui fait jaser, pendant que Pantalon, un brave homme du voisinage, tente en vain de ramener Ottavio à la raison. Puis, à bout de ressources et apprenant que le notaire est attendu pour élaborer le testament, Coraline élabore tout un stratagème, avec la complicité de Pantalon, afin de rétablir Florindo dans ses droits et lui faire épouser un parti de son rang.
Grand réformateur du théâtre italien, Goldoni s’écarte de la tradition pour reproduire sur scène la vie même, telle qu’il la voit. Observateur perspicace et fin psychologue, il ne fait plus de ses personnages des stéréotypes de la commedia dell’arte menés par leur instinct et leurs intérêts, mais leur confèrent une âme et un esprit critique. Coraline éclaire la pièce de sa joie de vivre, de ses bons sentiments et d’un bon sens intrinsèque aux gens du peuple. Goldoni donne le rôle principal à une servante et célèbre son intelligence à manœuvrer ceux qui l’entourent dans le seul but de faire le bien. Les qualités humaines de Coraline, humble servante, balaient la noirceur, l’ingratitude et la cupidité de Béatrice, maîtresse incontestée, montrée du doigt et punie. Il soulève aussi la difficulté pour les différentes couches de la société à se mêler. Foncièrement désintéressée, Coraline aime son maître mais une union avec lui, même souhaitée par Florindo, reste pour elle inacceptable. Il fait enfin l’apologie de la femme ce qui est plutôt rare, tous siècles confondus, d’où l’importance du monologue final de Coraline qui souligne l’opinion de Goldoni. Ces dernières répliques sont moins mises en valeur dans cette adaptation que dans celle présentée à la Comédie Française en 1993 dans la mise en scène de Jacques Lassalle, avec l’inoubliable Catherine Hiegel dans le rôle titre (Lettre 71).
Le décor compliqué mais astucieux sert diablement bien la mise en scène rythmée, parsemée de jeux de scène divertissants. Les comédiens sont époustouflants. Robert Hirsch, dans une forme incroyable, régale son public d’un numéro d’acteur exceptionnel. Sa partie de cartes en compagnie de Béatrice, rôle tenu par Claire Nadeau, truculente épouse, restera sans doute longtemps dans les mémoires. Clémentine Célarié restitue brillamment la forte personnalité de Coraline tandis que les autres comédiens tiennent eux aussi très bien leur partie. Théâtre Hébertot 17e.


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