LES RUSTRES

Article publié dans la Lettre n° 390
du 21 décembre 2015


LES RUSTRES de Carlo Goldoni. Mise en scène Jean-Louis Benoit avec Gérard Giroudon, Bruno Raffaelli, Coraly Zahonero, Céline Samie, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Christophe Montenez, Rebecca Marder.
Savoir amuser le public pour l’instruire, était le credo de Carlo Goldoni. Il créa pour les femmes qui toutes le captivaient, des pièces où elles tenaient bien souvent des rôles où il célébrait leur raison. Dans Les Rustres, il prend manifestement leur parti tout en ridiculisant un quatuor borné et intolérant. Deux idiosyncrasies sont assez marquées dans chacun des deux « camps ». Dans celui des hommes, Lunardo, Maurizio et Simon sont de véritables tyrans domestiques tandis que Canciano est mené par le bout du nez par Felice, épouse au tempérament très affirmé. Dans le camp des femmes, elle seule vainc non seulement son mari mais aussi ceux de ses amies, Lucietta, Margarita et Marina, terrorisées et totalement soumises. Ce rapport de forces complexe engendre une guerre faite de batailles acharnées.
À Venise, chez le sieur Lunardo, personne ne profite du carnaval qui va s’achever. Enfermées chez elles, Lucietta sa fille de 17 ans, née d’un premier mariage, et Margarita sa seconde épouse, sont à leur ouvrage. Lucietta se plaint de cet enfermement et montre son dépit d’être privée de toutes les distractions qu’offre cette période de fêtes. N’étant pas mieux lotie, Margarita opine, remémorant l’éducation plus libre qu’elle a reçue de ses parents. Elle apprend à sa belle-fille que son père l’a fiancée mais qu’elle ignore le nom du promis. Lucietta se montre très anxieuse de ne pouvoir faire sa connaissance avant leur mariage. Survient Lunardo qui annonce, ou plutôt, aboie à sa femme qu’il a convié à dîner le soir même ses amis Canciano, Simon et leurs épouses ainsi que Maurizio et son fils. Il lui révèle l’identité du fiancé qui n’est autre que Filippetto, le fils de Maurizio, mais lui interdit d’en souffler mot à Lucietta. Les deux pères sont convenus que les deux jeunes gens ne se connaîtront qu’au moment de la signature du contrat de mariage.
En visite chez son oncle Simon, Filippetto confie à sa tante Marina les intentions de son père et son souhait de connaître sa fiancée avant de l’épouser. Surviennent alors Felice et son mari Canciano, accompagnés d’un gentilhomme. Mise au courant par Marina du dessein des deux pères, Felice, scandalisée, imagine un plan qui permette aux deux fiancés de se rencontrer, plan que Marina, pourtant craintive, accepte de suivre…
Goldoni place l’action à Venise dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les « rustres » qu’il dépeint sont les riches marchands d’une cité touchée par le déclin économique. Incapables d’évoluer, ils refusent le vent des Lumières qui souffle et se renferment sur eux-mêmes par peur d’une nouvelle ère qui s’annonce. « Tout est la faute de la liberté » accuse l’un d’eux. Cette liberté qui les effraie, ils en privent résolument les membres de leur famille de crainte de ne plus pouvoir les maîtriser. Ce que l’on ne connaît pas fait peur et ils ne savent rien des femmes. C’est pourquoi ils utilisent la seule force qu’ils possèdent pour les contrer: la violence verbale et physique. Celles-ci rusent pour obtenir ce qu’elles veulent et se révoltent à la première occasion. Felice est de cette trempe. Canciano ne fait pas la loi chez lui. Ses trois amis le lui reprochent constamment mais comprennent pourquoi lorsqu’ils se retrouvent face à l’ire de cette épouse contestataire. Son caractère affirmé et sa perspicacité les dépassent, ils se rendront aux arguments de sa brillante plaidoirie.
Suivant le principe de Goldoni, Jean-Louis Benoit restitue ce rapport de forces par la comédie. Les comédiens se prêtent au jeu avec délectation, Christian Hecq et Bruno Raffaelli les premiers, l’un exploitant sa grande maîtrise du comique, l’autre mettant en avant son impressionnante stature. Le décor et les costumes révèlent bien la situation des personnages enfermés dans un monde clos, les hommes vêtus des costumes sombres et classiques, Lucietta, Margarita et Marina, en femmes soumises, habillées comme des domestiques, contrairement à Felice.
Sous la plume de Goldoni, les femmes gagnèrent bien des batailles... Théâtre du Vieux - Colombier 6e.


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